Des pierres de Stonehenge à la poussière lunaire, Moonwalk One est l’histoire d’une aventure humaine et technologique.
1968, la société Francis Thompson propose à la MGM, auréolée du succès de 2001 : l’odyssée de l’espace, le scénario d’un documentaire à gros budget sur l’aventure spatiale d’Apollo. A ce stade de l’aventure, il est prévu de faire une reconstitution de l’alunissage et du premier pas de l’homme sur la Lune en studio, il semblait alors impossible d’avoir des images depuis la Lune, peut-être pensait-il utiliser les décors ultra-réalistes du chef-d’œuvre de Stanley Kubrick à cet effet, l’histoire ne le dit pas. La N.A.S.A. (National Aeronautics and Space Administration) donne son accord de principe tandis que la MGM tergiverse et refuse finalement le projet. Mais le projet intéresse fortement la N.A.S.A. et accepte de financer un documentaire d’une heure sur Apollo 11. C’est avec un budget de 350 000 dollars, bien inférieur à celui prévu à la base, que Théo Kamecke, un auteur de documentaire, est engagé pour la réalisation de Moonwalk One. La N.A.S.A. collabore sans restriction au projet.
Le plus difficile alors pour Kamecke est de concevoir une structure scénaristique pour son film. Il tâtonne, pense à intégrer des entretiens avec les scientifiques, responsables de la mission et avec les astronautes, mais le courant ne passe pas. Kamecke ne tient pas à faire un énième film à la gloire d’une institution et d’un projet en pleine guerre froide, ce qui aurait pour effet d’en faire une œuvre de propagande. Il s’oriente avec son scénariste, Peretz W. Johnnes en place dès l’origine du projet, vers quelque chose de plus vaste et universel. Ils décident de mettre en corrélation Apollo 11 et l’aventure de l’humanité, de mettre en perspective le désir de conquête et de fascination de l’inconnu, qui anime l’homme depuis l’origine avec la conquête spatiale et plus particulièrement de la Lune.
Moonwalk One s’ouvre sur son aube (de l’Humanité) par un retour sur des pratiques ancestrales et magiques en lien avec les forces cosmiques. Cet étrange alignement en cercle de pierres blanches de Stonehenge tout aussi impénétrables que le monolithe noir. Par une série de raccords dans le mouvement le film effectue un saut de 3 000 ans, des pierres à la chenille d’un Crawler-transporter. Dessus la fusée Saturn V d’Apollo 11, nous sommes le 15 juillet 1969 à Cap Kennedy en Floride, la veille du grand jour. Le monde regarde Apollo. Totem d’une société de la réussite – le fruit du travail de 500 000 personnes pendant 10 ans. Kamecke s’intéresse autant voir plus aux hommes qu’à la haute technologie, puisque celle-ci est « déshumanisée de toute erreur humaine ». Le film nous donne à voir les petits riens des petits bras qui font les pas de l’Humanité. Les dernières retouches des couturières. Kamecke englobe dans une série de portraits et de photographies sans chronologie des différents scientifiques, auteurs et acteurs de toutes époques: Platon, Jules Verne, Galileo Galilei, John Houbolt, Marie Curie, Leonardo Da Vinci, H.G. Wells, John F. Kennedy, Gagarine, Marco Polo, Constantin Tsiolkovski, Albert Einstein, etc. – rêveurs et artisans de la conquête spatiale.
Toutefois, Kamecke n’est pas dupe que la conquête spatiale est aussi issue de la guerre froide et de la volonté des Américains d’être les premiers sur la Lune. Mais chez Kamecke c’est la volonté humaniste qui domine et qui relie les hommes entre eux loin des barrières politiques et pour le bien de l’humanité. Les hommes travaillent dans un même but quel que soit le continent. En un sens, Kamecke s’éloigne de la vision pessimiste de Kubrick, où tout n’était que sous-entendu et mensonge dans le discours et les discussions aussi bien des officiels que des scientifiques. Moonwalk One croit au progrès pour l’humanité dans la conquête spatiale alors que dans 2001 : L’odyssée de l’espace tout concourt à sa destruction. Pourtant, les deux films se rejoignent en bien des points ne serait-ce que dans l’expérimentation narrative, devenant par-là complémentaires l’un de l’autre sans que jamais Moonwalk One n’empiète sur 2001. Il est évident, que Kamecke a vu 2001 au cours du montage de son film.
Si le film de Kamecke est plus optimiste que celui de Kubrick, il n’en est pas moins conscient de la situation politique explosive en cette fin des années 60. C’est la NASA, qui insiste auprès de Kamecke pour qu’il intègre des images du Président Richard Nixon sur le porte-avion pendant l’amerrissage. Est-ce là une volonté de soutenir un président contesté ou de l’opportunisme pur ? Toujours est-il que le film ne fait pas l’impasse sur le mécontentement généralisé dans lequel patauge le 37e président des Etats-Unis. Guerre du Vietnam, mouvements étudiants, contestation de l’ordre établi, le monde doit changer et ses dirigeants aussi, – nous dit en filigrane le réalisateur.
L’un des moments les plus importants du Moonwalk One est le décollage de la fusée depuis le centre spatial Kennedy, le 16 juillet 1969. Kamecke a mis en place plusieurs cameramans en des points stratégiques afin de rendre compte le plus précisément possible de l’événement. Rien n’échappe à Kamecke, les 240 caméras sont disposées sur la tour de lancement et dans la zone situé sous la fusée, sur les porte-avions et sur les avions radars par la N.A.S.A, elle-même. A cette multitude de points-de-vue, des spectateurs de l’Amérique profonde en camping-car à des kilomètres de la rampe de lancement, aux 6000 VIP dans les tribunes officielles en passant par les astronautes, la salle de contrôle, etc. vont découvrir l’événement. Tous les formats de prise de vue sont utilisés: 16 mm, 35 mm et 70 mm. Certaines des caméras au plus près de la fusée sont dans des caissons pouvant résister à de très hautes températures sans que la pellicule fonde.
De cet énorme métrage de pellicule, Kamecke va réussir une des plus belles et grandioses séquences de l’histoire du cinéma, rien de moins. Comme Eisenstein et sa célèbre séquence des marches d’Odessa du Cuirassé Potemkine, Kamecke va allonger la durée de l’événement sans qu’à aucun moment l’on s’en rende compte. De 9 secondes dans la réalité, c’est le montage de plus de 5 minutes! La mise en route, la combustion du carburant dans un nuage de fumée, le décrochage de la fusée de sa rampe de lancement. Dans un admirable montage, Kamecke mélange aussi bien des prises de vue à vitesses réelles et ralenties que de très longs plans, dont un tout à fait incroyable qui suit la fusée à des hauteurs phénoménales. L’ensemble est d’une beauté sidérante. Les images extraordinaires prises par les astronautes succèdent à celles prises depuis la Terre. Kamecke pioche alors dans les archives de la NASA et exploite des vues des autres missions Apollo afin d’obtenir les meilleurs rendus possibles de ce voyage de 384 400 km. La capsule d’Apollo 11 n’était en rien différente de celui d’Apollo 8 et 10, l’emplacement et l’angle des caméras embarquées étant en tout point identique pour chaque vol.
Le 20 juillet 1969, le module lunaire Eagle se pose sur le sol. Edwin « Buzz » Aldrin et Neil Armstrong à son bord, laissant Mike Collins en orbite dans la capsule Columbia. Neil Armstrong est le premier homme à fouler le sol lunaire. La retransmission vidéo est privilégiée pour le direct télé en lieu et place d’une caméra automatique en pellicule. Ce qui explique la dégradation des images de ce moment historique au fur et à mesure des années contrairement aux autres images du film en pellicule.
Le largage et l’allumage des différents étages de la fusée, de la tour de sauvetage et de la jupe au son des communications entre la Terre et la capsule, la Terre vue de la Lune, Eagle quittant la Lune pour rejoindre Columbia, l’entrée de Columbia dans l’atmosphère terrestre – sublimes plans en longueur, encore une fois bluffants de beauté. La durée des plans est l’une des très grandes qualités de Moonwalk One. L’aventure d’Apollo 11 est fabuleuse, et l’exploit technique est extraordinaire; ceci nous laisse devant les images pantois d’admiration!
Deux ans après le début du tournage, les responsables de la communication de la N.A.S.A., différents de ceux qui avaient suivi le tournage, découvrent le film. Ils exigent de Kamecke des coupes et un remontage. Le film est amputé de sa dimension poétique et visionnaire. L’exploitation de Moonwalk One est de courte durée. Il tombe dans l’oubli. En 2007, le film refait surface d’une manière surprenante. A la suite de recherches sur les images de la mission Apollo 11, des contacts sont pris avec Théo Kamecke, l’un des rares à avoir eu accès à la quasi-intégralité des images à l’époque. Ils découvrent que Theo Kamecke possède dans ses archives une copie 35 mm unique de la version intégrale en excellant état. Un financement pour la restauration est trouvé, et le film de Kamecke sort pour la première fois à l’occasion du 40e anniversaire des premiers pas de l’homme sur la Lune. Moonwalk One est l’œuvre d’un artiste fasciné par l’élan créatif de l’homme.
Fernand Garcia
Moonwalk One DVD Eddistribution, en VOSTF Couleurs. Format image : 1,37 :1. Format son : Mono et 5.1, Bonus un livret en couleurs de 20 pages.
Moonwalk One un film de Theo Kamecke. Voix commentaire : Laurence Luckinbill. Scénario : Peretz W. Johnnes, Theo Kamecke Narration écrite par E.G. Valens & Theo Kamecke. Chefs-opérateurs : James Allen, Urs Furrer, Alexander Hammid, Adam Holender, Robert Ipcar, Victor Johannes, Theo Kamecke, Hideaki Kobayshi, Ziemowit-Maria Kozbial, Edwin Lynch, James Signorelli, Jeri Sopanen. Montage : Theo Kamecke, Pat Powell, Richard Rice. Musique : Charles Morrow. Producteur : Peretz W. Johnnes. Production : Francis Thompson Inc. – Attic Room Production – Molinare USA, 1969-1970. Couleurs. Format image : 1,37 :1. 108 mn. Distribution (France) : ED Distribution (sortie en salles le 30 juillet 2014)