« Il n’y a pas de message dans mon film, seulement un léger avertissement au travers d’une énorme farce. Celle-ci est peut-être de mauvais goût, mais elle est dans une tradition rabelaisienne. Nous avons perdu le sens de la truculence, c’est ainsi que nous devenons un pays triste, glacé. Il faut mettre le fameux bon goût français au cabinet. » Bertrand Blier (in France-Soir, 13 février 1976).
Décrétée par l’ONU, l’année internationale de la femme se termine fin 1975 sur un résultat pour le moins mitigé. Durant cette période, Bertrand Blier travaille sur un sujet afin de réunir ses comédiens des Valseuses, Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou : Préparez vos mouchoirs (le film se fera sans Miou-Miou mais avec Carole Laure). Blier décide alors avec la complicité de Philippe Dumarçay de mettre en place une sorte de canular pour célébrer cette année de la femme. C’est le producteur des comédies des Charlots (Les bidasses en folie, Les fous du stade, etc.) Christian Fechner qui prend le film, en production avec Renn Productions (Claude Berri). L’intention de Blier étaient de faire une sorte d’Orange mécanique à la française, franchouillard et rabelaisien, de jouer sur la même gamme que Stanley Kubrick : un visuel pop art et futuriste, combiné à une étude sociologique de mœurs aboutissant à une fable. L’ambition est énorme. Le casting trois étoiles : Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort, Bernard Blier, Brigitte Fossey, Claude Piéplu et Michel Peyrelon se retrouvent devant la caméra de Bertrand Blier.
D’emblée, la commission de censure interdit Calmos au moins de 18 ans, tout comme au demeurant Les Valseuses. Le film sort sur les écrans le 11 février 1976, la presse se déchaîne contre le film. C’est une véritable volée de bois vert. Les attaques fusent « pour ce film en forme de pot de chambre », de la presse de gauche comme de droite. Les premiers accusent le film d’être un brûlot réactionnaire anti femmes, les seconds de n’être qu’un immonde film pornographique. Curieusement, l’époque étant plutôt à la contestation, le public boude le film. L’échec est total, critique et public.
Paul (Jean-Pierre Marielle) est gynécologue, il accueille dans son cabinet une femme (Claudine Beccarie) pour un examen. Elle se déshabille et s’installe pendant que le gynéco déballe un colis de pâté en boite et se prépare un en-cas. Sur le fauteuil, les jambes sur l’étrier, la femme offre au médecin son intimité. La vision de sa vulve lui coupe l’appétit. Paul s’éclipse, il en a ras-le-bol des femmes, le sexe (!) ne l’intéresse plus, il est à bout. Dans la rue, après avoir rembarré une femme, il rencontre son pendant, Albert (Jean Rochefort). La mise en place est rapide et efficace, un début à la Blier. Le duo, une paire solide de beaufs absolus, est constitué. Ils plaquent tout : femmes, enfants et travail pour la campagne.
Dans une campagne idéalisée, à la limite de l’image publicitaire, nos deux « héros » reprennent goût à la vie dans une vieille bâtisse. Décontractés du gland, ils profitent du temps, de l’apéro, des civets, de longs moments dans la cabane au fond du jardin, des tranches de saucisson, des plaisirs sans aucune femme pour obscurcir l’horizon.
Calmos, est donc le portrait de deux tocards, de deux hommes d’un autre temps, d’un temps fini. Ils tentent de surnager mais leur univers idéalisé n’a peut-être jamais existé que dans leur imagination de mâles impuissants. Calmos n’est pas une provocation misogyne, ni un film contre les femmes, mais l’illustration d’un monde à l’envers. Les hommes aux fourneaux et les femmes à la guerre. Les femmes se comportent comme des hommes et nos deux mâles comme des femmes. L’inversion des rôles est bien présente mais le film patine, le problème vient certainement d’un trop grand décalage entre nos deux hommes, leurs propos et leurs attitudes, et les femmes.
« Mais nous vivons enfermés dans de telles conventions que dès qu’on s’en échappe, on se fait traiter de fascistes. Nous avons voulu faire un film insolent et provocateur en nous moquant non pas tant des femmes que de la mode érotique actuelle. » Bertrand Blier
Calmos est certes inégal, mais il recèle une galerie de personnages secondaires particulièrement savoureux ; mention à Brigitte Fossey en grande bourgeoise insatisfaite, Bernard Blier en abbé plus vrai que nature et Claude Piéplu « Buñuelien » en diable. Il y a aussi des séquences mémorables : la longue marche des hommes le long de la voie de chemin de fer, un véritable moment de comédie musicale, et d’autres compléments dingues comme cette clinique-camp de la baise !
De l’eau est passée sous les ponts, mais Calmos est resté un film maudit. Quasiment inédit en télévision, il faudra attendre de nombreuses années avant de le voir en DVD. A croire que le sujet est encore extrêmement sensible, et la polémique reste dans toutes les mémoires.
« II faut être de mauvaise humeur. C’est un moteur formidable pour montrer ce qui est ridicule dans la vie, à commencer par nous-mêmes. Il faut s’observer lucidement, nous jouons tous continuellement un numéro. Plus ou moins bon, plus ou moins drôle. » Bertrand Blier
Calmos ressort aujourd’hui en salles dans une période particulière. L’hyper moralisation du XXIe alimentée par le néo féminisme, l’éco féminisme, la cancel culture, le wokisme et toute sorte de radicalisme, ont rendu « propos » de Bertrand Blier encore plus sidérant et prémonitoire. Calmos un film, bête et méchant, jubilatoire et libérateur.
Fernand Garcia
Calmos, un film de Bertrand Blier avec Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Bernard Blier, Claude Piéplu, Pierre Bertin, Brigitte Fossey, Micheline Kahn, Dora Doll, Michel Peyrelon, Valérie Mairesse, Dominique Lavanant, Pierre Frag, Claudine Beccarie, Michel Fortin, Alain Kostinger, Jacques Rispal, Sylvie Joly, Valérie Mairesse… Scénario : Bertrand Blier et Philippe Dumarçay. Directeur de la photographie : Claude Renoir. Décors : Jean André. Costumes : Michèle Cerf. Montage : Claudine Merlin. Musique : Georges Delerue. Producteur : Christian Fechner. Production Films Christian Fechner – Renn Productions. Distribution (France) : Splendor Films (première sortie : 11 février 1976 – reprise le 4 janvier 2023). France. 1976. 97 minutes. Eastmancolor. Format image : 2,35 :1. DCP Version restauré 4K. Interdit aux moins de 16 ans.