Dans mon enfance, j’ai connu des salles « familiales », le père était projectionniste, sa femme à la caisse, la grand-mère faisait office d’ouvreuse. Ces salles avaient généralement pour nom : Rio, Rex, le Dahu, Casino, de merveilleux cinémas de quartier. Petit à petit, elles ont cédé la place à des restaurants chinois, des quincailleries, des galeries marchandes, des « Picard »… Ce petit commerce de cinéma avait ce supplément d’humanité totalement disparu dans l’uniformisation et l’automatisation des cinémas. Quelque part en Roumanie, dans Piatra Neamt, Le Dacia fait partie de ces cinémas qui ont fait la grandeur d’un art, a fait vivre des familles et émerveillait des générations de cinéphiles. Victor Purice, avec ses deux employés Cornelia et Lorena, poursuit son rêve de cinéma en faisant vivre l’une des rares salles encore en vie dans le pays.
Cinéma, mon amour raconte la lutte quotidienne de Victor pour la survie de son cinéma. Les années fastes sont loin dans le rétroviseur du temps. L’immense salle du Dacia a connu son heure de gloire pendant l’âge d’or du cinéma roumain durant la période communiste. Période bénie où les spectateurs faisaient la queue dans le hall pour assister à de grands spectacles du réalisme socialiste. Des 400 salles de cinéma de l’époque, il n’en reste aujourd’hui que 30. A la chute du communisme, Romania Films rachète à l’état les cinémas, situés pour la plupart en plein centre-ville, pour les revendre aussitôt à des promoteurs immobiliers avec un maximum de retour sur investissement. Devenir riche le plus rapidement possible est l’obsession des pays entrant dans l’économie de marché. L’état se désintéresse totalement de l’exploitation cinématographique et le secteur s’effondre.
Qu’importe, contre tout logique commercial, Victor poursuit l’exploitation de sa salle. Les entrées chutent, mais Victor ne désespère pas de voir revenir les spectateurs. Espoir payant, Titanic remplit la salle, comme à la grande époque. Victor est aux anges, il n’a jamais vu autant d’argent de sa vie ! Des infiltrations d’eau, des problèmes de circuit électrique ont fait de Victor plus qu’un gérant ou projectionniste – c’est réparateur tout terrain. Avec les moyens du bord, il maintient debout la salle. Il va dans la rue chercher les spectateurs, redonner l’envie du cinéma aux jeunes. On peut voir Victor comme un gladiateur du cinéma et ne pas être surpris outre mesure de voir trôner l’affiche du film de Ridley Scott dans le hall du cinéma.
Victor ne projette quasiment plus en 35 mm. Il garde des bobines de grands films dans la cabine, mais depuis quelques années, il a un vidéoprojecteur et des titres en Blu-ray dans un classeur, ce qui lui permet de faire des séances à la demande. Une jeune génération se déplace encore dans les salles de cinéma. Le plus triste est que le cinéma roumain, qui triomphe dans les festivals, trouve difficilement le chemin des salles. Comme partout ailleurs, les salles sont devenues des fast-foods pour des produits formatés. Pourtant rien ne décourage Victor. Son voyage en Allemagne est un beau moment, dans ce pays avec « un autre niveau de civilisation ». Il visite une salle de cinéma moderne, belles enseignes lumineuses, attractions, coin café, machines à pop-corn, salle 3D, etc. de quoi faire rêver Victor… et pourtant, là-dedans qu’une seule notion domine – la rentabilité. Au Dacia, c’est le system D et l’amour du cinéma qui domine. En restant à hauteur d’homme, Alexandru Belc réussit un beau portrait d’un pays, d’un cinéma, d’un homme, non d’un Don Quichotte !
Longue vie au Dacia !
Fernand Garcia
Cinéma mon amour (Kino, moja milosc), un film d’Alexandru Belc avec Victor Purice, Lorena Cosau, Cornelia Chelmu, Gheorghe Purice… Scénario : Alexandru Belc, Tudor Giurgiu, Ilinca Micu. Image : Tudor Vladimir Panduru. Montage : Ion Ioachim Stroe. Musique : Cezar Popescu. Producteurs : Tudor Giurgiu, Aurelian Nica, Andra Radu, Radovan Síbrt, Viktória Hozzová, Hanka Kastelicová. Production : Libra Film – Pink Productions – HBO Europe – HBO Romania. Distribution (France) : Outplay (Sortie le 17 mai 2017). Roumanie – République Tchèque. 2015. 70 minutes. Couleur. Tous Publics.