Dans une pissotière, haut lieu de la drague homo parisienne, le lieutenant Mathis (Duncan Macrae) de la brigade spéciale, a rendez-vous avec James Bond (Peter Sellers), Evelyn Tremble de son vrai nom. Ils s’éloignent… M est dépêché en Ecosse, avec trois agents, un Américain, Ransome (William Holden), un Russe, Smernov (Kurt Kasznar) et un Français, Le Grand (Charles Boyer). M a pour mission de convaincre Sir James Bond (David Niven), retiré des affaires, de reprendre du service. Un mystérieux ennemi est déjà responsable de la disparition de 11 espions anglais, 8 américains, 16 français et des tas d’autres du KGB. Mais Sir James Bond, n’a pas la moindre envie de quitter son château…
Casino Royale est un coup de poker. Charles K. Feldman récupère les droits de Casino Royale premier roman de la série des James Bond de Ian Fleming. Seul titre qui avait échappé aux producteurs historiques des Bond, Harry Saltzman et Albert R. Broccolli. Les droits de Casino Royale, avaient été cédés en 1954 à CBS pour une dramatique TV, droit récupéré ensuite par l’acteur réalisateur et producteur, Gregory Ratoff. Il ne fait rien du roman. Ratoff décède en 1960 avant l’apparition de James Bond sur le grand écran. Dr. No (1962), Bons Baisers de Russie (From Russia with Love, 1963), Goldfinger (1965) et Opération Tonnerre (Thunderball, 1965) sont des succès stratosphériques.
James Bond devient un mythe. Le cinéma et la littérature populaire s’engouffrent dans la brèche, OSS 117, Coplan, 077, des centaines d’espions déboulent sur les écrans et les rayonnages. Charles K. Feldman rachète les droits de Casino Royale auprès de la veuve de Gregory Ratoff. Il a dans l’idée de faire un James Bond officiel avec Saltzman et Broccoli, mais ils n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente. Feldman tente sa chance auprès de Sean Connery. C’est un refus net de l’acteur. Feldman décide de faire cavalier seul, il a un carnet d’adresses long comme le bras. Longtemps agent, entre autres de Marlène Dietrich, il est passé à la production avec succès. Mais, pour son James Bond, il a un sérieux problème, il ne peut rien reprendre de l’imagerie Bondienne, ni la construction, ni la musique, rien de ce qui fait l’image de marque de la série, propriété de Eon Productions.
Charles K. Feldman ne désespère pas de porter à l’écran son « James Bond », il commande un script à Ben Hecht, une des plus grandes signatures du cinéma hollywoodien. Hecht avait participé à l’écriture de La Rue chaude (Walk on the Wild Side, 1962) de Edward Dmytryk, une production de Feldman. La difficulté est grande pour Hecht, il ne doit donc rien reprendre du livre de Fleming et des péripéties déjà utiliser par Saltzman et Broccoli reprise de Casino Royale. En définitive, il ne lui reste que la scène du casino. Hecht livre un premier traitement pour un classique film d’espionnage classique. Hecht décède avant d’avoir terminé le scénario. Billy Wilder, dont Feldman a produit 7 ans de réflexion (The Seven Year Itch, 1955), retravaille un temps le script, avant de se consacrer à ses projets. Tout en produisant d’autres films, Feldman n’abandonne pas et poursuit l’écriture avec, à tour de rôle, Wolf Mankowitz, John Law, Michael Sayers, crédité au générique et d’autres écrivains qui n’apparaîtront pas au crédit du film.
Après le succès de Quoi de neuf pussycat ? (What’s New Pussycat ?) produit et réalisé en Europe, Feldman décide de confier le rôle de James Bond à Peter Sellers. L’acteur n’est pas convaincu, Sean Connery est à ce moment une icône planétaire. Sellers ne voit pas comment apporter quoi que ce soit de neuf au personnage. Feldman a une idée lumineuse, faire de Casino Royale une comédie. Il reprend l’idée de Ben Hecht, de plusieurs Bond. Il engage Terry Southern (Dr Folamour) pour reprendre le scénario. Feldman enclenche la production. United Artists, distributeur des James Bond de Saltzman et Broccoli, et partenaire de Feldman sur Quoi de neuf Pussycat ?, refuse de s’engager dans Casino Royale. Feldman se tourne alors vers la Columbia, qui accepte. Il offre un petit rôle à Woody Allen, scénariste et acteur sur Quoi de neuf pussycat ? « Je devinai qu’il voulait m’avoir sous la main et faire appel à moi pour pondre des répliques amusantes si les choses tournaient mal – et elles tournèrent mal, très mal… » (Woody Allen, Soit dit en passant, Edition Stock, 2020). Il a aussi l’idée de confier la direction du film à plusieurs réalisateurs.
John Huston démarre le film, sans avoir vraiment de scénario abouti. Deux bonnes idées à mettre au compte de son sketch, un de présenter un James Bond à la retraite que M (Huston lui-même) tente de convaincre de reprendre du service, la deuxième d’avoir David Niven. L’acteur était le James Bond idéal pour Ian Fleming (n’oublions pas que le personnage a été créé dans les années 50). Niven, excellent acteur de comédie sophistiqué, n’a pas le « virilisme » de Sean Connery. Tout cela reste sympathique. Le dialogue est spirituel et se permet même quelques piques à l’encontre Sean Connery, « Ce goujat à qui vous avez donné mon nom et mon numéro ».
Bond (version Niven) n’est pas une bête de sexe et refuse de répondre par l’affirmative aux assauts de Lady Foina McTarry (Deborah Kerr), veuve de M., mais aussi à Buttercup/Bouton d’or (Angela Scoular) dans son bain de mousse. John Huston laissant choir le film après son sketch, cette section se terminant quelque peu en cul-de-sac. Des années après, Huston tournera avec Sean Connery, le « vrai » James Bond, un pur chef-d’œuvre L’homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King, 1975).
Joe McGrath tourne les scènes avec Peter Sellers, mais l’acteur galère, il ne trouve pas le ton juste. Sur sa proposition, Orson Welles est engagé pour incarner Le Chiffre (une très bonne idée). Mais Sellers impressionné par l’auteur de Citizen Kane et peut-être envieux de l’attention qu’il suscite, refuse de venir sur le plateau et s’en prend à McGrath. Il refuse de continuer avec Orson Welles, ce qui entraîne un véritable casse-tête pour son réalisateur, la séquence du casino est le clou du film. McGrath excédé par l’attitude de Sellers, demande à Feldman de régler le problème. Feldman se défausse et par l’intermédiaire de son producteur associé, vire McGrath. La brouille entre l’acteur et le réalisateur sera de courte durée puisqu’ils se retrouveront pour Un Beatles au Paradis (The Magic Christian, 1969), le Beatles étant Ringo Starr, et The Great McGonagall (1974) où Sellers joue la Reine Victoria !
« Joe McGrath a été fichu dehors à quatre heures de l’après-midi, et deux minutes plus tard, Bob Parrish est entré par une autre porte. Contrairement à McGrath, Bob est un vieil ami, mais je n’ai rien à voir dans cette sale histoire. (.) Je me demande encore comment ce film a pu avoir autant de succès. » Orson Welles (in Moi, Orson Welles, Peter Bogdanovich / Orson Welles, Editions Point-Virgule, 1992).
Robert Parrish réalise les contrechamps sur Peter Sellers sans Orson Welles. Parrish finissant à Londres, Torero malgré lui (The Bobo, 1967) interpréter par Peter Sellers et Britt Ekland, se retrouve sur Casino Royale. Sellers vit à l’épouse une passe difficile avec son épouse, Britt Ekland. Problèmes qui se répercutent sur la production de Feldman. Les retards et les absences obligent les réalisateurs à improviser de nouvelles scènes, Sellers disparaît petit à petit du film et laisse la place à d’autres personnages. Le film est sauvé par l’idée de base que tous les espions peuvent reprendre le nom et le matricule.
Val Guest, connu avant tout pour ses films à la Hammer, est engagé pour succéder à John Huston. Il se consacre totalement au Casino Royale, improvise de nombreuses scènes à partir d’un scénario qui ne correspond plus du tout au film qui se tourne dans les studios britanniques. Le résultat est forcément décousu. Val Guest se voit chargé des scènes de liaison. Kenneth Hughes se charge des séquences avec Mata Bond (Joanna Pettet), un vrai délire, qui propulse le film des rives dansantes de Bollywood vers le mur de Berlin. Albert R. Broccoli pas rancunier envers Hughes, l’embauche, l’année suivante, pour Chitty Chitty Bang Bang, comédie musicale d’après Ian Fleming !
Peter Sellers après tous ses excès, finit par être renvoyé, mais son contrat (en or) lui laisse 3% des recettes bruts du film. Woody Allen finit par écrire les dialogues de ses scènes. Casino Royale tourne à la comédie psychédélique et pop, le budget explose. Les plus grands plateaux anglais sont utilisés. Les acteurs défilent pour quelques minutes à l’écran comme George Raft ou Jean-Paul Belmondo, qui venait simplement rendre visite à sa « girlfriend », Ursula Andress.
La belle Suissesse Ursula Andress, une des actrices de Quoi de neuf, Pussycat ?, est une prise de choix pour Charles K. Feldman. Ursula Andress est la première James Bond Girl de l’histoire. Son apparition dans Dr No, tel Venus en bikini blanc sortant des flots, est mythique. Ursula Andress accède instantanément à une notoriété planétaire, la quintessence de la James Bond girl, la référence absolue. Dans cette parodie, elle incarne Vesper Lynd personnage repris par Eva Green dans la version sérieuse de Casino Royale en 2006. Ursula Andress est sublimement belle, il faut aussi reconnaître que la plus belle femme du monde est magnifiquement éclairée par Jack Hildyard (Le Pont de la rivière Kwai, Soudain l’été dernier, Les 55 jours de Pékin…).
Casino Royale est défilé de magnifiques James Bond girls, de simples figurantes comme Caroline Munro, que l’on retrouvera dans L’Espion qui m’aimait (1976) à quelques actrices aux rôles plus consistants. Joanna Pettet (Mata Bond, fille de Mata Hari et James Bond !), Daliah Lavi, victime du délire de Noé (Woody Allen) le méchant de service, Barbara Bouchet, la plus belle Moneypenny de l’histoire bondienne et la craquante Jacqueline Bisset, Miss Goodthings (belles cuisses). Hélas, Bisset, au début de sa carrière, n’a pas beaucoup de chance. Sa scène avec Peter Sellers est particulièrement ratée en plus d’une entente entre les deux acteurs des plus mauvaise. Jacqueline Bisset refusera par la suite d’être James Girl dans la série officielle. Parmi d’autres caméos, Peter O’Toole en joueur de Cornemuse, Elke Sommer, conductrice ennemi, Geraldine Chaplin dans un hommage aux films de la Keystone. David Prowse (le culturiste d’Orange Mécanique et futur Dark Vador) en monstre de Frankenstein.
Les méchants sont absolument réjouissants. Orson Welles, ne bouge pas de la table de jeu. De sa magnifique voix caverneuse, il nous embarque dans un tour de magie. Woody Allen, compose un personnage de dingue, Jimmy Bond, neveu de James Bond, dont le but n’est ni plus ni moins que de rendre les femmes très belles et de se débarrasser de tous les hommes de plus de 1 mètre 27 ! Tout ça pour satisfaire son complexe d’infériorité sexuelle. A Jimmy Bond toutes les beautés de la terre !
La musique seventies est signé par Burt Bacharach, un des grands compositeurs de chansons populaires de la variété américaine des années 60. Il avait, avec son parolier, Hal David, obtenu une nomination à l’Oscar pour What’s new Pussycat ? (Tom Jones). Il réitère avec la chanson The Look Of Love est interprétée dans la VO par Dusty Spingfield et dans la VF par Mireille Mathieu. Finalement, le duo l’obtiendra pour Raindrops Keep Fallin’on My Head (B.J. Thomas) du film Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and Sundance Kid, 1969). Casino Royale, est un grand foutoir, absurde, à l’humour frisant le surréalisme, à la photographie sophistiquée, aux décors psychédéliques, le tout dans une ambiance sexy et pop.
Parodie endiablée et parfois déconcertante de James Bond, Casino Royale c’est « bondifié » avec le temps.
Fernand Garcia
Casino Royale, une édition mediabook (Blu-ray, 2 DVD, livre) impeccable chez Rimini Editions. Le magnifique report HD permet d’apprécier à sa juste valeur la photographie de Jack Hildyard, John Wilcox et Nicolas Roeg. En compléments : Entretien avec Laurent Aknin, « Quand Casino Royale nous sommes au sommet de James Bond », retour sur la James Bond mania des années 60 et de ses clones par un fin connaisseur du cinéma populaire et Bis (25 minutes). Le Making Of de Casino Royale, un formidable document en cinq parties. 1 Bond… James Bond ? – 2 Un cirque à trois pistes – 3 Toujours plus de réalisateurs, toujours plus de stars – 4 Le bouquet final – 5 C’est dans la boîte ! De la conception à la sortie, en passant par la production du film, Charles K. Feldman, Peter Sellers, Orson Welles, etc. un tour d’horizon, sans langue de bois, raconté avec beaucoup d’humour (et parfois un brin de nostalgie) par Joseph McGrath, Val Guest, Charles Joffe, Jacqueline Bisset, Joanna Pettet, Daliah Lavi, Nicolas Roeg, Alex Thompson, assistant-réalisateur, historiens et critiques de cinéma (42 minutes). Un cinéma psychédélique, souvenir d’un tournage épique et baroque par Val Guest (19 minutes). Un document exceptionnel, la première adaptation de Casino Royale, une dramatique TV. Il s’agit de la première apparition de James Bond à l’écran incarné par Barry Nelson, à ses côtés Peter Lorre (Le Chiffre) et Linda Christian (un mixte de Vesper Lynd et René Mathis), réalisé par William H. Brown et produit par Bretaigne Windust. Historique (1954. 48 minutes. Noir et blanc). Enfin, la bande-annonce (2’23). Rimini Editions ajoute à cette édition, Des James Bond pas comme les autres, un excellent livre de Marc Toullec, de quoi satisfaire autant les fans de 007 que les néophytes (112 pages). Une édition de grande classe.
Casino Royale un film de John Huston, Kenneth Hughes, Val Guest, Robert Parrish et Joseph McGrath. Séquences de liaison : Val Guest. Avec Peter Sellers, Ursula Andress, David Niven, Orson Welles, Joanna Pettet, Daliah Lavi, Woody Allen, Deborah Kerr, William Holden, Charles Boyer, John Huston, Kurt Kasznar, George Raft, Jean-Paul Belmondo, Terence Cooper, Barbara Bouchet, Jacqueline Bisset, Angela Scoular… Scénario : Wolf Mankowitz, John Law & Michael Sayers (et non-crédité : Ben Hecht, Billy Wilder, Joseph Heller, Woody Allen, Terry Southern). Inspiré par le roman de Ian Fleming. Directeur de la photographie : Jack Hildyard. Photographie additionnelle : John Wilcox et Nicolas Roeg. Décors : Michael Stringer. Costumes : Julie Harris. Titres et génériques : Richard Williams. Montage : Bill Lenny. Musique : Burt Bacharach. Producteur associé : John Dark. Producteurs : Charles K. Feldman et Jerry Bresler. Production : Charles K. Feldman – Famous Artists Productions – Columbia Pictures. Etats-Unis. 1967. 131 minutes. Technicolor. Panavision. Format image : 2.39 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français DTS-HD MA 5.1 et 2.0. et Version française (d’époque) en DTS-HD MA 2.0. Tous Publics.