Dans la petite ville de Salem, Lily et ses trois meilleures amies, en terminale au lycée, évoluent dans l’univers vide et superficiel des selfies, des emojis, de snapchats et des sextos. Un hacker provoque un scandale général en piratant les données personnelles des habitants, dont la vie est désormais exposée en place publique. La petite ville de banlieue sans histoire sombre alors très vite dans le chaos total. Du jour au lendemain, les quatre adolescentes vont faire l’objet d’une attention médiatique et être la cible d’une véritable chasse aux sorcières… Lily et ses camarades survivront-elles à cette nuit infernale ?
Après Another Happy Day (2011), écrit et réalisé par Sam Levinson, le fils du cinéaste Barry Levinson (Good Morning Vietnam, Rain Man, Sleepers…), Assassination Nation est un uppercut 2.0 qui met K.O. une Amérique plus que jamais tiraillée entre puritanisme historique et nouvelle impudeur numérique. Au programme du second long métrage du jeune cinéaste : Hystérie collective, humiliation, dénonciations calomnieuses, désignation de boucs émissaires, hypocrisie, harcèlement scolaire, préjugés de classe, meurtres, alcool, drogues, sexe, homophobie, transphobie, armes à feu, nationalisme, racisme, kidnapping, sexisme, obscénités, torture, violence, gore, lynchage,… bref, l’univers des ados élevés et abrutis par leurs téléphones qui les ont divisés en deux : l’être véritable et la personne publique, l’image que l’on projette, que l’on souhaite donner. Comment se construire et ne pas devenir un monstre dans le monde effrayant qui nous entoure aujourd’hui ?
Au début du film, Lily, l’héroïne, cite la célèbre sociologue Susan Sontag lorsqu’elle parlait des leçons qu’elle avait tirées de l’Holocauste : « Dix pour cent des gens sont cruels, dix pour cent sont charitables et les quatre-vingt pour cent restants peuvent balancer dans un sens comme dans l’autre ». Comme elle, le film explore à quel point l’imagerie omniprésente a transformé à jamais l’humanité en une société de témoins, de voyeurs passifs face aux tragédies.
Avec cette quintessence des réactions sociales excessives mais aussi avec une maîtrise évidente du mélange des genres, humour, horreur, thriller et satire impitoyable, Assassination Nation met habilement et symboliquement en parallèle les angoisses et la colère de notre époque avec le procès des sorcières de Salem survenu en période coloniale, 326 ans plus tôt. De nos jours, des Salem sont partout présentes en occident. C’est par la violence que les personnages répondent à celles, sournoises, que véhicule la société au quotidien. Méfions-nous des relents historiques nauséabonds bien trop présents dans nos sociétés actuelles.
« Je sais que mon film est choquant, effrayant, et débordant de haine… mais tel est aussi l’état du monde actuel. Ce film parle de notre identité américaine, il décrit la façon dont notre soif de divertissements, d’humiliation et de violence a fini par dépasser notre instinct de survie. » Sam Levinson
Après un final cathartique, les derniers plans du film durant le générique de fin montrant une parade menée par une jeune majorette qui défile et avance dans le chaos de la ville détruite, confèrent non seulement une certaine beauté à cette histoire mais aussi une note d’optimisme. Il faut continuer d’avancer.
Pour le casting, Sam Levinson a fait le choix brillant mais risqué de faire interpréter ses personnages féminins à la fois complexes, drôles et réalistes, par des comédiennes qui ne sont pas encore étiquetées par le public. On retrouve entre autres Odessa Young, une jeune actrice australienne, dans le rôle de Lily ; Hari Nef, une jeune comédienne, écrivaine et mannequin transsexuelle comme son personnage, dans celui de Bex ; Abra, une chanteuse de R&B qui fait ici ses débuts au cinéma, dans celui de Em ; Suki Waterhouse, une jeune mannequin remarquée pour sa performance dans The Bad Batch (2016) de Ana Lily Amirpour (A Girl Walks Home Alone at Night, 2014), dans celui de Sarah ; mais aussi Bella Thorne, Maude Apatow, et pour les comédiens Bill Skarsgard (Ça, Atomic Blonde…), Joel McHale (Les Seigneurs de Dogtown, Ted…), Cody Christian ou encore Colman Domingo (Jugé Coupable, Lincoln, Le Majordome, Selma, The Birth of a Nation…) dans le rôle du noble et généreux Proviseur Turrell.
Inspiré entre autres des films de genre japonais, dits « Subekan », qui mettent en scène des gangs de jeunes délinquantes japonaises, dans un geste à la fois brutal, ludique et audacieux, le réalisateur conjugue le rythme effréné et la forme de son film avec celui des réseaux sociaux. A l’image de ceux-ci, il n’hésite pas à diviser l’écran en trois afin de nous abreuver outrageusement d’informations inutiles et éphémères. Tout en restant accessible à tous, le travail effectué sur le dialogue, le cadre, les costumes et l’image dans ses éclairages et ses couleurs acidulées, vient appuyer cette volonté formelle de rappeler ces nouveaux univers virtuels. L’esthétique très travaillée du film s’avère être au final une implacable expérience sensorielle pour le spectateur.
C’est le talentueux chef opérateur, Marcell Rév, à qui l’on doit déjà la sublime photo des chefs-d’œuvre White God (Fehér Isten, 2014) et La Lune de Jupiter (Jupiter holdja, 2017) de Kornél Mundruczó, qui, par son travail sur la luminosité et la chaleur, donne au film sa dimension onirique. Parmi leurs nombreuses influences cinématographiques, on retrouve aussi bien Napoléon (1927) d’Abel Gance que Carrie (1976) de Brian De Palma, Comme un Torrent (1958) de Vincent Minnelli, Le Gouffre aux Chimères (1951) de Billy Wilder, Un Homme dans la Foule (1957) d’Elia Kazan, Network (1976) de Sidney Lumet, ou encore bien évidemment Assaut (1980) et Fog (1980) de John Carpenter. Signée Ian Hultquist, connu pour son groupe électro-pop « Passion Pit » et ses innovantes compositions au synthétiseur, l’incroyable bande originale du film participe fortement à la création de l’atmosphère du film.
Maîtrise et efficace, intelligent et divertissant, à mille pied au-dessus des productions formatées pour les adolescents incultes qui inondent nos écrans depuis maintenant trop d’années, avec Assassination Nation, Sam Levinson nous offre un vrai film de genre, aussi singulier que provocateur, qui nous rappelle que le chaos n’a besoin que d’une étincelle pour embraser nos sociétés dites modernes. Oscillant constamment entre humour noir et désespoir, réalité et fantasme, optimisme et nihilisme, Assassination Nation dénonce l’hypocrisie ambiante et le dangereux retour d’une effroyable morale puritaine. Le film propose une brillante et jouissive réflexion nécessaire, tant elle est alarmante et juste, sur l’époque terrifiante que nous traversons. A voir absolument.
Steve Le Nedelec
Assassination Nation un film de Sam Levinson avec Odessa Young, Suki Waterhouse, Hari Nef, Abra, Anika Noni Rose, Colman Domingo, Danny Ramirez, Joel McHale, Maude Apatow, Bella Thorne… Scénario : Sam Levinson. Image : Marcell Rév. Décors : Michael Grasley. Costumes : Rachel Dainer-Best. Montage : Ron Patane. Musique : Ian Hultquist. Producteurs : Manu Gargi, Aaron L. Gilbert, Anita Gou, David S. Goyer, Matthew J. Malek & Kevin Turen. Production : BRON Studios – Foxtail Entertainment – Phantom Four – Creative Wealth Media Finance – Universal Pictures. Distribution (France) : Apollo Films (Sortie le 5 décembre 2018). Etats-Unis. 2018. 108 minutes. Couleur. Format image : 2.39 :1. Sélection PIFFF 2018 film d’ouverture. Interdit aux moins de 12 ans assortie d’un avertissement pour ce film qui traite de façon très appuyée de la violence sur les réseaux sociaux et de ses déchaînements, entraînant émeutes, agressions et violences sexuelles en particulier entre lycéens. Pour ces motifs ce film est susceptible de heurter le jeune public. L’avertissement suivant sera indiqué : « De nombreuses scènes violentes sont susceptibles de heurter la sensibilité du jeune public ».