The Ghost Writer – Roman Polanski

De la vie des fantômes

The Ghost Writer – un mélange gracieux d’inquiétude, de burlesque et de fantastique emmène son cinéaste jusqu’à son dernier plan hors champ, là où volent des feuilles de vérité en chaos, où l’objectif d’une caméra n’ose pas regarder.

Tourner ses films en Pologne, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie ou en Amérique n’était jamais problématique pour Polanski, il voyage en parfaite indifférence aux frontières. Seulement il y a cette affaire louche (réf. Roman Polanski: Wanted and Desired de Marina Zenovich, 2008), qui l’a coincé en Suisse, pays d’horloge coucou et de chocolat, l’a contraint à « une île » surveillée, son chalet de Gstaad. Chez le maestro, si intuitif, la réalité dépasse souvent la fiction, cette frontière si mince, réversible à souhait : « Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, la frontière entre le réel et l’imaginaire a toujours été désespérément brouillée. » (Polanski)

 Dans les arcanes de la manipulation politique, Polanski en connaît toutes les règles et en voici le déroulement – The Ghost Writer, une histoire de premier ministre britannique Adam Lang (Pierce Brosnan) qui engage un nègre littéraire (angl. « ghost » – traduction littéraire en français « fantôme ») pour mettre en forme romancée ses mémoires politiques. Le manuscrit de l’épaisseur d’un bottin a été pondu par son prédécesseur McAra. Or celui-ci s’est mystérieusement suicidé par  noyade. Dès que le nègre, joué par le subtile Ewan McGregor, accepte sa mission, sa vie se transforme en un véritable cauchemar. Tout commence sur une île détachée du monde dans un bunker semblable à un château fort de glace, où réside temporairement le premier ministre.

 

Le Malicieux du septième art qu’est monsieur Polanski aime jouer avec le spectateur et brouille les cartes par l’agencement d’un très judicieux casting – une alchimie des comédiens produisant des étincelles électriques. Pierce Brosnan ex-James Bond, personnage fort, intelligent, réactif et séducteur, joue un Adam Lang, lâche et veule qui demande toujours l’avis de sa femme, Ruth (Olivia Williams), satanique Lady Macbeth, fourbe et manipulatrice. Kim Cattrall, connue pour son personnage de la série Sex & the City, une dépensière épicurienne,  joue ici l’assistante d’Adam, stricte et serviable, l’amante cachée du ministre. Enfin Eli Wallach, mémorable Tuco, le truand dans Le Bon, la Brute et le Truand (1966), apparaît ici en tant que  vieil habitant de l’île, fantôme d’un autre temps, d’une autre époque, d’un autre cinéma, il révèle quelques petits détails précieux sur la mort de McAra à son successeur.

 Dans ce joyeux théâtre de guignols, l’écrivain s’efforce de tracer l’histoire de Lang, qui entre soit disant en politique par amour alors que tout n’est que calcul. Le nègre est flatté quand le ministre l’appelle « man » alors que c’est juste parce qu’on n’a pas retenu son nom. D’ailleurs,  comment s’appelle-t-il ? Il est le seul client de l’hôtel dans ce village fantôme sur une île pratiquement déserte hantée par l’esprit de McAra. Il trouve dans les affaires personnelles de son prédécesseur-fantôme les indices qui pourraient mener à la résolution du mystère qui entoure la vie de Lang. McAra lui parle à travers la voix du GPS de sa voiture qu’on a trouvée vide la nuit du suicide (un fantôme remplace l’autre donc). On savait bien que dans cette ambiance brumeuse se cachait un McGuffin. Mais la vérité révélée ne semble être qu’un autre piège tendu. Arrivé en tant que pêcheur d’information à Fisherman’s Inn, le ghost-writer ne manque pas lui-même de mordre à l’hameçon dans ce bunker aux grandes baies vitrées, aquarium gigantesque.

 Cette forteresse n’est qu’un théâtre de l’absurde, où Adam Lang n’est qu’un mauvais acteur politique. Son sourire à la Tony Blair dissimule vainement les morts et les martyrs comme cet employé de la maison qui s’entête à remplir une brouette de feuilles mortes en plein vent. Adam Lang est un pantin qui ne sait pas se servir d’un ordinateur, qui jette de rage ses téléphones portables à la fin des conversations. Sa forteresse de glace avec ses énormes peintures dégoulinantes est en train de fondre petit à petit.

Malgré l’ambiance générale d’un canular tragicomique, on ressent l’inquiétude et le pessimisme du cinéaste, comme plusieurs cinéastes visionnaires qui ont sorti leurs films cette même année 2010 (Shutter Island de Scorsese, Valhalla Rising de Winding Refn, A Serious Man des frères Coen).  On voit beaucoup de brouillard et une tempête, on ne sait plus où l’on va et quand est-ce qu’on va y arriver.

 Rita Bukauskaite

Réalisé par Roman Polanski d’après l’œuvre de Robert Harris. Adaptation: Roman Polanski et Robert Harris. Avec Ewan McGregor, Pierce Brosnan, Olivia Williams, Kim Cattrall. Durée: 2h08

The Ghost Writer est disponible en DVD/Blu-Ray chez Pathé Vidéo