Œuvre maîtrisée qui répond aux codes du genre, Police Python 357, polar noir et désespéré, est le second long métrage d’Alain Corneau, véritable cinéphile qui s’inspire autant du film noir américain, de Scarface (1932) d’ Howard Hawks à L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971) de Don Siegel en passant par Hitchcock, que du film de genre français. Avec Police Python 357, en mêlant astucieusement drame passionnel et polar, Corneau invente et propose aux spectateurs un cinéma d’un nouveau genre. Un film à l’image de l’arme qui lui donne son titre : Fascinant ! Effrayant ! Efficace !
L’inspecteur Marc Ferrot (Yves Montand), flic solitaire de province, intervient de nuit lors d’un pillage d’église. Présente sur les lieux, mais cachée, Sylvia Leopardi (Stefania Sandrelli) prend des clichés de l’intervention du policier à son insu. Lorsqu’il découvre une photo de lui en vitrine d’un commerce le lendemain, Ferrot rencontre la jeune photographe qui lui promet de lui remettre les clichés volés ainsi que les négatifs. Elle lui donne rendez-vous à la gare le lendemain. Ils se revoient donc et tombent amoureux l’un de l’autre. Mais Sylvia a un autre homme dans sa vie et un lourd passé qu’elle garde secret. Quand elle annonce à cet autre homme qu’elle va le quitter, ce dernier, qui n’est autre que le commissaire divisionnaire Ganay (François Périer), le supérieur hiérarchique de Ferrot, fou de jalousie, dans un accès de folie, s’emporte et la tue. Seule personne au courant de cette liaison et du drame, Thérèse Ganay (Simone Signoret), la riche épouse du commissaire, va le convaincre de ne rien dire afin de sauver les apparences. Chargé de l’enquête, Ferrot se rend très vite compte que tous les indices et témoignages sont contre lui et l’accusent. Une course contre la montre commence pour l’inspecteur qui doit discrètement mener une enquête parallèle afin de découvrir l’identité du véritable coupable. Au cours de la descente aux enfers que va connaître le personnage de ce drame, celui-ci perdra son identité, au sens propre comme au sens figuré.
Réalisé en 1975, Police Python 357 est le second long métrage d’Alain Corneau. Après l’échec commercial de son premier film, France Société Anonyme (1974), fable futuriste angoissée et originale qui lui vaudra tout de même d’être repéré par la profession, Corneau, ancien assistant de Costa-Gavras (mais aussi de Roger Corman, Marcel Camus ou encore Nadine Trintignant), réalise avec Police Python 357 un polar noir au sang neuf. En effet, Police Python 357 marque une date importante, un tournant dans l’histoire du polar français. Le film s’impose comme le renouveau du genre. Le polar à la française à forte influence hollywoodienne.
Dans un soucis de cohérence avec son sujet et ce qu’il cherche à dénoncer, l’immobilisme et les travers d’une bourgeoisie « nauséabonde » et décadente, avec à travers elle, la déchéance de notre société et la perte d’identité des individus, Alain Corneau a choisi de situer l’intrigue et de tourner Police Python 357 à Orléans, ville qu’il connaît bien pour y avoir vécu son enfance et représentative de la grande bourgeoisie. C’est en collaboration avec le scénariste et romancier Daniel Boulanger que le réalisateur passe deux années à écrire le scénario du film en pensant déjà à Yves Montand, avec qui il avait sympathisé sur le tournage de L’Aveu (1970) de Costa-Gavras, pour incarner le personnage de l’inspecteur Ferrot. La réussite et le succès du film mais aussi l’entente entre le jeune réalisateur et sa star, les pousseront à se retrouver sur deux autres polars : l’année suivante pour La Menace aux côtés de Carole Laure, Marie Dubois et Jean-François Balmer, puis, en 1981 pour Le Choix des armes dans lequel Montand partagera l’affiche avec Gérard Depardieu et Catherine Deneuve. Ce sont ces films, sans oublier l’incontournable Série noire (1979) avec Patrick Dewaere et Marie Trintignant, qui assoiront définitivement la stature du cinéaste comme maître du genre.
Avec pour point de départ dramatique la violence dévastatrice de l’amour et de la jalousie, le scénario de Police Python 357 développe et expose bien d’autres thématiques avec une intelligence et une ingéniosité remarquables. Sous une apparence de polar « classique », Police Python 357 est bien plus complexe et original qu’il n’y parait. En effet, le scénario et la mise en scène foisonnent d’inventivité. Le suspense est mené de main de maître et la mécanique minutieuse de l’intrigue relève d’un véritable travail d’orfèvre. Derrière cette mécanique, les thèmes abordés sont, la perte d’identité, la violence, la bourgeoisie, les apparences, la solitude, la société ou encore la justice. L’extraordinaire travail effectué sur le scénario donne au film une dimension de tragédie antique. Sous son apparence de polar, c’est bien à une tragédie contemporaine à laquelle nous invite le cinéaste à travers ce film qui dénonce la violence quotidienne et le fascisme ordinaire qu’impose notre société actuelle aux individus qui la composent. Une tragédie orchestrée par les mécanismes sociaux pervers et insidieux que subissent et/ou véhiculent les individus.
Dans ce film, Corneau dresse un portrait au vitriol des grands notables. Une bourgeoisie magnifiquement incarnée à l’écran par le formidable couple de comédiens Périer-Signoret dont le talent parvient à faire accepter au spectateur l’étrange et étouffante, pour ne pas dire malsaine, intimité de leurs personnages. Les belles demeures, les secrets inavouables et les crimes de cette bourgeoisie privilégiée de province sont enfermés dans un terrible silence qui l’enterre inexorablement. Une société qui non seulement s’enferme sur elle-même mais qui compartimente ses vies (publique, sociale, professionnelle, amoureuse, sexuelle et privée) afin de « vivre » en paix avec elle-même, afin de se donner bonne conscience. Ce cloisonnement pratique et facile traduit donc la faiblesse et la médiocrité de cette bourgeoisie complètement déshumanisée qui, dans un immobilisme effrayant et ne cherchant qu’à sauver les apparences, court inéluctablement à sa perte.
Les us et coutumes de cette classe sociale sont astucieusement mis en opposition à la vie d’un simple petit flic modeste et esseulé, sorti de l’assistance publique, qui a réussi à force d’obstination et de courage. Ce dernier vit dans un appartement austère et n’a pour autre occupation que celle de confectionner méticuleusement les propres balles de son arme dans l’atelier d’armurerie adjacent à son lit de fer. L’inspecteur Ferrot est chargé d’enquêter sur le meurtre de la femme qu’il aimait d’un amour simple et sincère, et dont toutes les preuves l’accusent. Dans une descente aux enfers, il va tenter de falsifier les indices le compromettant et se retrouver finalement contraint de faire une enquête contre lui même. Le faux-coupable se retrouve donc traqué par lui-même. Dans le même temps, il doit donc mener en parallèle sa propre enquête pour découvrir le vrai coupable. Il se sait innocent mais est incapable de le prouver. Coincé dans une impasse, il va être broyé par la société. Comme manipulé par un destin implacable, il va douter de sa propre personnalité et se perdre au point de ne plus savoir ce qu’il fait, jusqu’à la violence. Il est piégé dans un système infernal qui l’obligera à se mutiler physiquement. La perte d’identité va mener ici à une violence aveugle et destructrice. Une violence qui témoigne de la déshumanisation du personnage. Il n’a plus rien à perdre et n’a plus peur. Il est devenu une machine. Un objet sans âme ni conscience. L’équivalent, le prolongement de son arme. Ne craignant plus la mort, il ira jusqu’à la provoquer délibérément mais restera comme condamné à vivre dans ce monde peuplé de morts-vivants. A l’image d’une certaine société occidentale, le personnage de Ferrot se perd.
Les personnages de cette histoire sont interprétés par des comédiens tous aussi remarquables les uns que les autres : l’immense Yves Montand dont le talent n’est plus à démontrer, à la lecture du scénario, n’a pas hésité un instant à risquer son image de l’époque pour incarner ce personnage de flic. Il campe avec justesse le personnage de l’inspecteur Ferrot, orphelin, solitaire, passionné par les armes, qui, pris dans un engrenage infernal, va perdre son identité au point de ne plus être que le simple prolongement son arme, le Python 357 Magnum. Omniprésent tout le film, exceptionnel, le comédien parvient à exprimer toute l’ambiguïté du personnage d’un simple regard. La superbe scène crépusculaire finale illustre et témoigne à la fois de sa vulnérabilité et de sa violente transformation.
Le commissaire Ganay, interprété par un impressionnant François Périer, notable respecté pour ses fonctions, marié à une riche héritière atteinte de paralysie, qui, devenu assassin de sa maîtresse, va se laisser convaincre par sa femme de ne rien dire et de profiter de l’existence d’un mystérieux suspect pour le faire accuser à sa place afin de sauver les apparences.
Thérèse Ganay, époustouflante Simone Signoret, riche épouse du commissaire, est à l’image de cette société immobile, à l’image de l’hypocrisie de cette bourgeoisie. Paralysée, elle est seule à connaître la liaison de son époux avec Sylvia. Elle s’en est accommodée pour ne pas faire de vague et probablement afin de mieux asservir son mari. Elle a cloisonné sa vie pour pouvoir « vivre avec ». « Vivre avec » ce que la morale réprouve pour sauver la face. Cherchant à sauver la carrière et l’honneur de son mari, c’est avec la même démarche intellectuelle hypocrite qu’elle va le manipuler en le poussant à ne rien dire sur le crime qu’il vient de commettre. Ce qui n’est moralement pas acceptable le devient quand ça arrange. Seule l’image compte. Mais le vernis mensonger de cet apparat va se craqueler pour au final voler en éclat et révéler au personnage l’immense solitude qui l’habite.
Le personnage de Ménard, le second de Ferrot, interprété avec sobriété et justesse par Matthieu Carrière, est lui aussi un personnage clef dans l’engrenage social et policier de notre société. Ses idées et pensées sont cloisonnées, compartimentées et immobiles. Il accepte et pardonne le crime dès lors que ce dernier devient « utile » ou « justifiable ». Ses principes sont en fait superficiels et viennent traduire l’aveuglement et la lâcheté des individus dans notre société. Ses principes ne servent en fait qu’à le rassurer et à lui donner bonne conscience. Derrière l’apparence sociale acceptable que cherche à se donner le personnage, on se rend très vite compte que se cache en vérité une personnalité dépourvue de morale profonde et véritable.
Enfin, qui de plus légitime qu’une étrangère, en l’occurrence ici la belle Stefania Sandrelli, pour incarner le mystère émanant du personnage de Sylvia, de sa double vie, de son passé ?
On constate que le metteur en scène s’intéresse principalement aux comportements et aux motivations de ses personnages. Marqués par un fort antagonisme social, les personnages de cette histoire, plutôt que de représenter des héros romantiques, nous sont présentés ici comme des morts-vivants. Ils sont morts mais l’ignorent encore. Ils sont à la fois les victimes et les coupables. Ils sont victimes de leur propre culpabilité. Victimes de leurs défauts et de leurs faiblesses. Victimes d’eux-mêmes.
Avec une impressionnante mise en scène dure et âpre, dès le générique de début sur l’arme qui donne son nom au titre du film, Corneau verrouille son sujet en traduisant la complexité des enjeux (les lieux, les motifs, les mouvements de caméra, le montage ou encore les scènes riches en symboliques). Tout vient démontrer qu’il maîtrise et domine son propos. Notons par exemple les paysages doux qu’il filme au début du film (petites places, maisons de campagne, champs,…) en contraste avec les aspects de plus en plus anonymes, comme par exemple les barres de HLM ou les tristes bords de Loire, et dont le point d’orgue s’avère être l’immense étendue vide et bétonnée d’un parking de centre commercial, symbole même de la violence et de la déshumanisation. Décor que le réalisateur utilisera pour illustrer la dernière scène redoutablement efficace du film dans laquelle il ira au bout de sa logique pour (dé)montrer l’effondrement total de notre civilisation. Le soin apporté à la bande originale, sublimement lugubre et glaciale signée Georges Delerue participe activement elle aussi à l’ambiance et à l’atmosphère froide et livide.
Cinéphile et amoureux du film noir et de son histoire, c’est avec un réel plaisir que l’on note ici les influences et références du réalisateur. Son cinéma qui se rattache volontairement à une tradition culturelle dépasse les limites du polar classique. Certes, le cinéma de Corneau revisite le genre, de Duvivier à Clouzot en passant par Becker, Deray, Clément et bien évidemment Melville. Mais il est également fortement influencé par l’oeuvre de Fritz Lang (dans l’aspect labyrinthique et rigoureux de l’histoire) et, comme nous le montre non seulement la scène du crime mais aussi la manière de solliciter l’intelligence du spectateur et celle de faire naître le suspense des situations, par celle d’Alfred Hitchcock. Le suspense ne réside pas dans l’identité du coupable mais dans comment le personnage de Ferrot va s’en sortir. Également fan du cinéma américain des années 70 et de celui de Don Siegel en particulier, c’est en pensant à L’Inspecteur Harry (1971) et à son interprète Clint Eastwood que Corneau a fabriqué le personnage de Ferrot.
A partir d’un sujet intimiste et dans un genre extrêmement codifié, Corneau parvient à réaliser un film personnel et spectaculaire qui véhicule de nombreuses idées. Le fait de parvenir à faire cohabiter des scènes intimistes avec des scènes d’actions spectaculaires chargées de sens à la fois dans leurs fonds et dans leurs formes, révolutionne le genre. N’en déplaise à certains, Corneau ne se contente pas de faire du cinéma « à l’américaine ».C’est ce qui fait l’originalité du cinéma du réalisateur et son talent. Il excelle tout aussi bien dans chacun de ces registres. Comme le démontre de nombreux éléments du film, le cinéma de Corneau ne se contente pas de dire, il montre. Nourri et enrichi d’une réalité psychologique et sociale solide, Police Python 357 possède diverses lectures possibles. On peut l’ apprécier comme un pur film de divertissement avec enquête, suspense, etc. mais aussi comme une réflexion amer sur la société, l’identité, l’amour, la solitude, le destin, la mort et la vie mais encore la justice, les faux-semblants, les apparences, la liberté, la vérité et le mensonge. Dans chacun des plans du film il y a quelque chose en plus de l’action qui y est montrée au premier degré. Chaque « coup de feu » vient traduire une pensée de l’auteur.
Police Python 357 est l’exemple même d’un cinéma populaire de qualité qui a ouvert de nouveaux horizons au cinéma français et dont on rêverait de voir l’inspiration dans les productions d’aujourd’hui.
Steve Le Nedelec
Police Python 357 un film d’Alain Corneau avec Yves Montand, François Périer, Simone Signoret, Mathieu Carrière, Stefania Sandrelli, Vadim Glowna, Claude Bertrand, Serge Marquant… Directeur de la photographie : Etienne Becker. Décors : Jean-Pierre Kohut-Svelko. Montage : Marie-Josèphe Yoyotte. Musique : Georges Delerue. Productrice : Albina du Boisrouvray. Production : Albina Productions S.a.r .l. – TIT Filmproduktion GmbH. Sortie en salle le 31 mars 1976. France – Allemagne. 1976. 125 mn. Couleurs (Eastmancolor). Format image : 1.66 :1. Police Python 357 est disponible en DVD StudioCanal et en streaming et téléchargement chez imineo.