Pour son premier long-métrage, le britannique Alan Parker a opté pour une comédie musicale aux couleurs des films de gangsters américains des années 20. Le film s’attache à des enfants de 8 à 12 ans avec une certaine nostalgie, utilisant les règles du jeu de la tarte à la crème (slapstick).
L’industrie hollywoodienne employait avec succès des enfants depuis les origines du cinéma. La remarquable performance d’un jeune enfant comme Jackie Coogan, dans le film Le Kid de Charlie Chaplin (1921) incita nombre de producteurs à exploiter de jeunes talents. Les Petites Canailles, une série américaine de courts films de comédie, créée par le producteur Hal Roach, et datant de 1922, raconte les aventures d’une bande d’enfants pauvres.
Le tournage de Bugsy Malone, après un fastidieux casting organisé en Angleterre pour trouver deux cents enfants parlant avec l’accent new-yorkais, ne fut entamé qu’après six semaines de répétitions. Alan Parker s’approprie le genre « film de gangster » américain avec un classicisme rigoureux, en situant l’action durant la sombre période de la Prohibition. C’est une époque de suspicion, où l’on longe les rues ténébreuses, désœuvré et le ventre vide, où l’on a l’habitude de porter une batte de base-ball pour se protéger, de chuchoter (speakeasy), afin de ne pas attirer l’attention dans un bar clandestin au moment de commander un verre. Où l’on rêvait surtout de Hollywood et de Broadway, de devenir riche et célèbre. C’est aussi une époque de guerre des gangs…
L’histoire de Bugsy Malone est racontée à tour de rôle, par deux chefs de gangs concurrents : Gros Sam et Dan le Dandy. Chacun rêve de devenir le « Mr. Big » et de diriger la ville de New York. Chez Gros Sam, dans le cabaret « Grand Chelem » déguisé en librairie, on trouve des danseuses ondulantes, aux visages de poupées de porcelaine fardées, couvertes de bijoux et de fourrure. Entre la soie, le strass et les plumes, le chant beuglant des sirènes est mené par la vamp des vamps, Tallulah, jouée par une remarquable Jodie Foster, déroutante de maturité.
Tallulah, la femme de Gros Sam le mafioso, qui braille avec un accent italien, jette son dévolu sur Bugsy Malone – jeune dandy désœuvré, de mère italienne et de père irlandais. Ce dernier déambule au sein de ce monde de truands, dans son costume impeccable, cheveux gominés et le chapeau vissé sur la tête. Bugsy, qui dans le quotidien mise sur des boxeurs, devient bras droit de Fat Sam, fait la cour à Blousey, et engage une bande de chômeurs inscrits à la soupe populaire pour combattre Dandy Dan. La bande de Dandy Dan possède une arme lanceuse de petits suisses, qui représentera un sérieux avantage, face à Gros Sam. Très vite la guerre des gangs fait la Une.
Tout ce petit monde, prétendument « adultes », dirigé avec beaucoup de délicatesse, est réduit à des proportions lilliputiennes : le cabaret et ses meubles, les voitures à pédales, les vêtements et autres accessoires désignant l’époque. Avec une maladresse infantile attendrissante, les poupons imitent les grands dans les gestes : ils savent charger les armes, raser un client, se lancer dans un échange verbal argotique avec tout un sérieux des mimiques et intonations.
Pourtant, tout n’est pas permis. Les astuces du cinéma des années 20, censuré par le code Hays (1920-1930), retrouvent une certaine actualité dans ces années soixante-dix. L’imagination pouvait errer en toute liberté, tant qu’elle ne violait pas les principes obligés : la consommation de spiritueux est bannie de l’écran. C’est ainsi qu’on voit dans le film Bugsy ou Gros Sam siroter des grenadines d’une grande variété de couleurs. L’adultère ne doit pas être présenté explicitement ni montrés les baisers lascifs. C’est pour cette raison que l’on voit Tallulah ne fixer un baiser sensuel que sur le front de Bugsy, provoquant la jalousie et le désespoir de Blousey. Le code Hays était certainement rédigé par de grands enfants pervers.
La violence qui régnait à New-York, dans les ruelles sombres peuplées de voyous, ressemblait parfois à l’horreur de la découverte des voix des comédiens du muet. Les mouvements accélérés des 18 images par seconde du muet, les numéros comiques exécutés à la façon de Laurel et Hardy, le rythme des claquettes dansées à la manière de Ginger et Fred forment une image du cinéma de cette époque, du passage du muet au parlant, en appuyant la métaphore de la jubilation par une plaisanterie enfantine. Les bruitages du film sortent tout droit des vieux films de gangsters : la voiture-bicyclette freine comme une vraie voiture lancée à grande vitesse ; dans la scène du meurtre chez le coiffeur, on entend le claquement des ciseaux, le match de foot à la radio… le tout accompagné par quelques accords de piano menaçants. Le cinéma des débuts du parlant avait beaucoup profité de la « friture » pour tester la ligne.
Une des particularités du slapstick était que les acteurs adoraient tourner en dérision leur propre travail. La scène finale, où chacun a le droit à sa tarte à la crème dans la figure, tourne au grand goûter chahuteur. On peut imaginer l’enthousiasme des mômes, à l’écoute du mot « Action ! » du réalisateur. Les règles du jeu posées au début du film – tarte à la figure égal mort – sont cassées : « ça devient ridicule ! », dit le Gros Sam. Tout se termine avec une grande réconciliation.
Ce film est resté dans la fraicheur de l’enfance, du cinéma des débuts, de la période du muet, de sa jeunesse. Éden perdu qu’Alan Parker traduit par le cinéma-pastiche des bambins face à la maturité des codes du genre. Un cruel monde d’adultes, vu à travers le prisme fragile du monde de l’enfance, d’où se dégage un rire à peine critique, mais surtout amusé.
Rita Bukauskaite
Bugsy Malone, un film d’Alan Parker, scénario : Alan Parker. Photo : Peter Biziou, Michael Seresin. Musique : Paul Williams. Producteurs : Alan Marshall, David Puttman. Production : Goodtimes Enterprises – Bugsy Malone Productions Ltd. Avec Jodie Foster, Scott Baio, John Cassisi, Florrie Dugger, Paul Murphy, Sheridan Earl Russell. GB. 1976 93 mn.
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