Star, une adolescente de 17 ans issue d’un milieu défavorisé, vit dans la précarité et croise le chemin de Jake et sa bande. Sillonnant le Midwest américain à bord d’un van, ils vivent de vente d’abonnements de magazines en porte à porte. En rupture totale avec sa famille dysfonctionnelle, se sentant à sa place au beau milieu de cette équipe, Star décide de s’embarquer dans l’aventure et adopte tout de suite leur style de vie. Ce road trip, ponctué de rencontres, fêtes et petites arnaques lui apporte ce qu’elle cherche depuis toujours: la liberté ! Jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de Jake, aussi charismatique que dangereux…
Pour son premier film tourné aux USA, la réalisatrice et scénariste Britannique Andrea Arnold à qui l’ont doit le très bon Red Road (2006), Fish Tank (2009) et Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights, 2011), a choisi de transposer une histoire basée sur sa propre expérience de voyageuse à travers le pays et de l’ancrer dans le réalisme. Le portrait qu’elle fait ici de son héroïne vient confirmer son envie de montrer dans ses films des personnages féminins forts et combatifs. Au cœur de cette histoire, il y a Star (Sasha Lane), une jeune fille pleine de vie partie sur les routes à la recherche de son indépendance et de sa liberté pour suivre son propre chemin et qui va être confrontée à de nouvelles émotions, à la vie…
La réalisatrice a également puisé son inspiration dans un article du New York Times de 2007 consacré aux vendeurs de magazines itinérants. Ces groupes de démarcheurs composés de jeunes gens employés par des sociétés non réglementées existent encore aux Etats-Unis aujourd’hui. Fascinée par cette « sous-culture », Andrea Arnold a suivi un de ces groupes, dormant avec eux dans des motels miteux et partageant leur quotidien. Parmi ces jeunes gens, beaucoup quittaient leur foyer pour la première fois. Faire partie d’une telle équipe est plus un mode de vie qu’un véritable travail et les membres de l’équipe sont bien plus que des collègues. Ils forment une sorte de famille recomposée un peu folle. Dans ce groupe, Star tombe amoureuse de Jake (Shia LaBeouf), le meilleur vendeur, recruteur et formateur volage du groupe, au grand dam de Krystal (Riley Keough), la chef de l’équipe dont Jake est également l’amant.
Souhaitant travailler en majorité avec de jeunes acteurs non-professionnels pour être au plus près de la « vérité » et capter leur spontanéité, Andrea Arnold et ses directeurs de casting ont commencé leur recherche pour le film en mars 2014. Ils ont sillonné les routes de huit Etats au cours de plusieurs voyages étalés sur toute l’année. Attentive aux gens qu’elle croisait, elle pouvait mener des auditions improvisées n’importe où en fonction de ses rencontres : « J’allais m’asseoir sur la plage et je regardais les milliers d’adolescents qui passaient. On a carrément fait des séances de casting sur le parking de Walmart. » Andrea Arnold.
Sur les quinze jeunes choisis, tous plus vrai que nature, onze n’avaient jamais joué. La réalisatrice et son équipe ont suivi leur instinct pour créer cet incroyable groupe de jeunes sans attache et livrés à eux-mêmes dont beaucoup ont le même profil que leurs personnages.
Un mois avant les préparations officielles du tournage, Andrea Arnold et son équipe de casting sont allées en Floride, à Panama City Beach, pendant les vacances de printemps (le Spring Break américain), un phénomène qui attire chaque année des milliers d’étudiants venus des quatre coins du pays. En se promenant sur la plage, Andrea a repéré Sasha Lane, une étudiante de première année dans une université du Texas, qui n’avait jamais fait de cinéma et l’a choisie pour interpréter Star, le personnage principal du film. Presque de tous les plans, Sasha Lane, symbole du film et de son message, est la grande révélation du film. On retrouve à ses côtés le talentueux et attachant Shia LaBeouf que l’on a notamment pu voir à l’affiche de la trilogie des Transformers réalisée par Michael Bay mais aussi d’ Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull, 2008) de Steven Spielberg, Wall Street : L’Argent ne dort jamais (Wall Street: Money Never Sleeps, 2010) de Oliver Stone, Sous Surveillance (The Company You Keep, 2012) de Robert Redford, Des Hommes Sans Loi (Lawless, 2012) de John Hillcoat ou encore et surtout Nymphomaniac Vol.1 et 2 (2013) de Lars von Trier.
Riley Keough qui incarne avec conviction le personnage de l’énigmatique, séduisante et tyrannique Krystal, est une des actrices américaines les plus charismatiques et prometteuses de sa génération. En 2010, elle incarne Marie Curie dans Les Runaways (The Runaways) de Floria Sigismondi. Elle a également joué dans Magic Mike (2012) de Steven Soderbergh et dans l’excellent Mad Max : Fury Road (2015) de George Miller.
Bien que fictive, l’histoire est fortement ancrée dans la réalité. Andrea Arnold a choisi une forme naturaliste en adéquation avec son sujet. Pour commencer, afin de permettre aux acteurs inexpérimentés de mieux ressentir l’évolution de leur personnage et de leur laisser le temps de se connaître entre eux, le film a été tourné dans la continuité du scénario. Ensuite, déterminée à recréer l’ambiance festive et réelle du groupe de commerciaux itinérants, la réalisatrice a choisi d’utiliser la caméra à l’épaule. La caméra d’Andrea Arnold est fluide et toujours en mouvement. La composition précise de ses cadres et l’utilisation du format 1.37 (4/3) viennent s’ajouter à la forme qui est ici également adaptée pour être au plus proche des personnages et de leur envie irrépressible de liberté. Forme sensuelle qui capte aussi bien les corps que les éléments naturels, et qui, en donnant littéralement l’impression d’être du voyage dans le van et de vivre avec ces jeunes, plonge le spectateur en immersion. La mise en scène inspirée et l’esthétique assumée du film offre de splendides moments aussi bien romantiques que poétiques. Pleinement constitutive du film et de son genre, la bande originale est ici très importante et donc très présente. Impossible de tourner un road movie sans musique, surtout pour filmer une bande de jeunes qui passent des heures dans leur van. Les chansons ont été choisies en accord avec le groupe selon ses goûts et ses envies. La musique du film est le point d’ancrage des personnages et sert à exprimer les sentiments et les ressentis de chacun. Comme le dit si justement la réalisatrice: « C’est la poésie quotidienne de leur vie. Comme ça l’est pour nous tous qui l’aimons. ».
Pour ce film, Andrea Arnold a à nouveau travaillé avec son chef opérateur attitré, Robbie Ryan, dont on peut également admirer le travail dans les films de Stephen Frears ou Ken Loach, et comme à leur habitude, ils ont décidé de travailler en équipe réduite et d’utiliser principalement la lumière du soleil et ses nuances pour traduire le rythme des journées. Principalement tourné en lumière naturelle, les plaines désertiques baignent dans la lumière éclatante et la chaleur écrasante du soleil. Pour chaque scène, il y avait peu de techniciens et d’acteurs présents sur le lieu de tournage. Sans moyens techniques modernes, sans caravane ni gros systèmes d’éclairage, réduite au maximum pour des raisons de souplesse mais aussi de choix artistiques, l’équipe technique du film a effectué le même road trip que les personnages du film. Sur chaque lieu de tournage, l’équipe s’installait dans un motel en bord de route : « On s’était promis qu’on ne dormirait que dans des motels peu onéreux, qu’on ne se déplacerait que sur la route et pas en avion, et qu’on engagerait le plus possible de figurants sur place » explique le producteur Lars Knudsen. C’est ainsi que l’équipe a sillonné les routes pendant 56 jours, jours de tournage, de repos et de voyage inclus. L’impressionnant travail effectué sur le montage par Joe Bini mérite lui aussi d’être souligné ici.
Afin de trouver les lieux les plus adaptés à l’histoire, Andrea Arnold a sillonné les routes du Midwest durant plusieurs années pour effectuer ses repérages. Elle savait exactement quels paysages, régions et Etats étaient essentiels à l’histoire et son sujet; les endroits, la route et les infrastructures étaient ancrés dans ses expériences et ses observations : des plaines plates de l’Oklahoma et du Kansas aux environs luxuriants et verdoyants du Nebraska, en passant par les terrains pétroliers de Williston dans le Dakota du Nord et la Réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. L’équipe a principalement tourné à Muskogee, Kansas City, Omaha, Grand Island, Rapid City, Williston et Pine Ridge. La beauté des paysages filmés fait partie intégrante du discours de la cinéaste.
A travers le portrait que fait la réalisatrice de cette jeunesse et des rencontres que font ces adolescents sur leur route, elle dresse en fait dans le même temps le portrait de l’Amérique profonde, l’Amérique contemporaine, l’Amérique pauvre, marginale et délaissée. Sans oublier en contraste, par ses réactions qui viennent traduire le regard qu’elle porte sur la pauvreté de son pays, celui de l’Amérique riche tout aussi perdue dans ses certitudes et ses croyances (religion, patriotisme,…). Les banlieues que traverse le groupe sont révélatrices de la sociologie des villes et des dysfonctionnements d’une société malade où les individus sont repliés sur eux-mêmes. Andrea Arnold montre les revers, pour ne pas dire la fin, du rêve américain. Le titre du film American Honey vient d’ailleurs résonner avec l’idée conceptuelle, aujourd’hui dépassée, de l’American Dream.
American Honey est un voyage à la fois intense, fascinant et lumineux. Empreint de lyrisme, de poésie et de sensualité, Andrea Arnold partage son regard humaniste et positif avec un savoir-faire indéniable. Bien que dressant un portrait amère de la fin des idéaux d’une jeunesse désœuvrée dans un pays en perdition, le film n’est jamais plombant ou moralisateur, et à travers ses beaux personnages, donne de l’espoir en l’avenir. Les personnages sont touchants. On les aime. C’est la société qui les marginalise. Bien que dénuée de toute utopie et abandonnée à son triste sort, la jeunesse est ici affranchie non pas de toutes règles mais des carcans que lui impose la société. En effet, la jeunesse issue des classes sociales défavorisées est ici, avec ses repères, son éducation, ses valeurs et sa morale, plus porteuse d’espoir pour l’avenir que la jeunesse dorée complètement perdue, stupide et pervertie que l’on peut voir dans les œuvres coups-de-poing pessimistes, mais au demeurant réussies et elles aussi réalistes, de Larry Clark ou Harmony Korine.
American Honey est une véritable ode à la liberté à tous les niveaux : C’est un film à la fois libre dans sa forme et dans son traitement. Un road movie inspiré qui, comme ses personnages, avance sans se retourner. Un film libre qui décrit des personnages qui le sont tout autant. Une œuvre qui filme librement la liberté. On ressort heureux de la projection de ce film incroyablement beau et généreux. Une réussite.
Comme l’avaient déjà obtenu ses films précédents Red Road et Fish Tank, American Honey a valu à Andrea Arnold de décrocher à nouveau le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes.
Steve Le Nedelec
American Honey un film d’Andrea Arnold, avec Sasha Lane, Shia LaBeouf, Riley Keough, McCaul Lombardi, Arielle Holmes, Crystal Ice… Scénario : Andrea Arnold. Directeur de la photographie : Robbie Ryan. Décors : Kelly McGehee. Costumes : Alex Bovaird. Montage : Joe Bini. Producteurs : Thoams Benski, Lars Knudsen, Lucas Ochoa, Pouya Shahbazian, Jay Van Hoy, Alice Weinberg. Production : Parts and Labor – BFI – Film4 – ManDown Pictures – Maven Pictures – Protagonist Pictures – Pulse Films. Distribution (France) : Diaphana Distribution (Sortie le 08 février 2017). Grande-Bretagne – Etats-Unis. 163 mn. Format image : 1.37:1. Dolby Digital. DCP. Tous Publics avec avertissement. Prix du Jury, Festival de Cannes, 2016.