En 1979, la commission de classification classe X pour incitation à la violence le film australien Mad Max, premier film d’un jeune cinéaste, George Miller. Ce chef-d’oeuvre sauvage est interdit en France pendant de nombreuses années. Trente-six ans après cette pitoyable censure, George Miller est Président du jury du 69e Festival de Cannes, quelle revanche !
Dans les années 70, le cinéma australien connaît un véritable âge d’or. Des cinéastes se révèlent sur la scène internationale : Peter Weir, Fred Schepisi, Bill Bennett, Colin Eggleston, Philip Noyce, Jim Sherman, Richard Franklin… l’originalité de leurs films oscillant entre réalisme et fantastique apporte un vent d’air frais salutaire.
Hélas l’ogre hollywoodien va happer toute cette créativité et au fil des années la raboter complètement pour la faire rentrer dans la norme formatée. Parallèlement, les studios américains vont mettre la main sur les cinémas australiens et exclure toute production locale des écrans.
George Miller après ce premier film punk entreprend, via sa petite structure de production Kennedy-Miller, avec le soutien de la Warner Bros., un prodigieux Mad Max 2 (1981). Le succès phénoménal de ce délire post-apocalyptique très heavy-metal fait de son héros Mel Gibson une star. En 1983, son associé de toujours, Byron Kennedy, décède dans un crash d’hélicoptère.
Comme ses confrères, Peter Weir et Philip Noyce en tête, George Miller se retrouve à Hollywood. Il débute par Cauchemar à 20000 pieds l’un des segments de hommage à la série TV, La Quatrième Dimension (Twilight Zone, 1983). Son petit sketch est une merveille d’humour noir. L’histoire imaginée par Richard Matheson narre l’aventure cauchemardesque d’un passager qui voit sur l’aile de son avion un extraterrestre particulièrement blagueur.
S’il pose un pied à Hollywood, Miller n’en reste pas moins Australien. L’industrie australienne est alors au plus mal, Miller se lance alors dans la production télévisuelle contribuant ainsi grandement au maintien d’une production locale et au renouvellement des réalisateurs et des techniciens face au rouleau compresseur américain. Il produit principalement des mini-séries et des documentaires. Il donne son premier grand rôle à Nicole Kidman dans Calme Blanc (Dead Calm, 1989) thriller oppressant que dirige Phillip Noyce avec Sam Neill et Billy Zane, une réussite.
Il coproduit et codirige Mad Max : au-delà du dôme du tonnerre (1985), troisième volet pop music où notre héros tout de cuir croise la reine de la soul Tina Turner.
Les sorcières d’Eastwick (1987), adaptation d’un roman de John Updike, est le premier long-métrage que Miller tourne aux Etats-Unis. Cette savoureuse comédie noire confronte un séduisant diable, Jack Nicholson en grande forme, à trois « desperate housewives » – Cher, Susan Sarandon et Michelle Pfeifer. Le tournage n’est pas de tout repos, Miller doit se battre contre les exécutifs du Studio pour imposer ses vues. Le film est succès et chose rare dans l’industrie, il combine originalité, intelligence et cinéma populaire.
Après cette expérience au goût amère, il dirige Lorenzo (Lorenzo’s Oil, 1992). Le film s’inspire d’une histoire vraie, le combat de parents pour leur fils atteint d’une maladie rarissime et incurable. Ce drame émouvant est interprété avec conviction par Nick Nolte, Susan Sarandon et Peter Ustinov. C’est le deuxième et dernier film de Miller aux Etats-Unis. Dégoûté par un système qui ne privilégie que les produits de masse, George Miller quitte Hollywood.
De retour sur le sol natal, Miller rend hommage à la détermination des pionniers du cinéma australien dans son documentaire 100 ans ce cinéma : 100 ans de cinéma australien, 40000 ans de rêve (1997) produit dans le cadre du centenaire du cinéma.
Il revient à la fiction avec Babe, le cochon dans la ville (1998), deuxième volet des aventures du petit cochon, chef-d’œuvre du film pour petits et grands enfants. Il poursuit avec Happy Feet (2006) l’un des films d’animation les plus étonnants des années 2000. Happy Feet 2 (2011) est une suite plus qu’honorable.
Après des années d’attente, explose sur les écrans en mai 2015 Mad Max: Fury Road. Ce film visionnaire est une véritable caisse de résonance de la situation actuelle du monde. George Miller à 70 ans prouve encore une fois avec son nouvel opus sa totale indépendance d’esprit. Curieusement, lui, si loin d’Hollywood, redonne à son corps défendant ses lettres de noblesse à ses âneries commerciales que sont les blockbusters.
En 2016, pour la première fois un réalisateur australien est président du jury du Festival de Cannes, il est somme toute logique que cette fonction hautement symbolique revienne au plus indépendant de leurs cinéastes. Souhaitons à George Miller de ne pas se retrouver encadré par vieilles bielles en fin de vie et des boîtes de changement de vitesses obsolètes… Bon festival !
Fernand Garcia