« D’abord, une opportunité se présente. Ensuite vient la trahison. »
Vingt ans plus tard, certaines choses ont changé, d’autres non. Après avoir trahi ses amis lors d’un deal de drogue, il aura fallu vingt ans à Mark Renton pour revenir à Édimbourg, le seul endroit qu’il n’ait jamais considéré comme son foyer mais qu’il ne reconnait plus aujourd’hui. Alors que celui-ci semble en avoir fini avec la drogue, il ressent le besoin d’un retour aux sources afin de se confronter à ses vieux démons et par la même occasion, à ses anciens amis. Spud est toujours toxicomane, Simon (Sick Boy) est toujours malhonnête et Begbie est en prison. Tous l’y attendent de pied ferme. Mais d’autres vieilles connaissances le guettent elles aussi : la tristesse, le deuil, la joie, la vengeance, la haine, l’amitié, l’amour, le désir, la peur, les regrets, l’héroïne, l’autodestruction, le danger et la mort. Toutes sont là pour l’accueillir, prêtes à entrer dans la danse…
Vingt ans après, T2 Trainspotting réunit le réalisateur oscarisé Danny Boyle avec le casting original du film de 1996 aujourd’hui culte. C’est à nouveau John Hodge qui en signe le scénario en adaptant deux romans d’Irvine Welsh : Porno, qui se déroule dix ans après les événements du premier film, mais plus encore Trainspotting, auquel il renvoie directement. C’est évidemment le fait qu’ils aient tous répondu présent qui a rendu l’aventure de cette suite possible.
Lorsque nous les avions quittés il y a 20 ans, les quatre hommes s’étaient rendus à Londres pour vendre un stock d’héroïne et se partager les bénéfices. Alors que ses complices dormaient, Mark Renton a trahi ses amis et s’est enfui avec la totalité de l’argent pour commencer une nouvelle vie. Il avait cependant laissé sa part à Spud dans un coffre. Une bonne intention qui s’est transformée en cadeau empoisonné pour cet héroïnomane invétéré… Sick Boy, qui n’a jamais brillé par sa loyauté, a éprouvé autant d’envie que de colère envers Renton, car si l’un d’entre eux devait trahir les autres, c’était bien lui. Maudissant sa faiblesse, il rêve depuis de vengeance. Et si Frank Begbie a toujours été une vraie grenade dégoupillée, la trahison de Renton n’a fait qu’empirer les choses…
Réalisé avec un budget de deux millions de livres sterling, le deuxième film de l’équipe de Petits meurtres entre amis (Shallow Grave, 1994) a marqué son époque et s’est imposé comme un véritable phénomène culturel en dépit de ses modestes origines indépendantes.
« Le premier film a été notre marchepied dans la profession. Petits meurtres entre amis avait rencontré un certain succès, et soudain tout le monde voulait qu’on fasse un autre film. Comme l’extraordinaire roman d’Irvine Welsh (photo ci-contre) nous hantait, John Hodge s’est attelé à l’écriture du scénario et nous avons immédiatement su qu’il fallait qu’on mène ce projet à bien. La vingtaine de pages qu’il avait écrites nous a emballés. Tout s’est fait très naturellement.» Danny Boyle.
Trainspotting avait provoqué un électrochoc dans le paysage cinématographique britannique dominé à l’époque par le réalisme social (Ken Loach, Mike Leigh ou encore Stephen Frears), des drames d’époque et des comédies romantiques. Avec la photographie de Brian Tufano et son univers visuel psychédélique, sa musique entraînante, le jeu des comédiens qui campaient admirablement ces inoubliables antihéros et la brillante mise en scène « punk » de Danny Boyle, le film a réussi à saisir l’air du temps de manière époustouflante.
T2 Trainspotting n’est pas une suite traditionnelle. Ce sont les vingt années qui séparent les deux films qui lui donnent sa raison d’être. Remarquablement affranchi du statut de mythe culturel et générationnel de Trainspotting, les niveaux de lecture de T2 Trainspotting sont multiples et passionnants. Qu’est devenue la jeunesse désœuvrée des années 90, celle qui n’aimait pas son présent et refusait de penser à son avenir ?… Et bien elle est encore et toujours nostalgique. Elle tourne en rond sur elle-même.
Tout en parlant de la vie des personnages, de ce qu’ils ont fait et de ce qu’il leur est arrivé en conséquence, cette comédie noire est un constat cinglant sur notre époque. Le film explore des thèmes importants comme le temps qui passe et le fait de se retourner sur son passé pour voir ce que l’on a accompli, la vieillesse, la nostalgie ou encore le poids des décisions de jeunesse. On y retrouve aussi des thèmes récurrents dans l’œuvre du cinéaste comme la masculinité, la mémoire et le passé. Le langage visuel du film, avec sa mise en scène originale survitaminée, ses effets de style, ses plans désaxés, ses plongées et contre-plongées vertigineuses, sa sublime photographie (le jeu des couleurs, reflets et autre transparences sont de toute beauté), ses inserts délirants ou encore son subtil montage, traduit lui aussi les idées qu’aborde le cinéaste de façon singulière dans le film.
Les échos au film originel sont nombreux. Ils passent habilement aussi bien par des citations que par des flash-backs ou encore une ingénieuse utilisation de la musique. Le travail exceptionnel du monteur Jon Harris permet de confronter le passé au présent avec intelligence et efficacité. Le montage du film utilise par exemple savamment les flash-backs (en images superposées) qui amplifient l’impact émotionnel de l’histoire en permettant au spectateur de se promener, comme les personnages, dans leurs souvenirs.
T2 Trainspotting évoque avec ironie la différence entre l’« enfance » et l’âge adulte. Dans le film original, il est question de l’irresponsabilité propre à la jeunesse, cette période où l’on se fout de tout et en particulier du temps qui passe. Dans T2, c’est l’inverse, c’est le temps qui se moque des personnages. L’énergie de la jeunesse qui leur était jadis si naturelle semble désormais bien lointaine, il n’est donc pas étonnant qu’ils cherchent à se revoir et tentent inlassablement d’invoquer le passé, que ce soit pour s’y plonger avec bonheur ou pour prendre leur revanche. Amitié, rivalité, nostalgie, regrets et mélancolie habitent ce film de façon aussi ludique que lucide.
Sur le tournage de T2 Trainspotting, Danny Boyle a rassemblé une équipe composée d’« anciens » qui avaient travaillé sur le premier film et de nouvelles recrues. Outre la distribution originale, il a donc entre autre de nouveau fait appel au scénariste John Hodge avec qui il avait travaillé sur Petits meurtres entre amis (Shallow Grave, 1994), Trainspotting (1996), Une Vie Moins Ordinaire (A Life Less Ordinary, 1997), La Plage (The Beach, 1999) et Trance (2013), au producteur Andrew Macdonald, petit-fils du légendaire cinéaste Emeric Pressburger qui avait fait ses débuts en produisant Petits meurtres entre amis et qui avait également produit Trainspotting, Une Vie Moins Ordinaire, Sunshine (2007), La Plage et 28 Jours Plus Tard (28 Days Later, 2002) réalisés par Danny Boyle, à la chef costumière Rachael Fleming qui s’était pourtant éloignée de l’industrie cinématographique mais qui n’imaginait pas ne pas prendre part à cette nouvelle aventure, et au compositeur Rick Smith, l’un des membres fondateurs du groupe Underworld dont deux titres avaient été choisis par le cinéaste pour accompagner des scènes importantes du premier film il y a vingt ans.
Les nouvelles recrues ont quant à elle été choisies parmi les récents collaborateurs du réalisateur, comme les producteurs Christian Colson et Bernie Bellew qui avaient produit Slumdog Millionaire (2008), 127 Heures (127 Hours, 2010), Trance et Steve Jobs (2015), le monteur Jon Harris (127 Heures), les décorateurs Mark Tildesley (28 Jours Plus Tard, Millions, Sunshine, Trance) et Patrick Rolfe (28 Jours Plus Tard), le directeur de la photographie Anthony Dod Mantle (28 Jours Plus Tard, Millions, Trance, Slumdog Millionaire, 127 Heures) qui travaille également régulièrement avec Lars von Trier et Thomas Vinterberg, et la chef coiffeuse et maquilleuse Ivana Primorac (Steve Jobs).
« Il était important pour moi, vital même, de m’entourer de nombreux membres de l’équipe originale, mais je tenais également à faire appel à de nouvelles voix, des gens capables de porter un regard extérieur sur le premier film et de lui apporter un nouveau souffle. Je voulais mêler l’authenticité à l’innovation. Comme c’est souvent le cas, la manière dont il a été réalisé a influencé le film : le mélange d’ancien et de nouveau, de familier et d’inconnu a imprégné chaque plan. » Danny Boyle.
On observe qu’à travers leur travail, Danny Boyle et son équipe ont eu à cœur d’honorer et de rendre hommage à ceux qui n’ont pas pu prendre part à l’aventure comme Brian Tufano qui avait signé la photographie de Trainspotting et beaucoup aidé le réalisateur au début de sa carrière ou encore la chef décoratrice Kave Quinn dont le travail audacieux et original avait impressionné sur le premier opus.
Alors que, pour des raisons de budget, Trainspotting avait en réalité été tourné à Glasgow contre seulement quelques jours à Édimbourg, à l’inverse, T2 Trainspotting à quant à lui été tourné principalement à Édimbourg avec quelques jours à Glasgow.
« C’était un plaisir de tourner le film dans cette ville car les habitants sont incroyablement fiers de l’original. En fait, tout le pays en parle encore…» Danny Boyle.
Mais les deux villes ont beaucoup changé depuis le premier film et le réalisateur l’évoque en situant le pub désertique de Sick Boy en face d’une décharge automobile ou encore en montrant les images de démolitions d’immeubles et de quartiers entiers lors du générique de fin.
« Édimbourg est aujourd’hui beaucoup plus animée. En 1996, nous n’avions pas eu besoin d’arrêter la circulation ni même les piétons, nous avions filmé les personnages en train de courir sur le trottoir grâce à un quad situé devant eux. Quant à l’est de Glasgow, il est méconnaissable, les immenses parcs HLM où a été tourné l’original ont tous été détruits et de nombreux pubs ont mis la clé sous la porte. » John Hodge.
De plus, le tournage de T2 Trainspotting aura été un véritable casse-tête d’un point de vue logistique.
« L’un des principaux défis a consisté à planifier le tournage. Tenter de mettre au point un planning qui nous permette de filmer dans plus de 70 lieux et 12 décors en 55 jours malgré les contraintes de disponibilité des acteurs s’est révélé un véritable casse-tête. Les quatre acteurs principaux n’étaient disponibles en même temps que durant le mois de juin, soit à peine plus de quatre semaines. Il a donc fallu qu’on case 50 % du travail dans 35 % du planning, ce qui a été très compliqué. Si vous ajoutez à cela le fait que le scénario comprend de nombreuses scènes de nuit en extérieur, alors qu’il n’y a que trois heures et demie d’obscurité réelle durant l’été écossais, vous imaginez les contraintes auxquelles nous avons été confrontés… Mais nous avons refusé de nous laisser décourager ! » Bernie Bellew.
Steve Le Nedelec
A lire la suite : T2 Trainspotting (II)
T2 Trainspotting un film de Danny Boyle avec Ewan McGregor, Ewen Bremner, Jonny Lee Miller, Robert Carlyle, Shirley Henderson, Anjela Nedyalkova, Kelly Macdonald… Scénario : John Hodge d’après Irvine Welsh. Images : Anthony Dod Mantle. Décors : Patrick Rolfe, Mark Tildesley. Costumes : Rachael Fleming, Steven Noble. Montage : Jon Harris. Producteurs : Bernard Bellew, Danny Boyle, Christian Colson, Andrew Macdonald. Production : DNA Films – Decibel Films – Cloud Eight Films – TriStar Pictures – Film4 – Creative Scotland. Distribution (France) : Sony Pictures Releasing (Sortie : le 1er mars). Grande-Bretagne. 2016-2017. 117 mn. Couleur. Format image : 1.85 :1. Dolby Digital. Tous Publics avec avertissement. Berlinale 2017, hors-compétition.