Première Partie : Autour du film
III Le film et ses références :
Oeuvre ultra référencée d’un cinéphile accompli et assumé, Phantom of the Paradise n’en est pas moins original et personnel. Plonger dans les films et l’univers de Brian De Palma, c’est comme embrasser le cinéma. La richesse de ses films propose de multiples lectures aux spectateurs avertis et cinéphiles. Dès le titre du film, déclinaison du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, la clef de lecture du film est donnée. L’affiche du film avec sa catch-line, He sold his soul for rock’n’roll annonce le film comme une réinterprétation du mythe de Faust transposé dans le monde de l’industrie musicale. Le scénario mélange trois grandes œuvres littéraires emblématiques de la littérature fantastique avec une habileté remarquable : Faust de Goethe (le pacte avec le diable, le mythe dans la relation de l’artiste avec le système, Phoenix, Death Records, le Paradise, Swan (le diable)… ), Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde qui ici constitue l’intrigue, et bien sûr Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux pour la trame de l’histoire. Dix ans plus tard, c’est avec tout autant de maestria que De Palma fusionnera deux chef-d’œuvres d’Alfred Hitchcock, Vertigo (Sueurs Froides, 1950) et Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954), dans l’excellent Body Double (1984).
Outre ses références littéraires, c’est surtout de ses hommages cinématographiques dont le film tout entier et sa mise en scène sont empreints. En effet, issu d’une génération de cinéastes cinéphiles et libres (comme Scorsese), Brian De Palma est obsédé par le cinéma. Chacun des plans qu’il réalise, contient une référence, dialogue avec d’autres films et cinéastes. Le cinéma et son histoire sont la toile de fond de l’univers et de la forme du cinéma de De Palma.
L’ouverture du film par un sublime prologue avec un hypnotique zoom arrière sur le logo tournoyant de « Death Records », la maison de production de Swan, représentant un oiseau mort sur le dos, est accompagnée d’une voix présentant succinctement l’histoire aux spectateurs : « Swan. Il n’a pas d’autre nom. Son passé est un mystère, son oeuvre déjà une légende. Il a produit son premier disque d’or à 14 ans. Depuis, il en a tant remportés qu’il a tenté de les déposer à Fort Knox. Il a introduit le blues en Angleterre et Liverpool en Amérique. Il a réconcilié le folk et le rock. Son groupe, les « Juicy Fruits » a créé de toutes pièces la mode rétro. A présent il cherche la musique interplanétaire qui inaugurera son Xanadu, son Disneyland, le Paradise, le suprême palais du rock. Ce film est l’histoire de cette quête, de cette musique, de l’homme qui les créa, de la fille qui les chanta, du monstre qui les vola. » Cette voix caverneuse n’est autre que celle de Rod Serling, inoubliable et reconnaissable entre mille pour avoir accompagné la célèbre série The Twilight Zone (La Quatrième Dimension) dont il fut le créateur et scénariste. Il est également à l’origine du scénario de Planet of the Apes (La Planète des Singes, 1968) de Franklin J. Schaffner. Nous voici entraînés dans un monde proche de la quatrième dimension. L’univers sans morale ni principe, sans foi ni loi, de l’industrie musicale. L’enfer.
Habité par une remarquable poésie et traitant de la création artistique face au système financier, Phantom of the Paradise renvoie bien évidemment au classique de Michael Powell, The Red Shoes (Les Chaussons Rouges, 1948), référence également pour Scorsese et Romero. Présenté dans ses activités « mafieuses », Swan apparaît comme le Parrain. La scène où le fantôme pose une bombe dans le coffre d’une voiture reprend ouvertement mais avec subtilité et respect, la séquence d’ouverture de Touch of Evil (La Soif du Mal, 1958) d’Orson Welles. Des décors de la scène du Paradise renvoient au mouvement expressionniste allemand et particulièrement au film de Robert Wiene, Das Cabinet des Dr. Caligari (Le Cabinet du Docteur Caligari, 1920). Une autre scène du spectacle qui montre métaphoriquement la création de toute pièce de Beef, la nouvelle star à aduler, ou plutôt, le monstre créé de toute pièce pour, et en quelque sorte, par le public, évoque la créature de Frankenstein (1931) de James Whale. Une séquence hommage à Hitchcock d’abord angoissante se révèle être une parodie anthologique tant elle est hilarante et réussie. Cette dernière vient répondre aux critiques faites à De Palma au sujet de son précédent film, Sisters, jugé trop « référencieux » au Maître du suspens (certains l’on même accusé de plagiat). Un clin d’œil à destination du public mais aussi de ses détracteurs.
La fabuleuse et inoubliable bande originale de Phantom of the Paradise, signée Paul Williams (l’interprète du maléfique Swan) commente et rythme le film de façon remarquable. Les partitions musicales se mêlent à l’histoire et à la mise en scène de De Palma avec une fluidité, une justesse et une intelligence indéniables. Complètement dans l’esprit du film, avec ses paroles parodiques (mais sensées) et ses musiques très diverses, la bande originale survole et embrasse l’histoire du rock, de ses débuts rockabilly (Goodbye, Eddie, Goodbye) à l’outrance des 70’s en passant par les groupes de pop acidulée de la côte Californienne (Upholstery), les ballades romantiques et sensuelles (Old Souls) ou encore le Heavy Métal (Life at Last). Avec le spectacle, elle accompagne non seulement l’action dramatique de l’histoire mais participe également à la tension dramatique du film. Cette dernière, véritable clef de voûte du film, contribue à donner à cette oeuvre maîtrisée de bout en bout, son statut de film culte.
Si Phantom of the Paradise puise son énergie de multiples sources d’inspirations et références rendant ainsi hommage à divers oeuvres et artistes, il n’en demeure pas moins une incroyable source d’inspiration pour beaucoup d’artistes de milieux divers et variés encore aujourd’hui.
Grand ami de De Palma, Georges Lucas s’inspirera du look du Phantom et de sa boite noire sur le torse lui servant d’amplificateur vocal distordant ainsi que de la respiration que l’on entend lors de la séquence en vue subjective où Winslow vient au Paradise voler le masque qui forgera sa nouvelle identité et fera de lui le Phantom, pour créer l’aspect de Dark Vador dans La guerre des étoiles (Star Wars, 1977). Avec cette volonté de se cacher, de rester dans l’anonymat, pour se concentrer sur leur création, Les Daft Punk rendent hommage au Phantom avec leurs casques. Sceptique ? Voyez la trame narrative de leur film Interstella 5555 – The 5tory of the 5ecret 5tar 5ystem (2003), ou encore, remarquez la présence de Paul Williams sur deux titres de leur dernier album Random Access Memories. Le groupe Kiss (I was made for loving you, 1979) avec son célèbre maquillage gothique qui récupère celui des Undeads, l’un des groupes préfabriqués de Swan.
Steve Le Nedelec
A lire : 4 Le film et son message, 5 Le film et la signature de son auteur
Phantom of the Paradise est disponible en coffret Ultra Collector chez Carlotta Films