La nuit est tombée sur la Capitale. La circulation s’écoule dans ses grandes artères comme le sang dans les veines. Un battement de cœur s’accélère. Dans cet univers banalement quotidien, tout peu arrivé… Ce cœur qui bat est celui de Nora.
Nora vit seule dans un appartement d’une tour moderne et anonyme. Son amant a rompu avec elle. Depuis sur cette douloureuse rupture s’est greffée l’angoisse d’appels téléphoniques d’un maniaque. Nora a peur. Elle a changé son numéro de téléphone n’y a rien fait. Elle décroche et c’est à nouveau la voix menaçante du pervers. Il la menace d’un terrible châtiment. Nora panique. Son appel au secours au commissariat de quartier est resté lettre morte. Soudain l’on sonne à la porte. Dans une crise de panique, Nora commet l’irréparable. Elle saute du 17e étage.
Le commissaire Letellier est obsédé par Marcussi, un dangereux braqueur de banques qui lui a échappé. Letellier essayé de la prendre ne flag mais l’opération a mal tournée. Son coéquipier est abattu d’une balle en pleine tête et une autre perdue terrasse un passant. L’opération se solde par un échec et de lourdes pertes.
Letellier est muté de l’antigang à la criminelle. Il se retrouve avec son partenaire l’inspecteur Moissac sur ce qu’il croit être une simple affaire de routine, le « suicide » de Nora. Il n’accorde pas trop d’importance aux menaces d’un névrosé se faisant appeler Minos, référence au juge aux portes des enfers de Dante. Minos mène un combat contre la libération des mœurs, dans sa folie, il s’en prend à d’autres femmes… la liste des victimes s’allonge…
Peur sur la ville est un film particulièrement efficace qui s’inspire tout autant d’une tradition du cinéma policier français, le commissaire Letellier rend nommément hommage à Jean Gabin, que du réalisme urbain en vogue à l’époque dans le cinéma américain. Le commissaire Letellier est taillé dans l’étoffe du Steve McQueen de Bullitt et du Clint Eastwood de L’inspecteur Harry. Mais contrairement à ses aînés américains, il n’est ni un névrosé ni un véritable solitaire. Jean-Paul Belmondo apporte mon seulement à son personnage sa gouaille, son phrasé, sa nonchalance mais aussi son humour.
Verneuil confronte son commissaire à une double enquête qu’il va devoir mener de front, ou plutôt une double traque. Celle d’un braqueur qui n’hésite pas à faire usage des armes et celle d’un maniaque sexuel. Par un habile tour de passe-passe, le scénario expédie son personnage principal, un homme d’action et de terrain, de l’antigang à la criminelle. Ce qui permet à Verneuil et à ses coscénaristes Jean Laborde et Francis Veber de développé toute une série de péripéties plus spectaculaire les uns que les autres dans un enchainement implacable tout en restant au plus près du quotidien des policiers. Ce réalisme des situations est à mettre au crédit de Jean Laborde et Francis Veber tous deux ex-journalistes. Jean Laborde grand chroniqueur judiciaire pour France-Soir et L’Aurore écrivait en parallèle de son activité sous le pseudonyme de Jean Delion et de Raf Vallet de remarquables séries noires dont plusieurs furent portés à l’écran : Le Pacha avec Jean Gabin, Adieu Poulet avec Lino Venture et Patrick Dewaere et Mort d’un pourri avec Alain Delon. De son côté Francis Veber est un ex-journaliste de RTL. Avant tout homme de lettres, il venait de connaitre une série de grands succès au cinéma : Il était une fois un flic avec Michel Constantin et Mireille Darc, Le grand blond avec une chaussure noire et sa suite Le retour… avec Pierre Richard et Mireille Darc, La valise avec Jean-Pierre Marielle et toujours Mireille Darc et L’Emmerdeur avec Lino Ventura et Jacques Brel. Juste avant Peur sur la ville, Veber avait collaboré à un autre film avec Belmondo, Le Magnifique de Philippe de Broca, sans être crédité au générique. Un lien extra-cinématographique est à établir entre Verneuil et Veber puisque celui-ci est arménien par sa mère la romancière Catherine Agadjanian, signalons au passage que son père est l’auteur de Fanfan-La-Tulipe, premier cavalier de France, dont l’adaptation au cinéma avec Gérard Philipe est encore dans toutes les mémoires.
Verneuil greffe sur l’ADN son film de multiples références à de grands classiques du polar. Hommages qui s’inscrivent harmonieusement dans sa mise en scène. Ainsi dans la séquence la plus complexe du film tant par sa réalisation que par sa construction, la double poursuite Minos/Marcucci, les exemples abondent. La poursuite sur les toits de Paris est une référence directe à Vertigo d’Alfred Hitchcock, mais le policier incarné par Jean-Paul Belmondo n’est pas sujet au vertige comme James Stewart.
Minos se cache parmi des mannequins dans une remise des Galeries Lafayettes. La scène est une reprise de celle non moins célèbre du Baiser du tueur de Stanley Kubrick. La spectaculaire séquence du métro aérien (ligne 6) est évidemment un démarquage de celle de French Connection de William Friedkin. La localisation des Minos grâce aux enregistrements sur bandes magnétiques des appels de Minos évoque Conversation Secrète de Francis Ford Coppola, Palme d’or du Festival de Cannes en 1974.
L’ensemble, intrigue policière et scènes d’action, fonctionne parfaitement, le rythme soutenu ne laisse aucun répit aux spectateurs. La longue séquence de la poursuite et son enchevêtrement de deux actions distinctes est non seulement une réussite en termes de mise en scène mais aussi de montage. Et reste sans conteste l’une des meilleures séquences de la carrière d’Henri Verneuil.
Peur sur la ville n’est pas avare en moments forts et son personnage principal, le commissaire Letellier, se retrouve dans des situations plus que périlleuses. Verneuil épouse dans sa mise en scène jusqu’au mouvement de Belmondo. Sa caméra est au diapason du corps de l’acteur. Dans la réunion dans les bureaux de la police qui suit directement la séquence de la course-poursuite, la caméra est soi subjective, elle épouse le regard du commissaire sur ses supérieurs, soit objective en suivant chacun de ses mouvements du commissaire, sur une chaise pivotable, en panoramique gauche/droite – droite/gauche.
C’est dans Peur sur la ville que Belmondo réalise ses cascades les impressionnantes, course-poursuite sur les toits de Paris, du métro ou suspendu au bout d’une corde reliée à un hélicoptère. En ancrant l’action en milieu urbain, Verneuil fait de Paris un personnage à part entière. La situation géographique à son importance. Les histoires en parallèle se rejoignent quand elles se croisent dans la capitale.
Letellier abandonne la poursuite de Minos quand son chemin se retrouve à proximité de Marcucci qu’il prend aussitôt en chasse. Cette topographie parisienne ajoute un souffle de réalisme qui est pour beaucoup dans le charme et la réussite du film.
Henri Verneuil se permet de jouer sur ce que le public imagine du héros et de sa vie. Ainsi cette scène où le commissaire rentre, à ce qui nous semble être chez lui, et retrouve une femme (sa compagne ?) en peignoir passablement irrité par, supposons-nous, ses absences.
Et bien, absolument pas, il s’agit d’une des femmes harcelées par Minos, chez qui Letellier est en planque. La scène habillement construite ne manque pas de piquant. Pourtant le commissaire est bien un solitaire, puisque de sa vie privée, pas un mot. Il est en permanence sur le terrain.
Toujours dans cette même séquence, Letellier évoque sa fascination pour l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, quelques années plus tard Verneuil consacrera un film, I comme Icare (1979) au démontage de l’histoire officielle.
Jean-Paul Belmondo incarne pour la première fois de sa carrière un policier et non un aventurier, un voyou ou un marginal. Il faut reconnaitre que les méthodes d’investigation du commissaire Letellier n’ont rien d’orthodoxe. Pourtant s’il emprunte à ses modèles d’outre-Atlantique une attitude volontariste, il n’en reste pas moins Français dans sa nonchalance et son humour.
Entièrement bâti autour de sa star, Jean-Paul Belmondo, Peur sur la ville porte toutefois en lui les prémices d’une sorte de « Buddy Movie » à la française. Il ne s’agit pas dans le cas présent d’une opposition de personnages mais d’une complémentarité, d’un duo : Belmondo – Charles Denner.
Ce qui permet, essentiellement dans la première partie, un jeu de ping-pong verbal des plus réjouissants et de dynamiser ainsi toute les scènes dialoguées. L’on reconnaît aisément dans cette construction des dialogues toute la technique et verve de l’auteur de L’Emmerdeur, Francis Veber.
Sur un point en particulier, le film est assez prémonitoire. Minos, barricadé avec ses otages, suit les événements extérieurs à la télévision. Chose inhabituelle en France à l’époque. Cette interaction supposée entre un preneur d’otages et la télévision engendrera de multiples polémiques avec l’apparition des chaines d’information en continu. Le phénomène de l’information spectacle existait déjà aux Etats-Unis et le cinéma s’en était fait écho dans Un après-midi de chien de Sidney Lumet avec Al Pacino. Mais c’est toutefois l’information radio que Minos privilégie. Ce qui permet à Verneuil une brève note psychanalytique sur le refoulement sexuel en lien avec le psychopathe.
Peur sur la ville est la première production contrôlée à 100 % par la société de Jean-Paul Belmondo, Cerito films. Echaudé par Borsalino, l’omniprésence d’Alain Delon au générique, comme producteur et acteur, et les 10% des bénéfices après amortissement qu’il n’a jamais vu venir de la Paramount, Jean-Paul Belmondo décide de produire désormais ses films. Coproducteur sur Docteur Popaul, Le Magnifique et Stavisky, il passe à la vitesse supérieure avec Peur sur la ville. Partenaire privilégié et homme à tout faire, depuis la fin des années 60, de Jean-Paul Belmondo, René Château va mettre en place une stratégie de communication d’une redoutable efficacité. Ce grand spécialiste et amoureux du cinéma populaire conçoit l’affiche à la gloire de son héros en se basant sur celle de Bullitt.
Jean-Paul Belmondo trône tout de noir vêtu, holster en bandoulière, dans une posture sans équivoque, un léger sourire aux lèvres, impérial, seul et magnifique. Cette image n’est pas extraite du film, mais renvoi à un fantasme du public pour des hommes plus grands que natures. A l’arrière-plan, la ville est présente, signe qu’avec un tel homme l’ordre règne et que nous sommes en sécurité. René Château fait disparaitre le prénom de l’acteur pour ne sauvegarder que son nom comme une marque de fabrique. Il devient ainsi un acteur dont le seul nom suffit à évoquer un univers et un contenu précis. Peur sur la ville rencontre immédiatement l’adhésion du public qui en fait l’un des plus importants succès de l’année. Peur sur la ville reste l’un des meilleurs films de l’association Belmondo – Verneuil que l’on revoit, année après année, toujours avec le même plaisir.
Fernand Garcia
Peur sur la ville est disponible en Vod dans le cadre du cycle Henri Verneuil sur imineo. Pour tout achat ou location d’un film de cette sélection, un dossier thématique (en pdf) regroupant découpages, analyses, interprétations et coupures de presse d’une sélection de films de Henri Verneuil, vous sera offert. Le dossier Henri Verneuil une co-edition KinoScript, imineo en partenariat avec le CNC.
Peur sur la ville, un film d’Henri Verneuil avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto-Maria Merli, Léa Massari, Rosy Varte, Roland Dubillard, Jean Martin, Catherine Morin, Germana Carnacina, Giovanni Cianfriglia, Jean-François Balmer, Jacques Paoli, Henri Djanik, Jean-Louis Fortuit, Philippe Brigaud. Scénario : Henri Verneuil. Adaptation : Henri Verneuil, Jean Laborde & Francis Veber. Dialogues : Francis Veber. Directeur de la photographie : Jean Penzer. Décors : Jean André. Montage : Pierre Gillette & Henri Lanoë. Montage : Ennio Morricone. Producteur : Jean-Paul Belmondo. Production : Cerito Films – Mondial TeFi Televisione Film. France-Italie. 1975. Couleurs (Eastmancolor). Panavision. Format image 1.85 :1. 120 mn.