A priori un film sur un match de tennis entre deux joueurs aussi emblématiques soient-ils n’est pas fait pour nous exciter. Il faut dire que depuis quelques années, l’avalanche de biopics nous a gavé des films conventionnels distillant un ennui feutré. Le tennis n’a jamais vraiment fait recette au cinéma, on se souvient du match de L’inconnu du Nord Express d’Alfred Hitchcock, de la partie de M. Hulot durant ses fameuses vacances. Et puis, plus rien jusqu’aux années 80 où le tennis se démocratisant, le cinéma s’y intéresse à nouveau avec une petite poignée de films dont émerge à grande peine Smash produit par Robert Evans avec Ali MacGraw. Justement en 1980, c’est la finale du tournoi de Wimbledon entre Björn Borg et John McEnroe, l’un de ses événements si puissants émotionnellement aux incroyables rebondissements qu’il entre aussitôt dans la légende. Alors un film autour de cette finale – pourquoi pas. Heureuse surprise, c’est passionnant. Soyons honnêtes le réalisateur Janus Metz et son scénariste Ronnie Sandahl ont réussi un petit tour de force, alors ne boudons pas notre plaisir.
Juin 1980, Wimbledon s’apprête à accueillir les plus grands noms du tennis mondial. Le suédois Björn Borg vit avec sa femme et son entraîneur à Monaco. Il sent sur ses épaules l’énorme pression de jouer à nouveau Wimbledon après quatre victoires consécutives. Il est envahi par une angoisse sourde. Aux Etats-Unis, John McEnroe est l’enfant terrible des courts; caractériel, emporté, il est capable de tous les excès. McEnroe est l’exact inverse de Borg. Tout les oppose – du pain béni pour la presse. Le monde entier attend une finale entre les deux champions…
A travers cette confrontation, Janus Metz nous raconte l’itinéraire de deux hommes que tout semble opposer. Avec un grand sens de la narration, il enchaîne les retours en arrière sur l’enfance, les années de formation et l’époque. Très vite, nous sommes pris dans ce tourbillon, que l’on connaisse ou non le résultat de la finale, l’essentiel n’est pas là. Comment deux hommes de culture différente, chacun à sa manière se fraye un chemin dans la vie. On les découvre hors du court, des hommes pétris de doutes et d’angoisses. En apparence très différents, ils sont assez proches dans le fond. Deux solitaires qui vont apprendre à leur manière à canaliser la rage qui les anime: Borg en intériorisant, McEnroe en extériorisant. L’un des grands mérites du film est d’entrer intelligemment dans l’intimité de deux hommes, sans excès, ce qui n’est pas si fréquent dans le genre.
Modestement et toute proportion gardée, Borg / McEnroe se rapproche de l’humanité de Raging Bull (Martin Scorsese, 1980). Il est aujourd’hui étonnant de découvrir des champions avec un entourage aussi limité, Borg avec son mentor/entraîneur et sa femme, quant à McEnroe, il est cloîtré dans sa solitude. De belles scènes : Borg ajustant les cordages de ses raquettes la nuit dans sa chambre d’hôtel. McEnroe écrivant au mur les différentes phases jusqu’à la fameuse finale. Finale que Janus Metz met en scène avec un réel sens du timing. On se laisse prendre au jeu et l’on finit par vivre intensément chaque échange.
Le quatuor d’acteurs réuni par Janus Metz n’est pas étranger à la réussite du film. Sverrir Gudnason est une révélation, il réussit à faire sortir Borg de ce carcan de froideur dans lequel l’imaginaire collectif le cantonne. Shia LaBoeuf, acteur sous-estimé, donne de McEnroe une interprétation à fleur de peau, qui prouve toute l’étendue de son talent rarement mis en valeur. Plus besoin de présenter Stellan Skarsgård, découvert par le grand public avec Breaking the Waves (1996). Il est depuis un familier de l’univers de Lars von Trier et c’est avec une grande aisance qu’il alterne blockbusters hollywoodiens et films d’auteurs, toujours parfaitement juste, un virtuose. Tuva Novotny, dans le rôle de la petite amie de Borg, existe par de petites touches d’une grande finesse qui lui donne une incroyable présence à l’écran. Il faut aussi citer l’excellence des jeunes acteurs qui incarnent les deux champions à différents âges de leurs vies, avec une particularité: c’est le propre fils de Björn Borg Leo qui le joue de 9 à 13 ans.
Janus Metz, nous l’avions découvert avec un documentaire sidérant sur un contingent de soldats danois en Afghanistan : Armadillo (2010) récompensé par le Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes. Avant Borg/McEnroe, il a mis en boîte l’épisode Maybe Tomorrow de la saison 2 de True Detective (2015) avec Vince Vaughn, Colin Farrell et Rachel McAdams. Janus Metz confirme l’excellence des cinéastes danois et c’est avec une certaine impatience que nous attendons son prochain film…
Fernand Garcia
Borg / McEnroe, un film de Janus Metz avec Sverrir Gudnason, Shia LaBeouf, Stellan Skarsgård, Tuva Novotny, Ian Blackman, Leo Borg, Robert Emms, Marcus Mossberg, Jackson Gann, Scott Arthur, David Bamber… Scénario : Ronnie Sandahl. Image : Niels Thastum. Directeur artistique : Lina Nordqvist. Costumes : Kicki Ilander. Montage : Per Sandholdt et Per K. Kirkegaard. Musique : Jonas Struck, Vladislav Delay, Jon Ekstrand & Carl-Johan Sevedag. Producteurs : Jon Nohrstedt & Fredrik Wikström Nicastro. Production : SF Studios Production AB – Danish Film Institute – Film i Väst – Nordisk Film – Nordisk Film & TV Fond – SF Studios – SVT – Swedish Film Institute – Yellow Film & TV. Distribution : Pretty Pictures (Sortie le 8 novembre 2017). Suède – Danemark – Finlande. 2017. 108 minutes. Ratio image : 2,35 :1. Couleur. Film d’ouverture Toronto International Film Festival, 2017. Tous Publics.