Dans les années 1970, au Danemark, après avoir hérité de la maison de son père, Erik, professeur d’architecture, et sa femme Anna, journaliste à la télévision, s’installent avec leur fille de 14 ans, Freja, dans l’immense villa d’un quartier huppé au nord de Copenhague où ils décident de tenter l’expérience de la communauté. Ils y invitent donc des amis mais aussi de nouvelles connaissances à partager là une vie en collectivité où toutes les règles, toutes les décisions sont prises de manière collégiale et soumises à un vote. Si leur communauté favorise l’amitié, l’amour et l’intimité du groupe, une liaison amoureuse entre Erik et l’une de ses étudiantes va venir perturber la vie de tous…
Adaptation cinématographique de la pièce de théâtre du même nom (écrite Thomas Vinterberg), La Communauté est inspiré de la propre expérience du cinéaste qui a lui-même vécu dans une communauté de l’âge de ses 7 ans jusqu’à ses 19 ans.
« C’était une époque fantastique, empreinte de folie où je vivais entouré de bières, de conversations universitaires de haut niveau, d’amour et de tragédies personnelles. En tant qu’enfant, chaque jour était un conte de fée. Quitter l’intimité de sa chambre et se retrouver dans les parties communes de la maison pouvaient offrir une multitude de scènes surprenantes du simple fait des autres résidents et de leurs diverses excentricités » Thomas Vinterberg.
Les personnages singuliers du film, insolites, drôles et exubérants viennent eux aussi traduire la nostalgie du cinéaste pour cette époque et cette période de sa vie où tout semblait possible, où tous les espoirs étaient permis.
« Les dîners de groupe qui se tenaient du jeudi au dimanche se transformaient généralement en soirées sens dessus dessous, parfois chaotiques. La notion de « réunion domestique » était reine : une réunion démocratique au cours de laquelle les membres de la Communauté partageaient et échangeaient sur n’importe quel sujet qui leur tenaient à cœur. Je me souviens d’une de ces réunions domestiques où il fut décidé que le loyer serait payé proportionnellement au revenu de chaque membre de la Communauté. Cette idée fut gaiement avancée par un homme qui gagnait beaucoup plus que n’importe quel autre membre, et qui vit ainsi son loyer plus que doublé. Bien que la Communauté fut composée de penseurs bien éduqués, la vie d’alors semble maintenant extrêmement naïve et idéaliste, pleine d’espoir dans le futur », se souvient le cinéaste de son expérience au sein de sa communauté.
La distribution exceptionnelle du film est dominée par l’excellente Trine Dyrholm que Thomas Vinterberg avait déjà dirigée dans Festen et à qui le rôle d’Anna a valu un prix d’interprétation au Festival de Berlin l’an passé.
On retrouve au casting du film d’autres fidèles du cinéaste à commencer par Ulrich Thomsen qui était déjà à l’affiche de Les Héros, premier long métrage du réalisateur, mais aussi de Festen. On a également pu voir ce dernier dans des films aussi divers et variés que, Le Monde ne suffit pas (The World Is not Enough, 1999) le « James Bond » de Michael Apted, Feu de Glace (Killing me softly, 2002) de Chen Kaige, Company (The Company, 2003) de Robert Altman, Adam’s Apples (Adams æbler, 2005) de Anders Thomas Jensen, et surtout, Brothers (Brodre, 2004), Revenge (Hævnen, 2010) et A Second Chance (En chance til, 2014) de Susanne Bier. Helene Reingaard Neumann qui interprète le personnage d’Emma était également à l’affiche de When a Man Comes Home (En mand kommer hjem, 2007 – inédit en France) et de Submarino (2010) de Thomas Vinterberg. Lars Ranthe qui joue ici le personnage d’Ole a quant à lui déjà été dirigé par le cinéaste dans La Chasse (Jagten, 2012). Quant à la jeune Martha Sofie Wallstrøm Hansen, qui incarne Freja dans le film, âgée d’à peine 15 ans, elle joue ici dans son premier long-métrage.
Flirtant subtilement entre les genres, La Communauté a à la fois des accents de comédie et de drame social et psychologique. Le film est aussi le portrait nostalgique d’une époque et celui, délicat et intime, d’une femme qui se retrouve seule et perdue. Une femme forte et ouverte d’esprit en apparence. Une femme prête à tout pour sauver son couple qui va réaliser qu’elle a peur d’être remplacée et oubliée. Une femme que la jalousie va ronger à en devenir hystérique. De magnifiques scènes, fortes et poignantes, ne sont pas sans évoquer par leur traitement le cinéma de Bergman ou Cassavetes.
Le film raconte le rêve de la vie en communauté. Au travers des histoires intimes et personnelles des personnages les fêlures apparaissent et chacun va se révéler sous son vrai jour. La Communauté pointe du doigt les limites de cette vie et révèle son côté utopique et illusoire. Les différentes histoires d’amours racontés dans le film conduisent à la fin du rêve collectif et viennent traduire la fin des illusions qui animent les personnages. Elles expriment la fin d’une époque et de ses idéaux. Les sentiments humains donnent les limites du « vivre-ensemble » qui s’avère utopique. La réalité rattrape les rêves.
Vinterberg n’hésite pas un instant à user de la forme pour illustrer son propos. Son utilisation de la caméra à l’épaule, libre, virevoltante et toujours au plus proche de ses personnages tout en restant pudique, son délicat travail sur les teintes et le grain de la photographie, le choix du format cinémascope ou encore le rythme du montage s’accordant à l’écriture elliptique du scénario, viennent parfaire le film et son sujet. La maîtrise technique dont le cinéaste fait preuve ici contribue à reconstituer avec justesse l’atmosphère bien particulière des seventies avec ses utopies et plonge le spectateur dans une immersion totale.
Co-fondateur avec Lars von Trier du mouvement Dogme 95, Thomas Vinterberg est le cinéaste Danois à qui l’on doit entre autre évidemment l’époustouflant Festen (premier film estampillé « Dogme ») réalisé en 1998 et récompensé par de nombreux prix internationaux, mais également It’s All About Love (2003), Dear Wendy (2005), le sublime Submarino (2010), le sulfureux La Chasse (Jagten, 2012) ou encore plus récemment, le très honnête (mais très classique) Loin de la Foule Déchaînée (Far from the Madding Crowd, 2015). Pour l’écriture du scénario du film, Vinterberg a travaillé à nouveau avec l’auteur-réalisateur Tobias Lindholm avec qui il avait déjà co-écrit Submarino et La Chasse. Tobias Lindholm est le réalisateur de R (2010) (coréalisé avec Michael Noer), Hijacking (Kapringen, 2012) et A War (Krigen, 2016).
Habitué des drames intimistes puissants aux sujets sulfureux et dérangeants (inceste, pédophilie,…), avec La Communauté, Thomas Vinterberg reste fidèle à lui-même. Comme avec la famille dans Festen ou encore la population d’un petit village dans La Chasse, le réalisateur se sert d’un microcosme pour pointer du doigt les dysfonctionnements de la société au sens large. Une fois de plus, en confrontant crûment l’Homme à la Société, c’est avec intelligence et dans un style maîtrisé qu’il met la lumière sur les travers et les limites de l’individu, sur les faiblesses humaines.
A travers cette communauté, il observe et dénonce autant les hypocrisies, les secrets et les non-dits des hommes que les conventions sociales. Il décrit avec justesse la scission qui existe entre les caractères, l’intimité et la psychologie des individus face aux exigences qu’impose le « vivre-ensemble » de la société. Le constat de cette dissociation entre le « soi », Être intime, et le « soi », Être social, révèle la schizophrénie présente en chacun de nous. Œuvre profondément mélancolique, La Communauté est donc aussi à la fois un drame social et un drame psychologique. Une œuvre unique en son genre. Une nouvelle réussite pour Vinterberg.
Steve Le Nedelec
La Communauté (Kollektivet), un film de Thomas Vinterberg avec Ulrich Thomsen, Fares Fares, Trine Dyrholm, Julie Agnete Vang, Helene Reingaard Neumann, Lars Ranthe, Ole Dupont, Lise Koefoed, Martha Sofie Wallstrøm Hansen… Scénario : Tobias Lindholm & Thomas Vinterberg. Directeur de la photographie : Jesper Toffner. Décors : Niels Sejer. Montage : Janus Billeskov Jansen, Anne Osterud. Musique : Fons Merkies. Producteur : Sisse Graum Jorgensen, Morten Kaufmann. Production : Zentropa enterteinments – Danmarks Radio –Det Danske Filminstitut – Film i Väst – Toolbox Film – Topkapi Films. Distribution (France) : Le Pacte (Sortie le 18 janvier 2017). Danemark – Suède – Pays-bas. 2016. 111 mn. Couleur. Format image : 2.35 :1. Dolby Digital. SDDS. DTS. Ours d’Argent de la meilleure actrice Trine Dyrholm, Festival de Berlin, 2016.