Céline (Céline Mauge) décroche le rôle de sa vie. Milan Zodowski (Philippe Rebbot), le plus mystérieux des réalisateurs français, lui propose le premier rôle de son nouveau film. Auteur d’une œuvre culte, palme d’or à Cannes, Milan n’a plus rien tourné depuis son premier film. La mort de sa mère l’a plongé dans une profonde déprime. L’annonce de son nouveau film attire immédiatement l’attention des médias et de la profession. Céline arrive à Saint-Pierre-et-Miquelon où doit se dérouler le tournage. Sur place, une régisseuse, Adèle (Adèle Lebon), et un ingénieur du son, Keanu (Jules Sitruk) l’attendent tandis que Milan s’est enfermé dans un cabanon. Il refuse de voir Céline…
Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon est une comédie douce-amère autant sur le processus de création que sur la recherche d’identité. Christian Monnier aborde ses thèmes avec fantaisie et légèretés pour un film plus surprenant et original qu’il n’y paraît au premier abord.
Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon débute comme une comédie, rythme rapide, personnages truculents, présentation de Milan par le biais d’actualités. Monnier fait preuve d’une véritable invention, par des ponctuations humoristiques (le chœur « antique » de l’île) et un comique de répétition. A la fantaisie de l’ensemble, s’ajoute une dimension plus tragique, où se mêlent réalité et fiction. Céline Mauge (personnage et actrice partage le même nom) ne se doute pas en arrivant dans cet archipel lointain, qu’elle va entreprendre un voyage vers ses origines. Sans le savoir, elle est l’inspiratrice et la protagoniste des caprices du réalisateur.
Milan, comme tout réalisateur digne de ce nom, est un manipulateur, il trouve son inspiration dans la réalité. Adepte d’un cinéma-vérité, l’humain est au cœur de son film. Seul hic l’actrice n’est pas au courant. Milan s’accapare des éléments de la vie de Céline, afin d’alimenter sa propre création, dans un geste créateur, proche de l’autobiographie déguisée. Pourtant, Milan est tétanisé à l’idée de décevoir son public, de ne pas être au niveau des attentes. La pression est trop forte sur ses épaules. Il ne peut alors que s’enfermer dans ses psychoses et dans son rapport mortifère à sa mère défunte. Si Milan est peu présent à l’image, son ombre plane sur tout le film. Entraperçu dans l’encadrement d’une porte, silhouette errant la nuit ou simple voix, Milan existe, toute proportion gardée, comme ses personnages mythiques de l’univers cinématographique (Harry Lime, Col. Kurtz). Son invisibilité entraîne le film vers une longue attente, le « ça tourne » est un leurre. Seul l’enregistreur de Keanu, tourne, livrant le son des animaux de l’archipel. Céline désœuvrée, déprime, son rêve de gloire s’enlise. Si le film ne voit pas le jour, le scénario entraine Céline sur une quête d’identité.
Sous le ciel de Saint-Pierre-et-Miquelon, perce une critique d’un certain cinéma français, incapable de s’affranchir de l’autofiction et du naturalisme. Christian Monnier s’amuse de cette tendance tout en nous livrant en filigrane une réflexion sur la création et la filiation.
Céline Mauge, lumineuse, apporte une énergie teintée d’une certaine mélancolie à son personnage. Actrice rare au cinéma, elle est apparue pour la première fois sur le grand écran dans un petit rôle du fantastico-poétique La fiancée de Dracula de Jean Rollin (1999). Céline est de l’aventure théâtrale des Coquelicots des tranchées, pièce sur la Guerre 14-18, Molière du théâtre public 2015. Céline Mauge est la voix française de nombreuses actrices, Jennifer Lawrence, Sienna Miller, Salma Blair, Elizabeth Debicki, entre autres. Chanteuse, elle est de l’Opéra-Rock de Boris Bergman : La nuit du rat (2006) et sous le nom de Laughing Seabird, elle a deux albums de variété à son actif : And I Become (2016) et The Transformation Place (2021).
C’est toujours un plaisir de voir à l’écran Philippe Rebbot, sa composition d’un réalisateur en marge du système est savoureuse. Toujours aussi imprévisible, Rebbot compose un réalisateur, imprévisible, touchant, drôle et pathétique. Et les deux camarades de « galère » de Céline Mauge, Jules Sitruck et Adèle Lebon, sont excellents. Adèle Lebon, inconnu jusqu’ici, révèle un vrai talent comique.
Christian Monnier, réalise avec Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon son deuxième long-métrage après Le Chien (2009)un étonnant drame rural. On retrouve son sens du cadre, à l’américaine (particulièrement évident dans la séquence canadienne) avec cette manière d’intégrer ses personnages dans des paysages grandioses comme dans des pièces aux dimensions plus modestes. Une des principales qualités de Christian Monnier est de créer progressivement de l’empathie et de l’émotion envers ses personnages. A la fin du voyage (du film), ils sont un peu nos amis.
Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon est un exemple rare de réussite dans ce cimetière de désolation qu’est la comédie française. A voir.
Fernand Garcia
Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon, un film de Christian Monnier avec Céline Mauge, Philippe Rebbot, Jules Sitruk, Adèle Lebon, Patrick Bouchitey, Claire Nadeau, Valérie Mairesse, Dominique Pinon… Scénario : Christian Monnier et Sheila O’Connor. Photographie : Mathieu Seguin et Jean-Marc Selva. Décors : Emmanuel Reveillère. Costumes : Delphine Poiraud. Montage : Christian Monnier et Hugues Orduna. Musique : Mathieu Gauriat. Producteur délégué : Xavier Fréquant. Production : Screen Addict. Coproduction : Cause & Effect Entertainment (Canada) – Jason Ross Jallet – Proarti – Cristal Groupe avec le soutien du CNC et de la Collectivité Territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Distribution : Destiny Films (sortie le 25 mai 2022). France – Canada. 2021. 95 minutes. Couleur. Format image : 2,35 :1. Son : 5.1. Tous Publics.