En 1944, Adolfas et Jonas Mekas fuient la Lituanie pour faire leurs études à Vienne car on les recherche pour « diffusion de littérature anti-nazis et anti-communiste ». Ils sont arrêtés par les allemands et enfermés dans un camp de travail avec des prisonniers de guerre. Après la déclaration de fin de guerre, pendant plusieurs années, ils vont d’un camp de personnes déplacées à l’autre, ils connaissaient la faim, la misère et l’humiliation. Ils finissent par obtenir un visa pour l’Amérique – ils partent comme tous les autres, avec leur 200 kilos de bagages – mais pour les Mekas pas de vêtements ni de nourritures mais avec 200 kilos de livres, c’est tout ce qu’ils emportent de la vieille Europe. Les Mekas, c’est ce destin d’exilés qui ne trouveront jamais leur place.
Gel
sur le trottoir
La pensée
éclate
en aiguilles
blanches
Sur la vitre
se brise
le vent
il éparpille
l’odeur
des rues
et des nuages
Doigts
pâles
du langage
au soleil
de l’enfance
tombent en morceaux
les planches
du temps
Froids,
hébétés
les doigts
de cuivre
de l’automne
rêvent
à la nudité
de bougeons
verts
J’ai appris la géographie
sur des cartes militaires
J’ai compris
l’anatomie humaine
par les chroniques
des camps
Jonas Mekas, Poème
(Traduction de Biruté Ciplijauskaité et Nicole Laurent-Catrice)[1]
Ils débarquent à New York le 29 octobre 1949 et dès la deuxième semaine de leur arrivée à New York, ils louent une caméra Bolex et filment absolument tout ce qui les entourent, acte qui s’explique par la peur de perdre leurs souvenirs – de leur pays, de leur famille, et de leur quotidien. Ils filment tout, danse, ballet, opéra, musée. En trois ans ils ont tout vu, tellement ils sont assoiffés de culture.
Leur intérêt pour le cinéma est né,- comme le dira Jonas Mekas au cours d’une interview avec Brian Frye[2] -, dans le camp de personnes déplacées à Wiesbaden quand les soldats américains projetaient des films. Leur attention était attirée par un film suisse The Search (1948) de Fred Zinnemann, qui parlait des personnes déplacées. « Nous nous sommes mis en colère car il y avait très peu de compréhension de la réalité de la situation, sur ce que c’était la vie d’une personne déplacée. C’est ainsi qu’on a commencé à écrire des scénarios ».
Rita Bukauskaite.
Alolfas Mekas (30 septembre 1925 – 31 mai 2011)
Jonas Mekas (24 décembre 1922)
Coffret Jonas Mekas, disponible chez Potemkine.
[1] p. 15, Jonas Mekas, sous la direction de D. Hibon et Fr. Bonnefoy, éditions du Jeu de Paume/Réunion des musées nationaux, 1992.
[2] http://www.sensesofcinema.com/contents/01/17/mekas_interview.html – © Brian Frye, June 2001, traduit de l’anglais.