Compte-rendu et réflexion
Festival de la Cinémathèque : Sans la connaissance de notre passé, notre futur n’a aucun avenir. C’est pourquoi le passé est un présent pour demain.
Le Festival de la Cinémathèque (ex Toute la mémoire du monde ), le Festival international du film restauré, a fêté ses 11 ans avec une riche sélection de restaurations prestigieuses accompagnées d’un impressionnant programme de rencontres, de ciné-concerts et de conférences.
Moment privilégié de réflexion, d’échange et de partage qui met l’accent sur les grandes questions techniques et éthiques qui préoccupent cinémathèques, archives et laboratoires techniques mais aussi, bien évidemment (on l’espère encore !), éditeurs, distributeurs, exploitants et cinéphiles, le Festival de la Cinémathèque, né dans le contexte de basculement du cinéma dans l’ère du numérique, propose une fois de plus, cette année encore, une programmation exceptionnelle en donnant à voir aux spectateurs les chefs d’œuvre comme les œuvres moins connues (curiosités, raretés et autres incunables) du patrimoine du cinéma. Avec toujours un élargissement « Hors les murs » dans différentes salles partenaires de la manifestation à Paris et banlieue parisienne, puis, dans la continuité du festival francilien, en partenariat avec l’ADRC (Agence nationale pour le développement du cinéma en régions), plusieurs films tournent après le festival dans des cinémas en régions, pour sa onzième édition, le Festival International du film restauré, renommé cette année « Festival de la Cinémathèque », s’affirme comme étant l’immanquable rendez-vous dédié à la célébration et à la découverte du patrimoine cinématographique mondial.
Créé par La Cinémathèque française en partenariat avec le Fonds Culturel Franco-Américain et Kodak, et avec le soutien de ses partenaires institutionnels et les ayants droit essentiels aux questions de patrimoine, ce festival est incontournable pour les cinéphiles passionnés, les amoureux du patrimoine cinématographique, les archivistes, les historiens, les chercheurs et autres curieux. Riche et foisonnante, la programmation du festival nous a proposé un panorama très éclectique des plus belles restaurations réalisées à travers le monde et a salué ainsi non seulement le travail quotidien des équipes des différentes institutions, mais nous a fait également prendre toute la mesure de la richesse incommensurable de cet Art qui n’a de cesse de témoigner tout en se réinventant tout le temps.
Succédant aux prestigieux parrains / marraines et invités d’honneur des éditions précédentes, de William Friedkin à Carole Bouquet en passant par Francis Ford Coppola, Dario Argento, Isabella Rossellini, Wim Wenders, Joe Dante, Jerzy Skolimowski, Philip Kaufman, Wes Anderson, Nicolas Winding Refn ou encore, l’année dernière, Joel Coen et Kiyoshi Kurosawa, c’est le cinéaste australien Peter Weir, réalisateur entre autres de Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock, 1975), La Dernière Vague (The Last Wave, 1977), L’Année de tous les dangers (The Year of Living Dangerously, 1982), Witness (1985), The Mosquito Coast (1987), Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society, 1989) ou encore The Truman Show (1998), qui cette année était le Parrain du festival. Cette édition lui a donc rendu hommage en projetant non seulement certains des films les plus importants de sa carrière qu’il a présenté lui-même au public, mais aussi, en lui proposant une carte blanche. Des rencontres privilégiées, leçons de cinéma, dialogues et Master Class avec le cinéaste comme avec de nombreux autres invités dont Judit Elek, Nancy Savoca ou encore Jean-Baptiste Thoret, étaient également au programme de cette nouvelle édition. Cosmopolite, sans frontières, le Festival a également permis de rendre hommage à Jacques Deray, Sadao Yamanaka et Machiko Kyo et de redécouvrir, des joyaux récemment restaurés par les ayants droit, les archives et les laboratoires du monde entier.
Comme pour chacune des éditions précédentes, après le son, la couleur, le relief et le numérique, le festival a proposé une journée de rencontres et d’études internationales consacrée cette année à la thématique : « L’intelligence artificielle générative : une révolution pour le cinéma ? ». Des débats, des rencontres, des conférences et des tables rondes en présence de professionnels (artistes, réalisateurs, techniciens, scientifiques, restaurateurs, chercheurs, historiens, critiques ou encore universitaires du monde entier) ont été organisés pour connaitre les perspectives et innovations que cette technologie apporte au cinéma mais aussi les limites de cet outil. L’Intelligence Artificielle représente-t-elle réellement la 5ème révolution du cinéma ? Une problématique au cœur des préoccupations professionnelles : Comment parvenir à un juste équilibre entre l’Art et la Technique ? Comment la Technique peut-elle servir ou venir en aide à l’Art sans le dénaturer ?
Plus largement, ce sont les travaux de recherche, de collecte, de restauration, de conservation et de diffusion qui sont mis en lumière ici et dont les questions sont au cœur même des enjeux de la « mémoire ». « Mémoire » qui, inévitablement, pose la question de la transmission du patrimoine cinématographique au public. Le cinéma possède et permet d’offrir à l’Homme une « mémoire » du monde, une « mémoire » de son histoire, une « mémoire » de son existence. Comment la préserver et la diffuser ?… Le Cinéma est un témoin de l’Histoire. Le patrimoine est précieux. Nous nous devons de le préserver afin de préparer l’avenir. Ces « actions » sont donc essentielles. Elles permettent aux spectateurs de découvrir quelques-uns des secrets des évolutions de la fabrication des films dans le temps mais évidemment aussi ceux des techniques de restauration et de conservation. Ce sont ces actions qui permettent de favoriser le lien entre les œuvres qui fondent notre « mémoire » et les cinéphiles. Le festival permet au public de découvrir ou de redécouvrir sur grand écran de nombreux films restaurés, des trésors historiques. La technologie au service de la mémoire cinématographique permet au spectateur d’assister à des projections sublimes d’œuvres exceptionnelles et rares. A l’image de dispositifs tels que « Collège au Cinéma », « École et cinéma » ou « Lycéens et apprentis au cinéma », destinés au jeune public, le rôle d’une telle manifestation relève du travail de l’éducation à l’image. Chacun doit pouvoir avoir accès à une culture cinématographique, essentielle à la culture mondiale au sens le plus large du terme. Il faut connaître notre passé car notre patrimoine nous aide à comprendre notre présent et de fait, nous aide à mieux préparer notre avenir. Rien ne se crée d’intelligent aujourd’hui et rien ne se créera d’intelligent demain sans l’héritage d’hier. Bien plus qu’une « simple » question de mémoire, la connaissance du cinéma et de son histoire protège l’avenir de cet Art comme celui de notre civilisation. Comme pour l’Histoire, le « passé » du cinéma doit être présent dans nos mémoires car il féconde son propre avenir et donc le nôtre. Le Cinéma et son histoire sont l’affaire de tous. Il en va de notre responsabilité que cette mémoire collective accompagne les générations futures d’une éducation à l’image et au cinéma afin qu’elles apprennent à lire, comprendre et apprécier toute la richesse et l’intelligence que propose cet Art, témoin primordial à la connaissance du monde. C’est par la connaissance que l’on développe, affine et aiguise sa culture, ses goûts, son esprit critique et son jugement. L’Art en général, et le cinéma en particulier, nous « élève », dans tous les sens du terme. Il nous instruit et il nous éduque. Il nous emmène au-delà de notre propre condition.
La finalité de l’art est le plaisir esthétique qui va toucher la sensibilité, les sensibilités et l’intelligence. Ni superficiel, ni illusoire, l’art est une inépuisable sphère riche de sens de l’activité humaine et assure l’éducation esthétique de l’homme. L’art nous soulage et nous libère de nos conditions. Le cinéma transcende la réalité immédiate et révèle par la même la nature essentielle des choses. Sans se contenter d’appliquer mécaniquement des recettes toutes faites d’après des règles quelconques, le cinéma (le vrai) a pour rôle entre autres de nous apprendre à observer le monde, la nature, l’Histoire, l’Homme, la vie. Le cinéma nous sensibilise autant à leurs beautés qu’à leurs horreurs. Le cinéma dépasse sa condition première pour devenir utile. Il a une « beauté libre » (naturelle) et possède également une « beauté adhérente » (enrichissante et utile) – Emmanuel Kant. Il répond à un besoin de l’esprit. D’une richesse et d’une utilité insoupçonnées, en « montrant » les choses, le cinéma prévient des maux de la société et des individus. Il est le témoin révélateur des dangers qui menacent l’humanité des pulsions refoulées que créent nos sociétés modernes. Par ses expositions et ses représentations, le cinéma permet de nous soustraire aux psychoses, névroses et perversions collectives et devient une catharsis morale, intellectuelle et physique indispensable. C’est donc par sa protection, sa restauration et sa diffusion au plus grand nombre que passe, autant que la nôtre, la sauvegarde du cinéma, que passe la sauvegarde de son histoire, de sa mémoire et de son avenir. Aujourd’hui, plus que jamais, l’art en général et le cinéma en particulier, sont une question de salubrité intellectuelle.
Et pourtant, en ces temps très préoccupants d’hystérie collective et de pression sociale où, confondant (ignorant) tout, regroupés par le biais des réseaux sociaux et confortés par leurs « succès » aussi bien dans les faits que dans les médias, tel un tribunal populaire, des personnes incultes et « intellectuellement incompétentes », des obscurantistes, encouragés, manipulés et instrumentalisés par les tout aussi incompétents et incultes parvenus, veules et nuisibles qui occupent par opportunisme les postes de pouvoir et de décision (si inutiles pour beaucoup qu’ils peuvent être considérés comme des postes fictifs), des entreprises et des institutions, mettent tout et n’importe quoi au même niveau et provoquent des excès de censure dans le cinéma d’auteur qui font froid dans le dos. L’état des lieux de la culture en France aujourd’hui est à l’image de ceux de l’éducation et de la santé : catastrophique. Méprisée de manière totalement décomplexée et assumée, la culture et son accès restent des combats de chaque instant. En ces temps très préoccupants d’hystérie collective et de pression sociale où on assiste au triste retour de la dictature de la morale et à une effrayante et dangereuse « révision » de l’Art, de l’Histoire et de la Culture, le Festival de la Cinémathèque fait acte de résistance et devient tout simplement indispensable.
Cinq jours durant, dans 9 cinémas (La Cinémathèque française, La Filmothèque du Quartier Latin, Le Christine Cinéma Club, L’Ecole Cinéma Club, La Fondation Jérôme Seydoux – Pathé, L’Archipel, L’Alcazar, Le Vincennes et Le Reflet Médicis) le Festival de la Cinémathèque a donc proposé cette année encore, près d’une centaine de séances de films rares et/ou restaurés présentés par de nombreux invités et répartis en différentes sections pour célébrer le cinéma de patrimoine et fêter en beauté son onzième anniversaire.
S’ouvrant toujours à une plus grande diversité cinématographique et poursuivant son extension dans Paris, en régions, avec le soutien de l’ADRC et de l’AFCAE, et dans le monde entier sur HENRI, la plateforme VOD de la Cinémathèque, la onzième édition du festival de la Cinémathèque a rassemblé plus de 11 000 spectateurs (soit 10% de plus que la précédente édition). Un succès qui ravit ! C’est avec impatience que l’on attend déjà la prochaine édition.
Steve Le Nedelec