Au matin d’une journée grisâtre, le Curé s’avance vers la guillotine. Il n’accompagne pas un condamné. Il est le coupable et la lame de la machine infernale va lui trancher la tête. Et c’est d’outre-tombe que le Curé nous raconte son histoire dans une confession aussi singulière que pathétique… Muté dans un petit village, le jeune Curé découvre un monde à sa dimension entre femmes délaissées et veuve attirantes. Sa jeunesse, son intelligence et son charisme font des ravages dans la petite communauté des paroissiennes.
Fou d’amour est le portrait d’un séducteur. D’un homme, le Curé (Melvil Poupaud, impeccable) conscient de son ascendant sur les autres. En lui, s’exerce une volonté de séduire en permanence. Sûr de son pouvoir et de son autorité morale, le Curé laboure ses terres comme les femmes qui tombent entre ses mains. Son sacerdoce passe par la satisfaction de ses désirs. Séducteur, il l’est en permanence, sa voix (off) est suave, mielleuse, il utilise tous les subterfuges pour arriver à ses fins, victimisation, compassion, pour nous mettre dans sa poche. En ce sens, il n’est pas très éloigné d’Alex d’Orange Mécanique. Si les femmes succombent à son charme, elles ne sont pas dupes du Curé. Elles prennent chez lui un plaisir que la vie ne leur procure plus. Elles se donnent à lui conscientes des faiblesses et des failles du Curé. La riche veuve, Armance (Dominique Blanc, remarquable), le met immédiatement à nu. Ses faiblesses, elle les perçoit aussitôt. Il est plaisant de voir dans un film des personnages féminins adultes, c’est-à-dire loin d’une naïveté adolescente.
Philippe Ramos avance par petite touche. D’un début assez cynique teinté d’un réjouissant humour noir, le film évolue lentement sans que nous en prenions immédiatement la mesure vers la tragédie. L’entrée dans l’histoire de Diane (Diane Rouxel, excellente), une jeune aveugle, est le basculement de ce petit théâtre vers les ténèbres. Les jeux de l’amour sans conséquence se métamorphosent en gravité. Diane ne voit pas mais décide de l’ordonnancement du monde qui l’entoure. Elle décide des lieux et de l’heure où elle rencontre le Curé pour des moments d’intimités. Le Curé s’y conforme avec ce frétillement des sentiments propres à l’attente. Son corps de jeune fille, mineur et vierge, le fascine. Sa relation n’est pas du même niveau qu’avec la riche veuve du village, elle oscille entre pureté et animalité. L’inéluctable loin d’être imprévisible enfonce le Curé dans la négation et le mensonge. L’épreuve est un signe de la présence du divin, et s’y soumettre ne peut que le soustraire au jugement des hommes.
Fou d’amour trouve son origine dans un fait-divers des années 50, l’affaire dite du curé d’Uruffe. Philippe Ramos en reprend les grandes lignes pour un portrait intime du curé. C’est l’œuvre d’un peintre qui s’offre à nous, Philippe Ramos croque les espaces, intérieur et extérieur avec la même dextérité et sensibilité. Ce portrait nous ouvre les yeux sur la complexité d’un homme. Sa palette se déploie au rythme de la lumière des saisons… de la chaleur de l’été à froideur de l’hiver. Un paysage impressionniste qui virerait à la forme la plus cauchemardesque. Fou d’amour est un petit chemin de terre, paisible et accidenté, qui nous amène en raccourci de Monet à Bacon. Un itinéraire à l’effroyable beauté.
Fernand Garcia
Fou d’Amour, un film de Philippe Ramos avec Melvil Poupaud, Dominique Blanc, Diane Rouxel, Lise Lamétrie, Jean-François Stévenin, Jacques Bonnaffé. Scénario, Images, décors & montage : Philippe Ramos. Musique : Pierre-Stéphane Meugé. Producteur : Paolo Branco. Production : Alfama Films Production – Rhône-Alpes Cinéma avec la participation du CNC et de la Région-Alpes Cinéma en association avec Cinémage 9. Distribution (France) : Alfama Films (16 septembre 2015). France. 2015. 107 mn. Son. 5.1. Format image : 1,81 :1.