Plaine du far-west, le gang de Remy (Warren Oates) se sépare. Ils ont en ligne de mire leur plus gros coup. Trois hommes prennent la direction d’une ville naissante au bord d’une rivière où une barge permet de joindre les deux rives. C’est là qu’exerce Travis (Lee Van Cleef) en tant que barquero. Dans la ville où doit se rendre le gang, Remy passe la journée dans les bras d’une prostituée mexicaine. Il est fébrile, il attend l’arrivée de ses hommes pour passer à l’action…
Barquero est un western entre deux rives, symboliquement, de chaque côté, s’affrontent deux visions du western moderne. L’une est représentée par Warren Oates, l’acteur de Sam Peckinpah, l’autre par Lee Van Cleef, star du western spaghetti, de Sergio Leone. Le style de Barquero emprunte aux deux mais l’ensemble est vu par Douglas Gordon, un vétéran du western classique américain. Et pour mieux brouiller les cartes, Douglas a une idée de génie, il inverse les rôles: ainsi Warren Oates hérite du pistolero psychopathe (plus en vogue dans le cinéma Italien qu’Américain) et Lee Van Cleef de l’homme rude mais bon (plus conforme au western américain qu’au cynisme italien). Gordon Douglas s’approprie un film qui à l’origine ne lui était pas destiné.
Barquero est une commande, Douglas remplace au pied levé Robert Sparr, mort quelques semaines avant le début des prises de vues. Le film porte la marque de Douglas au meilleur de sa forme. Barquero est plus qu’une simple imitation ou récupération du style violent et cynique des westerns de la fin des années 60. Douglas, qui avait la réputation d’être bon voire excellent à partir du moment où il sentait des affinités avec le scénario, trouve dans celui des éléments propices à l’expression de son art. Barquero est un film d’attente, l’action est comme suspendue et encadrée entre deux séquences d’une grande violence. La première ouvre le film. Remy et sa bande de mercenaires attaquent une ville pour s’emparer des caisses de fusils de l’armée américaine. C’est un carnage, tous les habitants sont tués par les hommes de Remy avec la hargne et cette soif de sang qui habite ceux dont le quotidien est la mort. La dernière clôture le film, un autre bain de sang. Entre les deux, l’action suspend son pas au bord de la rivière, des deux côtés, Travis et Remy, lente phase d’observation comme avant un combat. Pour fuir, Remy doit absolument traverser la rivière, les hommes dépêchés pour neutraliser Travis ont échoué. Chacun se retrouve d’un côté, face à face à distance. Travis avec un groupe de nouveaux conquérants, culs bénis, la nouvelle morale de l’Ouest, Remy avec ses mercenaires, image d’un temps sauvage sans foi ni loi. Ceci provoque aussi les tensions intérieures au sein de chaque groupe. Chaque microcosme de société porte en elle les germes de la violence de manière plus ou moins développée.
Dans ce qui semble être l’apanage des hommes, deux femmes vont s’opposer l’une de l’autre. L’une est brune, bien en chair (surement le personnage à la poitrine la plus généreuse de tout le western), Nola (Maria Gomez) extravertie, femme libre et d’action, l’autre, Anna (Mariette Hartley), blonde, robe boutonnée jusqu’au cou, silhouette frêle, chrétienne, mariée. Là aussi, le scénario effectue une sorte de glissement de terrain. Au cours de deux séquences assez surprenantes entre Anna et Travis, Anna ne propose rien de moins à Travis que de coucher avec lui contre la libération de son mari détenu en otage par Remy. Elle utilise des arguments qui détonnent, elle se présente comme une vraie femme à l’opposé de Nola, une femme qui peut donner plus que cinq ou six minutes d’amour simulé. Anna arrive à ses fins et couche avec Travis. L’échange qui s’ensuit est remarquablement bien écrit, le rapport de forces s’inverse, Travis en prend pour son grade. La victoire est pour Anna, elle devient l’archétype de ce nouveau monde malaxé dans le capitalisme et de la morale puritaine. Travis s’en retrouve tout désemparé tout comme Remy face à l’eau.
Lee Van Cleef (Travis) incarne le héros traditionnel du western classique américain, lui qui a joué tant de raclures du far-west, multiplié les seconds rôles, et revient aux Etats-Unis pour un rôle de premier plan. C’est une victoire pour lui et ce n’est que justice. Il est de ces acteurs que l’on n’oublie pas grâce à son formidable charisme. Son personnage est dans la ligné des héros bougons et bourrus, qui prennent la défense d’une communauté face à la barbarie. Van Cleef est impeccable. Warren Oates (Remy) est prodigieux, regard fou de celui qui a connu l’enfer de la violence et qui ne peut vivre que par elle. Il arrive à transmettre, à rendre palpable cet instinct bestial qui le domine. Grande idée que de lui donner la phobie de l’eau le condamnant ainsi à rester sur la rive à ruminer. Fantastique séquence où il tire dans l’eau, action dérisoire d’impuissance face à la nature. Ce qui aurait pu être ridicule est glaçant dans le cas présent porté par un acteur véritablement investi.
Gordon Douglas tire le meilleur de chaque scène, ses positions de caméra sont impeccables, son découpage est plus d’une fois étonnant. On admire sa maîtrise de l’espace, sa composition des plans, sa manière toute personnelle de mettre un corps allongé au premier plan dans des extérieurs toujours surprenants. Le rythme est soutenu et dans cette longue attente, les rebondissements arrivent avec une véritable science du spectacle. Il accorde une place importante aux seconds rôles, les caractérisant immédiatement soit par une attitude sympathique, Forrest Tucker, soit dans le cynisme le plus pur, Kerwins Matthews. C’est un festival bienvenu de sales tronches, de pervers, de psychopathes, de décérébrés, etc.
Barquero est à rangé parmi les grandes réussites de Gordon Douglas.
Fernand Garcia
Barquero est édité en combo DVD + Blu-ray par Sidonis / Calysta dans la collection Western de légende. Le film est proposé dans une superbe restauration HD image et son, la partie complément nous propose deux analyses du film. Bertrand Tavernier revient longuement sur Barquero « un film que j’avais sous-estimé mais dont j’avais repéré les qualités » et la carrière de Gordon Douglas, une belle réévaluation (26 minutes). Patrick Brion pour qui le film est une belle réussite pour un cinéaste qui a touché à tous les genres (5 minutes). Enfin, la bande-annonce (2’46) et une galerie de photos pour clore cette belle édition.
Barquero un film de Gordon Douglas avec Lee Van Cleef, Warren Oates, Forrest Tucker, Kerwin Mathews, Mariette Hartley, Marie Gomez, Armando Silvestre, John Davis Chandler, Craig Littler, Ed Bakey… Scénario : George Schenck & William Marks. Directeur de la photographie : Jerry Finnerman. Décors : Allen E. Smith. Costumes : Ray Phelps. Montage : Charles Nelson. Musique : Dominic Frontiere. Producteur : Hal Klein. Production : Aubrey Schenck Entreprises, Inc. – United Artists. Etats-Unis. 1970. 115 minutes. Couleur (DeLuxe). Ratio image : 1,85 :1. Son : VO STF et VF DTS HD. Tous Publics.