Don Chaffey est un cinéaste totalement inconnu, pourtant il a signé deux succès populaires. Le premier, en 1963, Jason et les Argonautes a vu son nom éclipsé au profit de Ray Harryhausen, génie des effets spéciaux, et le second, en 1977, Peter et Elliott le dragon – par celui du studio de production Walt Disney. Entre ses deux films pour le public familial, Don Chaffey a réalisé des œuvres honorables pour la Hammer (Un million d’années avant J.C., Creatures the World Forgot) et quantité de séries télé, dont les meilleurs restes Le Prisonnier et Chapeau melon et bottes de cuir. Rien ne laissait présager du choc de Charley-le-borgne, film oublié que ressuscite Artus films en DVD. A 55 ans, Don Chaffey réalise avec ce western une œuvre vraiment personnelle et très originale. Présenté en son temps au Festival de Berlin, l’insuccès du film conduira Chaffey à reprendre son activité dans la série TV en réalisant d’innombrables épisodes de série tel que Chips, Drôles de dames, L’île fantastique, Mission impossible, 20 ans après, etc.
Un soldat yankee noir est surpris au lit avec la femme blanche du colonel. En légitime défense, il abat le mari cocufié. Aussitôt, il devient un renégat avec sa tête mise à prix. En fuite, il rencontre un Indien qu’il « asservit » en reproduisant sur lui toutes les brimades dont il a été victime.
Charley-le-borgne aborde frontalement avec une rage permanente le racisme qui mine les rapports humains. Dès les premières images, le ton est donné avec un combat de chiens, un blanc et un noir. Perdu dans un paysage montagneux aride, le Noir va exercer son pouvoir sur l’Indien qu’il considère comme un inférieur. Ils sont dans une opposition de maître / serviteur. Et c’est au cours de leur périple que les deux hommes vont se connaître et que le mur d’a priori entre eux va se fissurer. Le Noir est un exploité qui est entré dans l’armée pour avoir le droit de tuer des blancs, que l’on suppose être les Sudistes. « Il y a rien de mal à tuer un blanc » énonce-t-il tel un jugement divin à l’Indien. Il n’est pas surprenant que le seul lieu qu’il trouve sur leur chemin soit une église abandonnée, lieu dévasté. Le Noir est en guerre contre le système, son personnage est en résonance avec le mouvement des Black Panther. Quant à l’Indien, c’est un laissé-pour-compte pour qui personne n’a de considération. Son approche de la vie est basée sur la non-violence. Le Chasseur de primes blanc aux trousses du Noir est un concentré de haine et de racisme, un pur produit d’un système qui porte en lui la haine de l’autre, les prémices de l’idéologie capitaliste. Si le Chasseur de primes ne tue pas le Noir immédiatement, c’est que la prime est supérieure pour lui s’il l’amène vivant. L’intelligence du film est de montrer que le racisme s’infiltre dans toutes les couches de la société. Ainsi, les Mexicains, eux-mêmes victimes, se retrouvent à égrener les mêmes inepties envers le Noir et l’Indien.
Charley-le-borgne s’inscrit dans une verve révolutionnaire que l’on pourrait presque rapprocher du cinéma Novo. La mise en scène de Don Chaffey étonne constamment. Il filme au plus près et suit pas-à-pas ses personnages. Le cadre, admirable, alterne les plans serrés et larges avec une telle maestria qu’on finit par avoir l’impression d’être dans un huis clos tourné en extérieur.
Le Noir et l’Indien, les personnages n’ont pas de nom, sont caractérisés avec une indéniable force. Ils existent pleinement, à aucun moment ils ne réagissent de manière conventionnelle, c’est-à-dire de la manière dont nous avons l’habitude de les voir représentés à l’écran. Il faut reconnaître que Richard Roundtree et Roy Thinnes sont prodigieux. Richard Roundtree, le célèbre Shaft de la blaxploitation, compose un noir qui échappe aux clichés, avec ses éclats de rire intempestifs et une hargne qui le consume de l’intérieur. Quant à Roy Thinnes, rendu mondialement célèbre par la série TV Les Envahisseurs, sa performance est tout simplement incroyable. Quelle idée de génie d’en avoir fait un Indien ! Il est plus vrai que nature. Roundtree et Thinnes trouvent dans Charley-le-borgne leurs plus grands rôles.
Il ne fait aucun doute que Charley-le-borgne est la grande œuvre de Don Chaffey, comme s’il avait tout balancé d’un coup. L’homme de Peter et Elliott le dragon termine son film avec un véritable appel à la révolte. Incroyable !
Fernand Garcia
Charley-le-borgne est édité pour la première fois en DVD par Artus Films dans la collection Western Européen. En complément de programme, Le blanc, le noir, le rouge par Alain Petit qui retrace l’histoire du western anglais et revient sur la carrière de Charley-le-borgne, Un diaporama d’affiches et de photos d’exploitation du film et enfin les Films-annonces de la collection (Charley-le-borgne, Matalo, Belle Starr Story, Mort ou vif et Killer Kid).
Charley-le-borgne (Charley-One-Eye) un film de Don Chaffey avec Richard Roundtree, Roy Thinnes, Nigel Davenport, Jill Pearson, Aldo Sambrell, Luis Aller, Rafael Albaicin. Scénario : Keith Leonard. Directeur de la photographie : Kenneth Talbot. Montage : Tim Hampton. Musique : John Cameron. Producteur exécutif : David Frost. Producteur : James Swann. Production : David Paradine Films Limited. Grande-Bretagne. 1972. Couleur. 84 mn. VOSTF.