Provocateur ou défenseur des droits ?
Depuis le 3 novembre et la mise en ligne du teaser de son prochain film, Romas Zabarauskas fait scandale en Lituanie et déchaîne les passions sur la toile. Le jeune réalisateur, fervent activiste luttant contre l’homophobie dans son pays, propose d’envoyer une photo de lui nu à ceux qui font un don de plus de 50 $ pour son nouveau projet You Can’t Escape Lithuania. Ce geste irrite les conservateurs de tous poils et vaut à Romas Zabarauskas une campagne de dénigrement particulièrement virulente.
Pourtant Zabarauskas n’est pas qu’un provocateur… même s’il n’en manque pas une. A l’occasion au Festival de Moscou, il arbore un T-shirt « Free Pussy Riot » lors de la présentation de son film. Il est aussi à l’origine de l’action « LGBT Friendly » à Vilnius. En marge de ses réalisations, il programme en France une sélection de films expérimentaux de cinéastes lituaniens aux Laboratoires d’Aubervilliers.
Romas Zabarauskas se revendique gay, ce qui peut se révéler stigmatisant pour un jeune réalisateur dans un pays où les stéréotypes encrés par les soviétiques et le catholicisme sont encore bien présents dans la société.
Zabarauskas appartient à une nouvelle génération de cinéastes. Il œuvre dans l’intime mais n’en oublie pas pour autant la société et porte un regard acerbe sur les contradictions qu’elle engendre. Il est en rupture avec l’ancienne génération et son académisme devenu miteux et complètement dépassé. On sent chez lui une influence très forte de l’école française post-nouvelle vague et du cinéma indie new-yorkais. C’est d’ailleurs à Paris et New York qu’il a fait ses études.
Voici notre rencontre avec ce cinéaste hors normes…
KinoScript : De quoi parle votre nouveau film ?
Romas Zabarauskas : You Can’t Escape Lithuania est une fiction, qui raconte une histoire d’une version fictionnelle de moi, réalisateur gay Romas Zabarauskas. Romas aide une amie comédienne, Indre, à fuir la Lituanie, après qu’elle a tué sa mère et volé son argent. Le petit ami de Romas, Carlos un mexicain, les suit. Sur la route, Romas a une envie subite de faire un dernier film expérimental avec Indre. Aussitôt les mystères s’éclaircissent, les intrigues se créent, et la réalité dépasse largement la fiction…
KS : Comment est née l’idée de You Can’t Escape Lithuania ?
Romas Zabarauskas : Mon premier long métrage We Will Riot était un projet ambitieux entre New York et Vilnius, avec des personnalités fortes et très différentes (gay, black, lituanien, DJ). Le film est un mixe de politique et de divertissement. Après la sortie du film, les médias lituaniens se sont intéressés à moi, et il y a eu beaucoup de réactions particulièrement différentes les unes des autres… Après ce projet, j’avais envie de créer quelque chose de beaucoup plus personnel, radical et « Queer ». C’est un retour vers le style de mes débuts, plus dans l’optique de mon court Porno Melodrama, mais You Can’t Escape Lithuania est aussi un pas en avant.
KS : Est-il difficile d’être gay en Lituanie ?
Romas Zabarauskas : Oui, c’est dur… mais moi j’ai eu de la chance : ma famille, mes amis sont très ouverts, je ne me sens pas discriminé dans mon entourage. Néanmoins sur Facebook je reçois beaucoup de messages des jeunes, qui sont confrontés aux moqueries, à la discrimination au sein de l’école, dans la famille… Le pire c’est que la plupart de nos hommes politiques non seulement ne cherchent pas les solutions à ces problèmes mais incitent à l’homophobie avec leurs initiatives et discours.
KS : Existe-il des représentations d’homosexuels dans les films lituaniens ?
Romas Zabarauskas : Mon film Porno Melodrama était le premier à présenter si clairement des relations homosexuelles. Un autre film sorti la même année, Anarchy in Summer de Drunga évoque une relation lesbienne mais c’est une intrigue secondaire. Plus tard, Deimantas Narkevičius a réalisé Sentiments interdits (Draudžiami Jausmai). Malgré ça, je trouve inacceptable, que ces deux réalisateurs ne défendent pas les droits de l’homme, ne protestent pas contre les lois et les initiatives homophobes dans la vie publique.
KS : L’état participe-t-il dans le financement de ton projet ?
Romas Zabarauskas : La semaine dernière j’ai fait une demande au Centre du Cinéma de Lituanie – croisez les doigts pour moi !
KS : Comment sort-on un film en Lituanie ?
Romas Zabarauskas : Les films sont distribués par deux gros distributeurs : ACME et Forum Cinemas, il existe quelques petits distributeurs. Aucun distributeur n’a prit le risque de sortir We Will Riot, j’ai contacté directement les exploitants afin de pouvoir assurer à mon film une petite sortie.
KS : Avez-vous le soutien de la télévision ?
Romas Zabarauskas : Il est difficile d’obtenir la participation d’une chaîne de télévision, c’est un grand problème en Lituanie, car on n’a pas de tradition de financement de ce type. Malgré tout, We Will Riot a reçu un petit soutien de LRT télévision et en échange on a pu ainsi passer des bandes d’annonce à la télé. Pour You Can’t Escape Lithuania, je ne sais pas encore comment ça se passera.
KS : Pour We Will Riot vous étiez entouré de techniciens particulièrement talentueux (montage, musique, costumes, etc.), allez-vous faire appel à la même équipe pour votre nouveau film ?
Romas Zabarauskas : Oui, je vais de nouveau travailler avec ces gens de talent ! Mon chef opérateur, Ville Piippo et ma monteuse Gintare Sokelyte seront présents ! Par contre, la musique va être composé par 101 ou Evaldas Azbukauskas . On lui doit la musique de mon court Porno Melodrama. J’adore travailler avec les talents de la musique électro. Je n’aime pas du tout la musique omniprésente, qui souligne tout, à la Hollywoodienne. J’ai réuni autour de moi une nouvelle génération de gens très talentueux comme les sœurs Valeišaitės – Giedrė en charge des décors ou Virginija des costumes. Leur rémunération dépendra du budget du film, mais ils ne travaillent pas pour les honoraires.
KS : Vous aimez votre pays mais vous n’hésitez pas à le critiquer et pointer les problèmes : la corruption, l’homophobie, le racisme, etc. En Lituanie, la critique passe très mal, n’est-elle pas considérée comme une trahison ?
Romas Zabarauskas : Peut-être avez-vous raison, certains le prennent pour une trahison. D’un autre côté, quand je parle aux médias, j’essaie toujours de mettre l’accent sur nos qualités. Par exemple dans We Will Riot j’ai dans une scène, mis en avant les créateurs de musique électro lituaniens. Je pense que l’exercice de la critique montre que nous sommes dans un pays démocratique !
KS : La Lituanie est un petit pays, croyez-vous que l’utilisation de ce nom dans le titre de votre film peut susciter l’intérêt des spectateurs ?
Romas Zabarauskas : Justement ce sujet a suscité de longues discussions avec mes collègues, qui m’ont conseillé de ne pas mettre Lituanie dans le titre, pour la raison que personne ne connaît ce pays et que cela peut réduire le public du film. Je ne pense pas de cette manière. Premièrement, c’est un film de cinéma et de toute façon le public va être réduit ! Deuxièmement, c’est une métaphore qui m’est très chère. Ça ne veut pas dire que le film est axé uniquement sur la Lituanie. Je m’interroge : peut-on échappé à sa classe sociale, à ses parents, à son éducation, à la société. La métaphore est belle uniquement quand elle est concrète, voilà pourquoi ce titre.
KS : En tant que personnage, le lituanien n’a pas une image très positive. Dans Lokys, une nouvelle de Prosper Mérimée, c’est une espèce de bête sauvage, dans Pantalauskas un film français de Paul Paviot, c’est un SDF suicidaire, et le célèbre Hannibal Lecter, personnage créé par Thomas Harris, c’est un tueur en série… Cherchez-vous à changer cette image ?
Romas Zabarauskas : Je ne dirais pas que c’est ma mission. Malgré mes sujets politiques et sociaux, mes films ne sont pas à caractère pédagogique ou réaliste. Mon but est de créer un film intéressant en mélangeant tous les sujets. Il est vrai, que You Can’t Escape Lithuania est dominé par la thématique de la représentation. Combien du vrai « moi » y a-t’il dans le film ? Est-ce possible de représenter la communauté LGBT ou, comme vous dites, la Lituanie ? Donc ces questions sont importantes. De manière général, le film suit la tradition du film « gay », en partant de Douglas Sirk jusqu’au mouvement New Queer, de Patrice Chereau jusqu’à L’homme au bain de Christophe Honore.
Vous pouvez soutenir You Can’t Escape Lithuania
Propos recueillis par August Tino