Un panoramique rapide sur une plaine rocailleuse se termine sur deux corps étendus, morts, au pied d’un arbre. Un homme et une femme, un Indien et une squaw, lynchés et abandonnés-là aux vautours. Deux cordes pendouillent de l’arbre à pendre. Le début est sec et précis. Le générique en lettre rouge s’inscrit sur cet arbre mort d’où pendouillent deux cordes pour les pendaisons, image de désolation. Il y a là quelque chose d’inhabituelle. La suite semble à première vue classique, l’arrivée d’un étranger, Frank Madden (Guy Madison) dans une ville, curieusement déserte. Dans le saloon, transformé en cour de justice, on juge trois frères, les Shipley, pour le meurtre des deux Indiens. L’accusation se base sur le témoignage d’une Indienne, Taini (Kathryn Grant), mais sa parole n’a aucune valeur, ce n’est qu’une squaw. Les frères sont acquittés par le jury sans la moindre délibération… C’est la joie dans l’assemblée, la vie va reprendre son cours…
La vengeance de l’indien est un western antiraciste d’une grande finesse psychologique. Le héros, Frank Madden, il cache délibérément ses origines indiennes, élevé par sa mère et son grand-père indiens après avoir été abandonné par son père blanc dans une réserve. Madden, veut une terre à lui et non croupir sans perspective. Il porte en lui ce rêve américain des pionniers, mais il est né du mauvais côté, parmi les dépossédés. Quelques scènes particulièrement bien construites mettent notre personnage principal face à ses propres contradictions. Il ne peut ignorer les souffrances de son peuple et ne peut adhérer au racisme des gens du coin perdu du Far West. Tous les blancs ne sont pas des racistes, heureusement, des personnages sauvent l’honneur : le juge, le shérif, Catherine Felicia Farr, qui tombe amoureuse de Madden, mais ils ne peuvent pas grand-chose face à la masse raciste dominante.
Il n’est pas possible aux yeux de Madden d’être soi-même dans cet environnement qui nie son propre existence. On assiste à une scène très forte, où le grand-père indien retrouve Madden. Leur discussion délimite clairement deux visions du monde. Le grand-père finit par lui proposer de devenir son domestique. Madden en pleine confusion le laisse en plan, Sherman poursuit alors la scène, nous restons sur le vieil Indien, sur son visage d’homme fier de ce qu’il est, – magnifiques instants, où s’exprime dans la dignité toute la souffrance d’un peuple rejeté.
Autre moment admirable : Madden, accusé à tort de l’assassinat d’un des frères Shipley, est entraîné par une foule assoiffée de vengeance pour un lynchage de plus. Intervient alors dans une tentative désespérée Catherine qui avoue publiquement son amour pour Madden. Elle ne décroche que des rires et des sarcasmes… Madden doit mourir. Ce n’est que le faux témoignage de la squaw Taini, sur leur prétendue nuit ensemble, qui le sauve. La foule prend pour argent comptant ce que dit l’Indienne non seulement parce que cela condamne la relation que l’un des frères espérait avoir avec elle, mais aussi parce que cela humilie la femme blanche. La scène se termine par un plan des plus symboliques, une plongée sur Madden, seul, abandonné de tous, à la croisée des chemins.
Madden profondément dégoûté par la fourberie et la lâcheté des blancs, se reconstruit une identité, où s’affirment enfin ses origines indiennes. Étonnant film, où, pour un court moment, le droit de vivre est supérieur au droit de propriété. Mais l’Amérique est une machine à intégrer ; ainsi dans la séquence finale, le shérif, intègre Madden à la communauté en tant qu’homme et lui garantit ses droits sur ses terres et son ranch.
La vengeance de l’Indien western méconnu à la structure classique recèle en lui des interstices de vérité qui reste aujourd’hui encore d’actualité, et c’est tout à l’honneur de son réalisateur George Sherman.
Fernand Garcia
La vengeance de l’Indien est édité pour la première fois en DVD par Sidonis/Calysta dans une très belle copie (image et son restaurés). En complément de programme deux présentations, l’une par Patrick Brion, qui replace La vengeance de l’indien dans l’histoire du western et l’année 1956 (9 mn), l’autre par Bertrand Tavernier, qui analyse le film, le contexte social de l’époque, et sur les différents artistes au générique (20 mn). Les deux interventions, enrichissantes et passionnantes, se complètent parfaitement (Réalisation Eric Paccoud).
La vengeance de l’Indien (Reprisal !) un film de George Sherman avec Guy Madison, Felicia Farr, Kathryn Grant, Michael Pate, Edward Platt, Otto Hulett, Wayne Mallory. Scénario : David P. Harmon, Raphael Hayes et David Dortort d’après une histoire de David P. Harmon et le roman d’Arthur Gordon. Directeur de la photographie : Henry Freulich. Consultant Technicolor : Henri Jaffa. Décors : Walter Holscher. Montage : Jerome Thoms. Producteur : Lewis J. Rachmil. Production : Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1956. Couleurs (Technicolor). 74 mn. Format image : 1.37 :1. VOST. VF. Tous Publics.