Elle fume le cigare, s’habille en homme, joue au poker et parfois même de la gâchette, Belle Starr est une femme en avance sur son temps. Dans la salle de jeu d’un saloon, elle rencontre au cours d’une partie de poker à deux un bellâtre Larry Blackie, un hors-la-loi. Il n’est pas insensible au charme de cette magnifique rousse. Elle en est bien consciente. Belle Starr perd (volontairement), Larry gagne sourire en coin. A la fin de la partie, il lui propose un quitte ou double où elle joue… son corps pour une nuit d’amour…
Belle Starr Story est l’un des très rares westerns réalisés par une femme. Lina Wertmüller, réalisatrice italienne, fut aussi la première femme à être nommée pour l’Oscar de la meilleure réalisation en 1977 pour Pasqualino, signe ici sous le pseudonyme de Nathan Wich. Ce pseudonyme regroupe en fait deux réalisateurs, Piero Cristofani, qui quitta le tournage quelques jours après le début, et Lina Wertmüller. Celle-ci en 1968 avait déjà plusieurs films à son actif quand elle reprend le film. Elle retravaille en cours de tournage le scénario et se trouve créditée pour l’histoire au générique sous le nom de Gieorge Brown.
Le film s’appuie sur l’histoire réelle de Belle Starr, célèbre hors-la-loi américaine de la fin du XIXe siècle. Belle Starr Story est le portrait d’une femme dans un monde d’hommes au machisme exacerbé. Dans cet environnement masculin, elle n’abandonne jamais la partie. Revendiquant à chaque instant sa liberté, elle n’en est pas moins fascinée par un même type d’hommes – sauvages, fougueux et dominateurs – mais c’est elle qui choisit ses partenaires.
Bella Starr Story a ceci d’unique que c’est un western féministe, il adopte le point d’une femme qui exprime ses désirs, qui effectue des choix et qui décide de son destin. Une scène est emblématique de cette volonté d’émancipation. La révolte se situe tout d’abord dans l’environnement familial. Son père, le colonel Jonathan Shelley, est un politique corrompu, qui décide pour la bonne marche de ses affaires de la marier à un vieux politicard. Naïve, la jeune Myrabelle Shelley espère le prince charmant, quand elle découvre la sinistre mascarade de son géniteur. Elle se rebelle et refuse ce mariage arrangé. Le rejet du père est aussi une remise en cause de la société qui permet de tels agissements. Elle abandonne son nom et prénom pour devenir Belle Starr, une femme libre.
Ce qu’il y a de beau dans Bella Starr Story, outre la rébellion de son personnage, c’est que l’érotisme qui émane du film est vu du côté féminin. A titre d’exemple, ce n’est pas les mains du héros sur la chevelure de Belle Starr qui intéresse Wertmüller mais le contact des doigts de Belle Starr dans les cheveux de Larry. Il se dégage une grande sensualité des différentes scènes entre Belle Starr et ses deux amants. Sensualité mais aussi rapport de forces. Belle Starr doit s’affirmer et c’est une sorte de lutte permanente qu’elle engage avec eux.
Les jeux de l’amour sont aussi des jeux de pouvoir et de domination. Qui aura le dessus sur l’autre ? Le combat est permanent entre les deux sexes. Et l’homme, soit un gentleman ou un vulgaire cow-boy, tombe bien vite dans les travers : voyeurisme, paternalisme, brutalité. Ils acceptent mal qu’une femme puisse empiéter sur leur territoire que ce soit son père ou ses amants. Lina Wertmüller joue avec les symboles sexuels liés à la masculinité. L’image du cow-boy, Larry, ultra-macho, (et futur amant de Bella Starr) sur son cheval blanc en pleine forêt, à qui Lina Wertmüller met une boucle d’oreille avec une évidente malice alors que son héroïne n’en porte pas. Le film démontre qu’en chaque être humain il y a une part féminine et une part masculine. Evidemment, la possession du pistolet et son utilisation à une dimension toute sexuelle. L’homme n’est pas prêt de perdre ce symbole puissant de sa virilité, voir l’incroyable crise de Cole Harvey après avoir été dépossédé de son arme par Bella Starr.
The Belle Starr Story n’est pas un western réaliste, il y a des anachronismes assumés et proche d’une sorte de fétichisme comme le cigarillo à embout ou la tenue de cuir noir de Bella Starr. Nous sommes dans une vision personnelle, celle de Lina Wertmüller, des rapports homme-femme sur le fond d’érotisme et de violence. Sa mise en scène est dynamique et son découpage est remarquable. Elle sait mettre en place une action et faire monter la tension. La séquence, où Belle Starr se retrouve dans un saloon confrontée aux hommes de Blackie, est un exemple parmi d’autres qui démontre la grande maîtrise de Lina Wertmüller. Sa structure linéaire s’enrichit d’une scène déstructurée, dont le sens ne nous sera révélé qu’au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, de flash-back et de narration en voix off. La séquence du cambriolage avec ses multiples rebondissements est un grand moment de bravoure du film. Sa direction d’acteurs tire le meilleur de ses comédiens.
Elsa Martinelli, découverte dans Hatari ! du grand Howard Hawks, donne avec Bella Starr l’une de ses meilleures interprétations. Wertmüller accentue son côté androgyne entraînant ainsi les scènes vers une ambivalence sexuelle certaine. George Eastman (Luigi Montefiori), l’un des grands noms du cinéma bis transalpin, et le Minotaur du Satyricon de Fellini (1969) incarne à la perfection le ténébreux Larry Blackie. De son côté, Robert Woods est un cowboy flamboyant et le Croate Vladimir Medar, un père crapoteux à souhait.
Belle Starr Story est une vraie (re)découverte et mérite une réévaluation dans l’histoire du western européen, voire dans l’histoire du western tout court.
Fernand Garcia
Belle Starr Story est édité dans une excellente copie par Artus Films avec en complément de programme Mon corps pour un poker avec l’un des grands spécialistes du western européen, Alain Petit, qui revient en détail sur le film de Lina Wertmüller (32 mn), c’est passionnant et instructif. Un diaporama et les formidables films-annonces (Matalo !, Belle Starr Story, Mort ou Vif, Bonnes funérailles… amis, Sartana paiera ! et Quand les colts fument… on l’appelle Cimetière) de la collection Western européen. Que du bon !
The Belle Starr Story (Il Moi corpo per un poker), un film de Lina Wertmüller (Nathan Wich) avec Elsa Martinelli, Robert Woods, George Eastman, Dan Harrison, Vladimir Medar, Eugène Walter, Remo De Angelis, Bruno Corazzari, Orso Maria Guerrini, Francesca Righini. Scénario : Nathan Wich Adaptation : Nathan Wich et Gieorge Brown. Directeur de la photographie : Alessandro Deva. Décors : Pino Aldrovandi et Giorgio Giovannini. Costumes : Herta Schwarz Scavolini. Montage : Renato Cinquini. Musique : Charles Dumont. Producteur : Oscar Righini. Production : Mercurfin Italiana. Italie. 1968. 93 mn. Couleurs (Telecolor). VF et VOST.