Il ne faut jamais hésiter à voir un film de Don Siegel pour la bonne raison qu’ils sont tous bons, très bons, voire exceptionnels… La Ronde du crime entre dans cette dernière catégorie et c’est tout simplement un sommet du genre.
Dès l’ouverture, le style Siegel des grands jours vous prend aux tripes et vous embarque pour une aventure qui ne va jamais laisser le temps de souffler.
Gare maritime de San Francisco. Les passagers d’un paquebot débarquent en provenance d’Extrême-Orient. Au point taxi, la valise d’un passager est balancée dans un taxi qui prend la fuite. Dans la précipitation, le taxi s’emplafonne dans un camion. Il réussit à redémarrer mais dans sa course folle il percute un policier. Dans un dernier soubresaut, le policier tire et tue le chauffeur. Le Yellow Cab termine sa course contre un wagon plat de marchandises.
Début sec, précis, sans gras, Siegel va à l’essentiel. Immédiatement, il met en place l’enquête de police. Dans la valise, les inspecteurs trouvent un sachet d’héroïne caché à l’intérieur d’une statuette. 250 grammes, de quoi alimenter tous les camés de San Francisco pendant quinze jours. Les trafiquants utilisent les touristes comme mules. On découvre l’identité du faux chauffeur de taxi. Tout roule, le film a un côté documentaire épatant, l’enquête progresse rapidement… et soudainement tout bascule… Dans un avion de ligne, deux hommes, Julian et Dancer. Un étrange couple, un maître et son élève, ils discutent de l’utilisation du subjonctif… leur but n’est pas une contribution à un Bescherelle américain mais de récupérer trois « colis » pour l’organisation, ce sont des tueurs.
La Ronde du crime prend alors une tout autre tournure avec ce couple totalement atypique. Avec le même souci du détail que pour ses flics, Siegel va s’attacher à décrire l’itinéraire de violence des deux hommes. Julian, le plus âgé des deux, donne ses conseils, oriente son élève, ne tue pas, mais demande systématiquement quelles sont les dernières paroles des victimes, puis religieusement les note dans un carnet. Julian est clairement un pervers, un voyeur qui se délecte de la souffrance des autres. Il voue une haine viscérale aux femmes, « des êtres incapables de se contrôler, qui pleurent à la moindre occasion ». La violence le fascine à un point quasi sexuel. Dancer se maîtrise tant qu’il peut, il suit les indications de Julian, mais sa nature profonde est bestiale, « un exemple parfait de pathologie pure », c’est un psychopathe. La violence est son mode d’expression. Impressionnant caractérisation des personnages et deux acteurs formidables, Robert Keith et Eli Wallach.
Eli Wallach, dont ce n’est que le deuxième rôle au cinéma après Baby Doll d’Elia Kazan, est sidérant. Il donne une interprétation d’un psychopathe qui fait froid dans le dos. Sa rencontre avec l’une des victimes, une femme seule avec sa petite fille est un vrai moment d’angoisse. Wallach excelle dans l’extériorisation des pulsions de Dancer, dans la violence la plus « pure », la rage absolue. C’est un homme en permanence au bord de l’abime, sa fin est bien en osmose avec le personnage. Encore une fois le futur Tuco Benedicto Pacifico Juan Maria Ramirez du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone est admirable.
Le film de Siegel est structuré à partir d’un scénario solide et des dialogues concis, formidables de cynisme et de second degré de Striling Silliphant. Excellent scénariste à qui l’on doit Le Village des damnés, Dans la chaleur de la nuit, Les Flics ne dorment pas la nuit, L’Aventure du Poséidon, La Tour infernale, Tueur d’élite, L’Inspecteur ne renonce jamais, etc. Silliphant et Siegel feront de nouveau équipe pour l’excellent Un Espion de trop (Telefon) en 1977 sur des agents dormants aux États-Unis avec Charles Bronson.
La ronde du crime est admirablement filmé, les mouvements d’appareils sont superbes, chaque cadre inscrit concrètement l’action dans la cité. Les plans ont une durée juste dans un tempo imparable. Les extérieurs de San Francisco, que Don Siegel retrouvera pour l’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971), est son choix avec un sens aigu de l’efficacité visuelle. Du grand Art.
Fernand Garcia
La Ronde du crime est édité en DVD dans la Collection Film Noir par Sidonis/Calysta dans une excellente copie en complément de programme Bertrand Tavernier revient sur la genèse du film, les lieux de tournage et le style de Don Siegel (25 mn) de son côté François Guérif aborde l’aspect polar de The Line Up et sa place dans le genre (13 mn), deux interventions pleines d’informations et parfaitement complémentaire.
La Ronde du crime (The Line Up) un film de Don Siegel avec Eli Wallach, Robert Keith, Richard Jaeckel, Mary LaRoche, William Leslie, Emile Meyer, Marshall Reed, Vaughn Taylor, Warner Anderson… Scénario : Striling Silliphant. Directeur de la photographie : Hal Mohr. Décors : Ross Bellah. Montage : Al Clark. Musique : Mischa Bakaleinikoff. Producteurs : Frank Cooper, Jaime Del Valle. Production : Columbia Pictures – Pajemar Productions Inc. Etats-Unis. 1958. 86 mn. Noir et blanc. Format 1.85 :1. Ratio 16/9. VOST-VF Tous Publics.