L’Antéchrist- Alberto de Martino

Ippolita, une jeune femme, est depuis un tragique accident de la route, clouée sur son fauteuil roulant. Son père, un homme de la haute bourgeoisie italienne, l’accompagne dans une petite caverne, où derrière une grille trône l’effigie de la Vierge. Ippolita espère un miracle qui ne se produit pas…

Carla Gravina L'Antéchrist

L’Antéchrist est, avec Holocauste 2000 (1977), le « chef-d’œuvre » d’Alberto De Martino. Peu connu, Alberto de Martino est l’un des grands artisans du cinéma bis italien. Il a exercé tous les métiers dans l’industrie cinématographique, de la figuration au montage en passant par le doublage, la postsynchronisation, avant de passer à la réalisation en 1961 avec Il Gladiatore invincibile. Il enchaîne péplums, sous-James Bond, fantastiques gothiques, westerns spaghettis avec succès. Il acquiert un savoir-faire évident tout au long des années 60/70, ce qui lui permet de diriger de solides acteurs, européens ou américains : Kirk Douglas, John Ireland, Curd Jürgens, Anthony Quayle, Stuart Whitman, Dorothy Malone, John Saxon, Frederick Stafford, Carole Laure, Martin Landau, Donald Pleasence ou Agostina Belli dans des films aux budgets confortables. Au début des années 70, le triomphe du film de Francis Ford Coppola Le Parrain (The Godfather, 1972) entraîne une série de films sur la mafia. De Martino suit le mouvement en réalisant les excellents Le nouveau boss de la mafia (I familiari delle vittime non saranno avvertiti, 1972) avec Telly Savalas et Le Conseiller (Il consigliori, 1973) avec Martin Balsam et Tomas Milian. Ses films bénéficient généralement très souvent de bons scénarii, tout en reprenant des succès du moment, ils ont une touche particulière. Alberto De Martino est l’un des rares cinéastes de films populaires d’exploitation à participer à l’écriture et à être crédité comme scénariste au générique.

L'Antéchrist

L’Antéchrist s’inscrit dans la vague des films de possession diabolique qui va découler du phénoménal succès du film de William Friedkin L’Exorciste. Dans ce courant, L’Antéchrist reste des années après sa réalisation l’un des meilleurs.

La première partie est tout à fait remarquable. Dès la scène d’introduction, on voit une procession et une adoration de la madone, s’installe un climat et une ambiance de terreur et de dépravation. Le montage de la séquence est étonnant. Les pauvres gens qui s’agglutinent aux pieds de la Sainte – De Martino fractionne les mouvements par une série rapide de raccords dans le mouvement, reprenant le même mouvement quelques instants avant, créant ainsi un sentiment d’étrangeté. Impression qu’un temps parallèle au nôtre existe. Cette scène de dévotion ce conclut par le suicide d’un possédé. Cette vision a un impact émotionnel très fort sur Ippolita (Carla Gravina) et sur les spectateurs. Elle est un mélange de religiosité extrême et de superstition. Ippolita, handicapée depuis un accident de voiture, s’attendait à un miracle qui n’aura pas lieu. De Martino met d’emblée en place des éléments ou des actions qu’il réutilisera tout au long du développement de l’intrigue, ce qui témoigne d’un scénario assez rigoureux.

Douée de pouvoir médiumnique, Ippolita est déjà en rupture avec son entourage. Ses sentiments les plus refoulés vont faire surface. Ils sont de nature fortement sexuelle. Son attirance envers son père (Mel Ferrer), veuf depuis le tragique accident de voiture est très possessive. Ippolita ne supporte pas la présence de son amante (Anita Strindberg). Elle accepte de se livrer à un psychanalyste (Umberto Orsini) qui par propose de la soigner par l’hypnose. Pendant ces séances, Ippolita régresse jusqu’à devenir une femme condamnée pour sorcellerie par l’église catholique moyenâgeuse.

L'Antéchrist

Dans la meilleure et plus belle séquence du film, tandis que son père est dans l’appartement de sa maîtresse et s’apprête à lui faire l’amour, Ippolita à demi nue sur son lit se masturbe au son des cloches du Vatican. Elle plonge dans une extase qui la conduit à vivre une scène de sabbat de sorcières, où elle est prise par le Diable en personne. Séquence orgiaque, où la composition picturale à dominante bleu renvoie non seulement aux images teintées des origines du cinéma, on songe à La sorcellerie à travers les âges (Häxan) de Benjamin Christensen, mais aussi au Sabbat des sorcières de Goya du XVIIIe siècle. Il faut louer l’excellente photographie d’Aristide Massaccesi (et futur réalisateur sous le nom de Joe d’Amato) sur l’ensemble du film et plus particulièrement sur cette séquence qui alterne Ippolita sur son lit et le sabbat.

L'Antéchrist Alberto De Martino

L’Antéchrist est pour partie la description d’un cas psychanalytique, la foi n’étant que le puissant vecteur de superstitions et de comportements irrationnels. C’est du côté de la frustration sexuelle que penche le film. L’handicape physique, Ippolita est une métaphore de sa sexualité refrénée. Seule dans sa chambre, Ippolita découvre sur une image pieuse du Christ, son sexe en érection. Elle s’en débarrasse prestement dans le feu de la cheminée, mais elle brûle déjà d’un désir, qui la précipite dans les flammes de l’enfer. Elle a des penchants incestueux pour son père, puis elle franchit le pas avec son frère. Ippolita, frustrée sexuellement, est dans la transgression des tabous. Ippolita est dans un imaginaire délirant qui petit à petit va se fondre avec sa vie réelle.

Carla Gravina L'Antéchrist

Carla Gravina est formidable en Ippolita. Elle rend crédible un rôle particulièrement difficile qui pourrait facilement basculer dans le ridicule. Gravina s’investit corps et âme dans son rôle, presque à nu, sans apport excessif de maquillage, elle joue sur une gamme extrême de sentiments. L’Antéchrist repose sur ses épaules. Le film s’articule autour de sa performance. Autour d’elle, De Martino a réuni une distribution de premier choix : Mel Ferrer, Alida Valli, Umberto Orsini, Arthur Kennedy,  George Coulouris, et Anita Strindberg sont tout à fait convaincants dans leurs rôles respectifs. La musique remarquable d’Ennio Morricone et de Bruno Nicolai intensifie le sentiment de lutte diabolique, à laquelle sont livrés les personnages, et accentue un sentiment de malaise qui ne desserrera son emprise sur le spectateur qu’à la fin du générique. Ennio Morricone composera, quelques années plus tard, une magnifique partition pour la suite de L’Exorciste, L’Hérétique (Exorcist II : The Heretic, 1977) de John Boorman.

A cette première partie passionnante à plus d’un titre, De Martino va dans la deuxième partie se mettre dans les rails de L’Exorciste avec des scènes plus attendues comme l’arrivée de l’exorciste. Le film accuse alors une petite baisse de régime dû à la proximité des scènes avec celle du film de Friedkin. De Martino utilise remarquablement le plan large. Pourtant sa mise en scène « pèche » parfois. Après des séquences intenses et spectaculaires, les personnages reprennent comme si rien ne s’était passé dans la séquence précédente.

Carla Gravina Mel Ferrer

La séquence finale de la fuite dans Rome de Ippolita sous une pluie diluvienne est une vraie réussite plastique. Elle se termine de façon ironique au Colisée, lieu de sacrifice des chrétiens dans la Rome antique. Au pied d’une croix, Ippolita, les cuisses amplement écartées et hurlant de douleur, subit une sorte d’avortement. Mais De Martino n’ose pas aller visuellement au bout de son audace. C’est l’exorciste  qui précise : «  l’Antéchrist ne naîtra pas » sur une étrange famille recomposée. Au son des cloches et des grandes orgues, sur des plans de la cité papale s’achève l’aventure du triomphe du bien… pourtant rien n’est moins sûr… le mal rôde toujours… et le cinéma y gagne toujours un peu…

Fernand Garcia

L'Antéchrist dvd

L’Antéchrist est édité par Le Chat qui fume pour la première fois en version intégrale dans une magnifique copie. Cette édition nous régale de compléments de programme tout à fait intéressant et passionnant. L’Antéchrist par David Dielot, revient sur le film, ses différentes éditions VHS en France et ses liens avec L’Exorciste. L’Exorcisme de De Martino par Christophe Gans, sur la carrière d’Alberto De Martino, sa place dans la production populaire italienne et son style. Il évoque aussi l’apport primordial de Joe d’Amato au film. L’Exorcisme de Satan avec Adolfo Troiani assistant d’Aristide Massaccesi à ce titre témoin privilégié d’un tournage épique et enfin Nicolai et Morricone par Christophe Gans. Documents passionnants qui se complètent parfaitement dans l’approche et l’analyse du film. Des génériques alternatifs et des Bandes annonces complète cette très riche section. Comme pour ses précédentes éditions (L’Affaire de la fille au pyjama jaune, Journée noire pour un bélier) L’Antéchrist nous est proposé dans un superbe digipack trois volets. Un must pout tous les amoureux du cinéma Bis et du fantastique européen.

L'ANTECHRIST

L’Antéchrist (L’Anticristo/The Antichrist) un film de Alberto de Martino avec Carla Gravina, Mel Ferrer, Alida Valli, Arthur Kennedy,  George Coulouris, Umberto Orsini, Anita Strindberg, Mario Scaccia. Scénario : Gianfranco Clerici, Alberto De Martino et Vincenzo Mannino. Directeur de la photographie : Aristide Massaccesi. Décors : Uberto Bertacca. Montage : Vincenzo Tomassi. Producteur : Edmondo Amati. Musique : Ennio Morricone & Bruno Nicolai. Production : Capitolina Produzioni Cinematografiche s.r.l. Italie. 1974. 107 mn. Couleurs (Eastmancolor). Format image : 1.85 :1. 16/9e compatible 4/3. Langues : Français/Italien/Anglais. Sous-titre : Français. Classification salle : Interdit aux moins de 16 ans.