Les Lions sont lâchés se situe dans la carrière de Henri Verneuil entre deux films à succès avec Jean Gabin, Le Président et Un Singe en hiver. Les lions du titre sont des hommes du petit milieu du « Tout-Paris » que l’héroïne, Albertine, va rencontrer.
Albertine est une jeune femme pleine d’entrain. Elle arrive à Paris par le train de Bordeaux. Son amie Cécile l’attend à la gare Montparnasse. Albertine fraîchement divorcée est bien décidée à se distraire dans la capitale et à connaître le « Tout-Paris ». Cécile la met en garde contre ce monde de faux-semblants, de mesquineries et de petits arrangements, mais Albertine n’a qu’une envie : croquer la vie à belles dents. Elle se retrouve très vite courtisée par un polytechnicien sans le sou et automobiliste fou de vitesse. Alors qu’Albertine ne demande qu’à découvrir les lieux à la mode et qu’elle croit se rendre chez Maxim’s, son cavalier, servant de polytechnique, l’entraîne dans une brasserie quelconque. Albertine est déçue et la robe de soirée qu’elle avait empruntée, plutôt que l’admiration, ne suscite que des rires moqueurs de la part des habitués des lieux. Ennuyeux à périr, le polytechnicien la saoule avec ses équations à même la nappe. Premier épisode et première déconvenue pour notre jeune « Rastignac de province ».
A une soirée, elle rencontre le fougueux et chouchou du « Tout-Paris », l’écrivain Didier Mazère. Imbu de lui-même, il étale à l’infini ses connaissances. Albertine est immédiatement sous le charme de l’écrivain. Elle n’attend qu’une chose, qu’il l’entraîne dans sa chambre. Une nouvelle déconvenue l’attend, le beau parleur est un piètre amant. Le verbe haut, la verge basse. Cette deuxième aventure se termine sur un sentiment d’amertume… La pauvre Albertine, qui était prête à toutes les aventures et expériences, ne trouve dans ce milieu de snobs que suffisances et mensonges. Elle rencontre André, le médecin du « Tout-Paris », homme solide et marié. Il apprécie Albertine parce qu’elle est jeune et… en bonne santé… Albertine se donne à lui et devient sa maîtresse. Mais le brave médecin est toujours entre deux rendez-vous. Misogyne, cynique et brutal, c’est à la « hussarde » qu’il la prend dans des chambres d’hôtels aux quatre coins de Paris. Albertine se lasse bien vite de cette relation… Troisième et dernière aventure pour la provinciale. Dix mois après son arrivée, Albertine rentre à Bordeaux retrouver son mari, son « tyran légitime ».
Pour son 17e film en 10 ans, Henri Verneuil opte pour l’adaptation d’un roman tragi-comique dans l’air du temps signé par Nicole, simple prénom de plume sous lequel se cache une journaliste du Figaro, Françoise Parturier. Adapté par France Roche, qui s’illustrera quelques années plus tard dans la critique cinéma, et dialogué par Michel Audiard, Les Lions sont lâchés est un film hybride. Pas vraiment une comédie, pas vraiment un film sérieux. Dans les différentes péripéties que Verneuil met en place pour son Albertine, sorte de Candide des temps modernes, il faut reconnaître qu’elles sont assez inégales même si l’ensemble se suit sans déplaisir. Ce déséquilibre vient non seulement des hésitations du scénario mais aussi de la distribution.
Pour donner corps à cette critique du « Tout-Paris », Verneuil réunit autour de lui une pléiade de jeunes talents : Jean-Claude Brialy, Claudia Cardinale, Darry Cowl et des vedettes confirmées, Michèle Morgan et Danielle Darrieux, Lino Ventura. Ce choix de comédiens, qui auraient fait les beaux soirs du théâtre de boulevard, va s’avérer toutefois moins judicieux sur le grand écran.
Albertine est interprétée par Claudia Cardinale. Pour la belle italienne, Les Lions sont lâchés est le premier film où sa voix n’est pas doublée, ce qui nous offre l’occasion d’entendre son joli timbre de voix. Evidemment, son charmant accent est bien éloigné de celui du Sud-Ouest. Qu’importe, elle est délicieuse et apporte à son personnage une fraîcheur et une candeur des plus heureuses. Michèle Morgan comme confidente d’Albertine est pour le moins un choix étrange, tant Claudia Cardinale et elle appartiennent à des générations différentes, ce qui rend leur complicité peu probable.
Darry Cowl en polytechnicien farfelu, pourquoi pas ? Il y a tant de fantaisie dans son comportement, de bafouillage dans son phrasé, que l’alchimie avec le personnage d’Albertine ne prend pas et ce segment du film patine. Pourtant les situations sont drôles et surprenantes. Darry Cowl en fou du volant est une belle trouvaille, et la séquence du métro, où Albertine se débarrasse de lui par une petite astuce, est un moment, qui joue tout autant sur la drôlerie de la situation que sur son côté pathétique. La conclusion en étant particulièrement cruelle pour le pauvre polytechnicien.
Le meilleur moment reste la prestation de Jean-Claude Brialy. Le jeune acteur, lancé par la Nouvelle Vague, – les courts métrages de Jacques Rivette et Jean-Luc Godard et le film de Claude Chabrol, Les Cousins (1959) – est impeccable en écrivain très « nouveau roman ». Il est irritant à souhait et insupportable de prétention. Il bénéficie d’un dialogue ciselé avec hargne et érudition par un Michel Audiard qui visiblement s’en donne à cœur joie. Le « couple » Brialy – Cardinale fonctionne parfaitement. Ils ont la meilleure scène du film. A croire que la beauté de Claudia rend les hommes impuissants. Quelques mois auparavant, elle était à l’affiche du Bel Antonio de Mauro Bolognini, où jeune mariée, elle est confrontée à l’impuissance de son mari (Marcello Mastroianni).
Le choix de Lino Ventura pour le médecin tombeur de ces dames s’avère une fausse bonne idée tant son histoire d’amour avec Claudia Cardinale peine à être crédible. Il incarne l’homme qui assure, celui qui en a et qui ne s’embarrasse pas de sentiments. Son personnage est exactement inverse de celui de l’écrivain. Il y a peut-être là un petit règlement de comptes entre Verneuil/Audiard et la Nouvelle Vague. Celle-ci n’était pas tendre avec les deux et considérait Verneuil comme un habile faiseur. Le choix de Jean-Claude Brialy, « héros » de la Nouvelle Vague, en opposition à un Lino Ventura, vedette de films grand public, n’est pas si innocent que ça. Si le message subliminal était de montrer la Nouvelle Vague comme inconsistante et impuissante, c’est un échec. L’acteur de la Nouvelle Vague se sort avec légèreté et finesse d’un rôle particulièrement ingrat.
C’est donc un double portrait que nous concocte Verneuil et Audiard avec Les Lions sont lâchés : celui d’Albertine et celui d’un milieu parisien bien particulier qui se compose d’environ 300 personnes, le fameux « Tout-Paris ». Le film prend timidement en compte l’évolution des mœurs de ce début des années 60. Albertine est une femme un peu plus libre, Brigitte Bardot et son Et Dieu créa la femme est passé par là. C’est un personnage « émancipé », mais les vieux réflexes scénaristiques subsistent encore. Albertine, jeune femme libérée, fraîchement divorcée, qui veut connaître des « aventures » et jouir des plaisirs de la chair, ira de déroute en déroute. Dix mois de vie parisienne particulièrement décevante. Opiniâtre, elle a l’expérience de la vie comme ex femme mariée… mais elle reste une provinciale assez naïve. Le film aura vite fait de la renvoyer vers sa vie d’avant et son mari ! Dans la scène finale, les volutes de fumée qui remplissent l’écran ne sont pas celles de la locomotive mais des effluves paternalistes. Le message est clair. Albertine rentre à la maison demander pardon à son ex futur mari. Etrange comédie du remariage, où le mari n’est évoqué que par le dialogue. Le bon exemple des Lions sont lâchés est donné par Cécile, (Michèle Morgan) mariée à 20 ans et aussitôt mère de deux enfants. Mais Michèle Morgan est une actrice des plus subtiles et dans son regard flotte une envie de liberté bien perceptible pour le spectateur attentif. Quelques années plus tard, le cinéma commercial s’adaptera tant bien que mal à la nouvelle donne de l’après 68 et aux nouveaux droits des femmes.
Charles Aznavour, arménien comme Henri Verneuil, fait une furtive apparition dans la séquence de la soirée de Marie-Laure, et c’est son beau-frère Georges Garvarentz, arménien lui aussi, né en Grèce, qui est l’auteur de l’excellente musique des Lions sont lâchés. C’est l’unique participation du compositeur à un film de Henri Verneuil. 22 ans après Les Lions sont lâchés Claudia Cardinale incarnera à nouveau la maîtresse de Lino Ventura dans Le Ruffian de José Giovanni.
August Tino
Les lions sont lâchés, Collection Découverte – Gaumont, en Blu-ray HD encodé à 1080p mixage en DTS-HD Master Audio Mono d’origine. En complément de programme : Une présentation du film par Philippe Durant.
Les lions sont lâchés, un film de Henri Verneuil avec Jean-Claude Brialy, Claudia Cardinale, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Lino Ventura, Darry Cowl, Denise Provence, Daniel Ceccaldi, Louis Arbessier, Marcel Charvey, Marc Lambert, Bernard Musson. Scénario : France Roche d’après le roman de Nicole. Dialogues : Michel Audiard. Directeur de la photographie : Christian Matras. Décors : Roger Clavel. Montage : Borys Lewin. Musique : Georges Garvarentz. Production : Franco London Film – Vides Cinematografica. France – Italie. 1961. 107 mn. Noir et blanc – DyaliScope. Sortie : France 20 septembre 1961.