Le premier plan d’A l’ouest rien de nouveau est magistral. En un travelling arrière, Lewis Milestone passe de l’extérieur à l’intérieur. D’un défilé de soldats, la fleur au fusil, qui sous les acclamations et les hourras de la population, partent au front, à une salle de classe. Le professeur est dans une quasi-transe nationaliste, oublié Schiller et Goethe, la culture et le savoir, pour la guerre. L’exaltation de la terre-mère, les étudiants sont emportés par son discours. Ils sont convaincus que rien n’est plus fantastique que de partir combattre pour la Nation. Les rares récalcitrants se laissent convaincre, comment s’opposer à la masse aveugle. Certains rêvent déjà d’un retour triomphal, en héros, sous les vivats de la foule, des regards amoureux des jeunes filles. La vérité sera tout autre. Pour l’instant, les vieux, ceux qui devraient arrêter cette dinguerie guerrière sont les premiers va-t-en-guerre. Des siècles de connaissance évaporée en un instant dans l’exaltation de discours assassins. Longtemps après, nous aussi avons oublié, qu’un plan existe au cinéma parce qu’il fait sens, et plus grave encore nous refusons d’avoir du recul sur les événements. L’émotion nous aveugle au point de nous faire accepter n’importe quoi. A l’ouest rien de nouveau, de l’œuvre d’Erich Maria Remarque au film de Lewis Milestone (admirablement adapté par Maxwell Anderson, George Abbott et Del Andrews), le propos sur l’aveuglement des masses jusqu’aux ravages des champs de bataille est plus que jamais d’actualité.
Lewis Milestein est né à Odessa (Crimée) en 1895. Il est encore un enfant quand ses parents immigrent aux Etats-Unis. Des années après, il change son nom en Milestone et se lance dans la photographie. Durant la Seconde Guerre mondiale, Lewis Milestone effectue son service militaire dans l’Army Signal Corps et participe à la réalisation de films de propagande. Expérience cinématographique qu’il poursuit comme monteur et assistant-réalisateur pour Mack Sennett, William Seiter et Henry King. Engagé par la Fox, il écrit le scénario de Bobbed Hair (1925), une réussite qui attire l’attention sur Milestone. Warner l’engage comme metteur en scène pour Seven Sinners, sa première réalisation en 1925. Il réalise quelques œuvres avant qu’un désaccord financier et juridique avec le studio ne l’éloigne des plateaux. Howard Hughes, le sort de sa « retraite » et lui confie plusieurs productions. Durant cette période, il dirige la comédie Two Arabian Knights (1927) se déroulant durant la Première Guerre mondiale. Il décroche avec ce film son premier Oscar pour la mise en scène. Toujours pour Hughes, il réalise The Racket, un des meilleurs films de gangsters du cinéma muet. Milestone dirige son premier film sonore en 1929 : Mensonges (The Betrayal). Le parlant ne lui pose pas de problème particulier. Il utilise sa manière de faire, mouvements de caméra, montage, tout en les combinant avec la nouvelle technique sonore.
A l’Ouest rien de nouveau, est l’exemple de la maîtrise des techniques de réalisation issues du muet de Lewis Milestone, séquences qu’il renforce par l’utilisation du son. Milestone aussi étonnant que cela puisse paraître toute avec une seule caméra. Il prépare soigneusement ses séquences de guerre, les découpant avant tournage (Lewis Milestone avait une grande expérience du montage). Sur le plateau, il prend l’habitude de dessiner chaque plan. Le film est une production importante pour Universal, il est produit par Carl Laemmel Jr, fils du fondateur du studio, responsable de la production. Le tournage s’étale sur dix-sept semaines en Californie à l’Irvine Ranch, dans les studios Universal et de la RKO-Pathé, dans la forêt de Sherwood et à Balboa. Les séquences de batailles demandèrent à une mise en place particulière. Tournée sur un terrain de 1 000 ha spécialement aménagé et rendu réaliste par la minutie de la reconstitution. L’aspect de terrain boueux fut obtenu par l’équipe de décoration en le trempant avec des litres et litres d’eau apporter par un système de canalisation mis en place. Afin de permettre à Milestone de réaliser ses impressionnants plans de grues en travelling, on construisit une route de 3 km parallèle au champ de bataille. Le travail son est tout aussi remarquable, le sifflement des balles, les explosions, mais aussi l’ensemble de la bande-son démontre déjà la grande maîtrise des techniciens hollywoodiens.
La distribution est excellente. C’est George Cukor, qui faisait ses premières armes au cinéma, fut chargé de trouver le rôle principal et des répétitions des acteurs pour les scènes dialoguées. Cukor dénicha Lew Ayres pour incarner Paul Baumer, le jeune soldat confronté aux horreurs de la guerre. Le personnage marqua profondément l’acteur au point qu’il est objecteur de conscience durant la Seconde Guerre mondiale. Sa carrière en partira grandement. Superbe aussi la prestation de Louis Wolheim, le sergent Katczinsky, conforme à ce que l’on pouvait imaginer en lisant le roman de Remarque. Signalons aussi en caporal instructeur sadique, John Wray (Himmerlstoss), petit facteur passé chef dans un camp d’entraînement (et de conditionnement des recrues). Il anticipe sur ceux qui viendront après lui, jusqu’au Sergent Hartman (Lee Emery) de Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick.
Le film de Milestone marque une première, jamais le cinéma américain n’avait présenté la guerre du côté Allemand. La première d’A l’ouest rien de nouveau à Berlin, n’est une simple mondanité, elle est perturbée par une horde de nazis. Des boules puantes sont lancées dans la salle et des rats sont lâchés tandis que les spectateurs sont conspués. Les projections qui suivent sont houleuses. La censure emboîte rapidement le pas aux extrémistes et interdit le film. Le roman de Remarque publié en 1929 devient rapidement un succès international et le symbole du pacifisme détesté par Hitler et ses acolytes. Le roman comme le film sont violemment attaqués par les nazis. Remarque quitte l’Allemagne pour la Suisse, puis émigre aux Etats-Unis. Son livre est jeté au bûcher dans les autodafés dans l’Allemagne nazie en 1933. Le film de Milestone va connaître aussi l’enfer de la censure à l’approche de la Seconde Guerre mondiale. Il est ainsi interdit dans plusieurs pays dont la France jusqu’en 1963. En 1937, Universal monte une suite au film de Milestone, Le Chemin du retour (The Road Back) d’après le roman d’Erich Marie Remarque. La réalisation est confiée à un réalisateur honorable, James Whale. Le roman est un avertissement sur les dangers croissants de la dictature nazie, mais les pressions allemandes sur l’Universal sont tel, que la direction édulcore le propos. Les Laemmle sont alors sur la touche et remplacé par des financiers qui voient surtout l’Allemagne comme un gros marché pour leur production. Le travail de Whale est massacré par les réécritures et l’ajoute de séquences comiques, le film est une catastrophe.
A l’ouest rien de nouveau, près d’un siècle après sa réalisation, n’a rien perdu de la puissance de son récit, du conditionnement nationaliste à la réalité des champs de bataille, ses images sont toujours aussi saisissantes. Erich Maria Remarque écrivait : « …en ce temps-là, même père et mère nous jetaient vite à la figure le mot de « lâche ». C’est qu’alors tous ces gens-là n’avaient aucune idée de ce qui allait se passer. A proprement parler, les plus raisonnables, c’étaient les gens simples et pauvres ; dès le début, ils considérèrent la guerre comme un malheur, tandis que la bonne bourgeoisie ne se tenait plus de joie, quoique ce fût elle, justement, qui eût plutôt se rendre compte des conséquences. » A l’ouest rien de nouveau est un monument de la littérature mondiale et son adaptation à l’écran l’un des chefs-d’œuvre du film de guerre.
Fernand Garcia
A l’ouest rien de nouveau (Im Westen Nichts Neues) d’Erich Maria Remarque est disponible au Livre de Poche n°197 traduit de l’allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac.
A l’ouest rien de nouveau, une édition indispensable d’Eléphant Films. En complément : la version muette du film, de quoi se rendre compte de l’admirable mise en scène de Milestone (132 minutes). Le film analysé par Frédéric Mercier (30 minutes env.). Une introduction de Robert Osborne (3 minutes env.) La bande-annonce pour la reprise du film (2 minutes). Et enfin, les bandes annonces des autres films de la collection : Les Anges de l’enfer, Fear & Desire, Les cinq doigts du désert, Pour qui sonne le glas.
A l’ouest rien de nouveau (All Quiet on the Western Front) un film de Lewis Milestone avec Lew Ayres, Louis Wolheim, John Wray, George « Slim » Summerville, Raymond Griffith, Russell Gleason, William Bakewell, Scott Kolk… Dans la version muette Zasu Pitts incarne la mère de Paul et Beryl Mercier dans la version sonore… Adaptation : Maxwell Anderson. Scénario : George Abbott. Continuité : Del Andrews. Supervision du scénario : C. Gardner Sullivan. Directeur de la photographie : Arthur Ederson (et non crédité Karl Freund). Direction artistique : Charles D. Hall et W.R. Schmitt. Supervision du montage : Maurice Pivar. Montage : Edgar Adams et Milton Carruth (pour la version muette). Producteur : Carl Laemmle Jr. Production : Universal Pictures. 1930. Durée version sonore restaurée : 133 minutes. Durée version muette de la Librairie du Congrès : 133 minutes. Noir et blanc. Pellicule Eastman. Format image : 1,33 :1. Son : DTS-HD Mono 2.0. Oscars du Meilleur film et du meilleur réalisateur – 3e cérémonie en 1930. Tous Public.