Dans l’Ouest américain, à la fin du XIXe siècle. Liz, une jeune sage-femme migrante d’une vingtaine d’années, mène une vie paisible auprès de sa famille. Mais sa vie va basculer le jour où un sinistre prêcheur leur rend visite et vient troubler la quiétude du village. Liz devra prendre la fuite face à cet homme qui la traque sans répit depuis l’enfance…
Après Winter in Wartime (Oorlogswinter, 2007), le plus grand succès à ce jour du réalisateur Martin Koolhoven dont Brimstone est le premier long métrage à sortir en salle en France, ce dernier souhaitait réaliser un western. Découvert en compétition au Festival de Venise 2016, Brimstone emprunte évidemment les codes classiques du genre mais son approche est originale et féroce. Avec son audacieux côté thriller proche du fantastique, sa structure narrative, son discours anticlérical et son point de vue doublement féminin (par son personnage principal et son discours), Brimstone est un western singulier et personnel dans lequel la tension est permanente et remarquablement maîtrisée. Brimstone nous fait surtout prendre conscience du fait que cette époque n’est peut-être pas révolue…
Inspiré de différents arts comme la littérature, la peinture et la photographie mais aussi du folklore ainsi que de l’histoire politique de l’ouest des Etats-Unis, traditionnellement masculin car situé dans une société marquée par l’anarchie et la violence (conditions de vie, contrées sauvages,…), le western est un genre cinématographique qui montre généralement un monde d’hommes. Toujours à la pointe de la technologie pour subvenir à son besoin essentiel d’images à l’impact visuel puissant, situé dans de grands espaces, le western raconte l’histoire d’amitiés viriles, de héros, d’hommes de loi et de hors-la loi. Genre américain par excellence, sacré, le western est indiscutablement l’un des grands mythes du XXe siècle. Bien que régulièrement annoncé comme mort et enterré depuis les années 80, le western est toujours bien présent et l’a été tout au long de l’histoire du cinéma. Régie par des règles bien définies, il répond à des codes clairs, simples et précis. La Chevauchée fantastique (Stagecoach, 1939), chef d’œuvre de John Ford annonce l’âge d’or du genre qui durera jusqu’au début des années soixante et qui sera marqué par les œuvres importantes de cinéastes comme John Ford, Howard Hawks, Raoul Walsh, Anthony Mann mais aussi Budd Boetticher, Henry Hathaway, Samuel Fuller, Robert Aldrich, Delmer Daves, Sam Peckinpah, Monte Hellman, Nicholas Ray, John Sturges,… Avec Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari, 1964) apparaîtront des personnages plus cyniques dont les plus représentatifs restent ceux interprétés par l’immense Clint Eastwood sous la direction de l’inimitable Sergio Leone.
Lorsque le réalisateur, également scénariste du film, s’est attelé à l’écriture du scénario, aussi riche que noir, de Brimstone, la complexité narrative du film lui a donné du fil à retordre. Ajouter à cela la complexité du plan de financement et le tournage qui s’est déroulé dans différents lieux et à différentes saisons, en tout et pour tout, Martin Koolhoven aura travaillé pendant six années sur Brimstone. Bien que se déroulant en Amérique et s’inscrivant dans une tradition cinématographique typiquement américaine, Brimstone est un film bien trop significatif et trop frontal pour être produit par les États-Unis. Non seulement ce dernier parle sérieusement d’un sujet important mais il raconte également une époque, notre histoire commune, notre passé, et par la même, notre présent. Trop intelligent, le film n’intéresse pas les « producteurs », « décideurs » et autres « investisseurs » de l’industrie cinématographique américaine (elle seulement ?). C’est pourquoi celui-ci a été tourné en Europe (en Hongrie, Allemagne et Espagne) et financé par plusieurs pays européens (Pays-Bas, Allemagne, Belgique et France). Notons cependant que la majorité des personnes composant les équipes techniques et artistiques ayant participées au projet sont de nationalité hollandaise.
Dans les westerns, qu’elle soit la fiancée, l’épouse, la mère, la fille ou la prostituée, sans véritable identité, la femme reste cantonnée à l’arrière-plan au statut de faire-valoir. Au mieux son image est utilisée en tant que symbole. Comme on peut le voir dans Le Banni (The Outlaw, 1943) d’Howard Hughes avec la très sensuelle Jane Russell jouant le rôle de Rio qui ne parvient pas à séduire Doc Holliday et Billy le Kid qui lui préfèrent leurs chevaux, la femme dans le western n’a pas beaucoup d’importance ni de valeur. A l’instar d’Angie Dickinson qui n’est présente que pour sa plastique et montrer ses jambes dans Rio Bravo (1959) d’Howard Hawks, on retrouvera Marilyn Monroe à l’affiche de Rivière sans retour (River of No Return, 1954) d’Otto Preminger. Sans épaisseur ni réalité, la femme est considérée dans le western comme un obstacle à la survie. Outre les quelques films qui font la part belle aux personnages historiques comme Calamity Jane ou Belle Starr, les westerns dans lesquels on retrouve des personnages féminins importants et de premiers plans sont suffisamment rares pour en citer quelques-uns ici parmi les meilleurs : L’Ange des maudits (Rancho Notorious, 1952) de Fritz Lang avec Marlène Dietrich, Johnny Guitare (Johnny Guitar, 1954) de Nicholas Ray avec Joan Crawford, Quarante tueurs (Forty Guns, 1957) de Samuel Fuller avec Barbara Stanwyck, La Colline des potences (The Hanging Tree, 1959) de Delmer Daves et La Ruée vers l’Ouest (Cimarron, 1960) d’Anthony Mann avec Maria Schell, La Mort tragique de Leland Drum (The Shooting,1967) de Monte Hellman avec Millie Perkins, Il était une fois dans l’Ouest (C era una volta il West, 1968) de Sergio Leone avec Claudia Cardinale, Soldat bleu (Soldier blue, 1970) de Ralph Nelson avec Candice Bergen ou encore plus récemment Mort ou Vif (The Quick and the Dead, 1995) de Sam Raimi avec Sharon Stone, True Grit (2010) de Joel et Ethan Coen avec Hailee Steinfeld, Shérif Jackson (Sweetwater, 2014) de Logan et Noah Miller avec January Jones et donc aujourd’hui Brimstone de Martin Koolhoven avec Dakota Fanning, dont le discours féministe dénonce les violences faites aux femmes en montrant subtilement au travers de son personnage de muette non seulement le fait qu’à cette époque les femmes n’avaient pas voix au chapitre mais aussi surtout qu’aujourd’hui encore, dans notre monde actuel, celles-ci doivent se battre pour exister et survivre.
Dans Brimstone, certes Martin Koolhoven développe habilement les nombreuses figures incontournables du genre comme la mère, la putain, le révérant, le proxénète, l’homme de loi ou encore le hors-la-loi mais il utilise surtout le genre et ses codes pour mieux les détourner afin de faire passer son message. En effet, ce dernier ne se contente pas d’appliquer une simple recette d’après des règles quelconques. Il les a intériorisées, les a fait siennes pour créer quelque chose de nouveau, d’original. C’est lorsqu’il est affranchi de toute contrainte que l’artiste, le cinéaste, peut créer une œuvre singulière. Tout en dessinant une trajectoire de vie au souffle romanesque, Brimstone traite donc de la condition féminine et prend position contre le traitement des femmes à l’époque du grand Ouest américain au 19ème siècle. Mais Brimstone s’intéresse également à l’importance du rôle de la religion et à sa part de responsabilité dans la question de la condition féminine et des violences faites aux femmes. La façon négative dont est dépeinte la religion dans le film vient évidemment traduire son impact négatif dans le monde d’aujourd’hui. Critique acerbe de la domination masculine, de l’intégrisme religieux qui justifie ses ignobles exactions à l’aide d’une interprétation hasardeuse des textes religieux et film féministe, Brimstone résonne tristement avec notre présent. Aujourd’hui plus que jamais, les Hommes ont besoin d’éducation, notre Monde a besoin de leçons. Avec son intelligence et son efficacité, le moins que l’on puisse dire est que Brimstone éveille les consciences. A plus d’un titre, Brimstone s’avère être une véritable leçon.
« Je pense que chaque film doit être lié au présent, même les films historiques. Il est très compliqué de faire un film sur la façon dont la religion traite les femmes sans penser que cela n’a toujours pas changé. De plus, misogynie et religion font toujours bon ménage au XXIème siècle, donc le sujet n’a rien perdu de sa pertinence » Martin Koolhoven.
D’une noirceur absolue, Brimstone est un film qui parle évidemment également de la violence et de ses conséquences et qui l’assume à l’écran en y convoquant les flammes de l’enfer. Brimstone est une fable violente et sombre, un western dans lequel la violence est marquée par son esthétique gothique proche du cinéma fantastique et est traitée avec intelligence, très souvent hors-champs. Plutôt que de montrer les actes, le réalisateur préfère en montrer les conséquences. C’est le spectateur qui effectue le travail en imaginant le pire. Mais même si l’intensité de la violence peut parfois être éprouvante pour les personnes sensibles, cette dernière n’est ici jamais gratuite. Elle provoque des émotions chez le spectateur, le fait réagir, le fait penser. Celle-ci est par conséquent intellectuellement moins nocive et insidieuse que peut l’être celle acceptée et consentie qui habite et que véhiculent les médiocres et abrutissants blockbusters qui inondent les écrans. Elle a ici du sens dans le fond comme dans la forme. Le réalisateur n’en fait jamais quelque chose de divertissant et la traite de façon sérieuse et grave. Certes elle peut être difficile à accepter mais elle fait pourtant partie intégrante de notre monde, de notre histoire et de notre nature. Et surtout, ne l’oublions pas, nous sommes dans un western. Dans l’Ouest sauvage. La violence est donc ici justifiée par le genre du film, par son sujet ainsi que par l’époque à laquelle il se déroule. C’est l’Histoire même qui ne permet tout simplement pas de l’ignorer. Passer outre la violence serait une faute…
Steve Le Nedelec
A lire la suite de l’article : Brimstone (II)
Brimstone un film de Martin Koolhoven avec Dakota Fanning, Carice van Houten, Guy Pearce, Kit Harington, Emilia Jones, Paul Anderson, William Houston, Ivy George, Vera Vitali, Alexandra Guelff… Scénario : Martin Koolhoven. Image : Rogier Stoffers. Décors : Floris Vos. Costumes : Ellen Lens. Montage : Job ter Burg. Musique : Junkie XL. Producteurs : Uwe Schott, Els Vandevorst. Production : N279 Entertainment – Backup Media – Film I Väst – FilmWave – Illusion Film & Television – Prime Time – X-Filme Creative Pool. Distribution (France) : The Jokers – Les Bookmakers (Sortie le 22 mars 2017). Pays-Bas – France – Allemagne – Belgique – Suède – Royaume-Uni – Etats-Unis. 2016. 148 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Interdit aux moins de 16 ans. Sélection officielle Mostra de Venise, 2016.