En 1919, le gouvernement américain a envoyé ses troupes au Mexique pour capturer Pancho Villa, à la suite de l’attaque par le rebelle mexicain de la ville de Columbus. L’armée se prépare à un assaut sur un ranch, propriété d’une Américaine, Adelaïde Geary (Rita Hayworth). Le major Thorn (Gary Cooper) est chargé de fabriquer des héros. Il assiste en observateur à l’attaque du ranch et isole quatre hommes, acteurs d’actes héroïques…
Robert Rossen harcelé a fini par donner des noms à la sinistre commission McCarthy. Robert Rossen n’est pas Elia Kazan. Un sentiment de culpabilité va s’abattre sur lui et ses films vont être le témoignage des angoisses d’un homme brisé et blessé. Jamais aucun film de Rossen ne justifiera la délation. Ceux de Cordura ne plaira pas tant, il déraille des sentiers de l’héroïsme westernien. Gary Cooper incarne un homme qui, l’espace d’un moment, s’est comporté d’une manière qui ne correspond pas à l’idée qu’il se faisait de lui-même. Ravagé par le doute et la culpabilité, il cherche chez les autres à comprendre comment l’on peut trouver en soi la force qui fait de vous un « héros ». Quête impossible, tant les réactions ne dépendent pas d’un calcul, mais de la nécessité de l’instant. Le major Thorn est, dans une large proportion, un portrait de Robert Rossen.
Rossen débute Ceux de Cordura par une expédition punitive menée par l’Etat américain en territoire mexicain; une action illégale est historiquement exacte. Il poursuit par une attaque absurde sur un ranch, baroud d’honneur pour un Colonel dont les pertes humaines sont le cadet de ses soucis. L’Etat américain est en faute, mais les hommes en bons petits soldats exécutent les ordres. L’armée poursuit un but publicitaire en fabriquant des héros, alors que le major cherche de manière obsessionnelle à comprendre comment l’on devient un héros, comment un homme peut aller au feu au péril de sa vie et surtout comprendre pourquoi lui a été lâche devant l’ennemi lors d’un précédent combat. Ceux de Cordura est le récit d’un long chemin intérieur qu’entreprend le major.
Ses héros d’un jour, contraints et forcés, partent vers la base arrière de Cordura. Ce que découvre le major sur la nature de ses hommes, ne correspond absolument pas à l’idée qu’il s’en faisait. Le décalage va aller s’accentuant jusqu’à devenir vertigineux. Ces « héros » ne sont que de faibles hommes, dont la vie passée et présente est loin d’être exemplaire. Mais un acte considéré comme héroïque a le pouvoir d’effacer toutes les petitesses, alors qu’un acte lâche anéantit, en une fraction de seconde, toute une vie aussi honnête soit-elle. Dans cette circulation de sentiments exacerbés et d’enfermement moral, c’est une femme (Rita Hayworth), entravée, prisonnière, condamnée par avance, qui fait preuve d’une véritable liberté de penser. Toute personne est façonnée par ses choix, bons ou mauvais, et les regrets n’y font rien. Film de groupe pour lequel Robert Rossen a réuni une distribution de premier plan, pas une fausse note. Gary Cooper qui semble dans un premier temps un peu âgé pour le rôle emporte le morceau par la qualité de son jeu avec cette impression de lassitude et de tourments intérieurs qui taraude le major. Il faut aussi louer Rita Hayworth d’une finesse et d’une force d’évocation impressionnante. Les scènes entre elle et Cooper sont d’une intensité et d’une sincérité véritablement touchante. L’un des plus beaux rôles de la dernière partie de la carrière de cette grande actrice.
Robert Rossen, brillant scénariste et réalisateur, est membre du Parti communiste américain de 1937 à 1947. Il refuse de témoigner devant la commission McCarthy et de donner des noms de sympathisants communistes. En 1951, il est inscrit sur la fameuse liste noire. Pendant deux ans, il est un pestiféré et ne peut travailler à Hollywood. En 1953, il craque et dénonce 57 personnes. C’est un tournant personnel qui va le tirailler jusqu’à sa mort. Il ne reprend pas le chemin des studios hollywoodiens, mais tourne des coproductions en Europe. Rossen fait son métier de réalisateur tout en tentant de donner un supplément d’âme à ses films commerciaux. Ceux de Cordura est son huitième film et son premier aux Etats-Unis après son témoignage. Film mal compris à une époque où l’on tente de mettre un voile sur le Maccarthysme; Ceux de Cordura est un échec. La Columbia ampute le montage de Rossen de 20 minutes. Rossen en sortira marqué. Il réalisera encore deux merveilles, deux chefs-d’œuvre, L’Arnaqueur (The Hustler, 1961) avec Paul Newman et Lilith (1964) avec Jean Seberg et Warren Beatty. Films de personnages pris au piège d’un système qu’il ne contrôle pas et allant jusqu’à l’extrême : la folie. Robert Rossen s’est éteint en 1966 à 57 ans.
Ceux de Cordura, western atypique, mérite une sérieuse réévaluation.
Fernand Garcia
Ceux de Cordura est édité dans la collection Western de légende par Sidonis-Calysta dans une belle édition combo. En compléments, les deux interventions habituelles de la collection. « A chaque nouvelle vision, il (Ceux de Cordura) se révèle plus grand et de plus en plus passionnant » analyse du film et retour sur Robert Rossen par Bertrand Tavernier (28 minutes). Pour Patrick Brion « ce qui intéresse Rossen, c’est la vérité, c’est la morale, c’est l’histoire américaine… » (11 minutes). La bande-annonce et une galerie de photos complètent cette édition.
Ceux de Cordura (They Came to Cordura) un film de Robert Rossen avec Gary Cooper, Rita Hayworth, Van Heflin, Tab Hunter, Richard Conte, Michael Callan, Dick York, Robert Keith, Carlos Romero, James Bannon, Edward Platt, Maurice Jara… Scénario : Ivan Moffat et Robert Rossen d’après le roman de Glendon Swarthout. Directeur de la photographie : Burnett Guffey. Consultant couleur : Henri Jaffa. Décor : Cary Odell. Montage : William A. Lyon. Musique : Elie Siegmeister. Producteur : William Goetz. Production : Columbia Pictures – Goetz-Baroda. Etats-Unis. 1959. 123 minutes. Eastmancolor. CinemaScope. Format image : Son : VF et VOSTF DTS HD. Tous Publics.