Phantom of the Paradise – Le film et son équipe à son époque (2/5)

Première Partie : Autour du film

 

II Le film et son équipe à son époque :

Dans ce tableau noir que brosse De Palma de ce monde du spectacle pourri par l’argent, la drogue, l’arrivisme et l’obsession du pouvoir, ce dernier n’est pas tendre avec ses personnages.  Prêts à tout, tous les personnages, à l’exception de ceux qu’il aime (Le fantôme, son anti-héros avec lequel il s’identifie et partage les sentiments, et Phoenix), sont dépeints comme des  marginaux grotesques.

A l’affiche du film, peu d’acteurs connus du grand public mais leurs brillantes prestations sont remarquables à bien des égards. Le casting est osé. Tous les comédiens du film réalisent des compositions remarquables et mémorables.

William Finlay

Dès l’origine du projet, le personnage du Phantom a été écrit pour William Finley. Déjà à l’affiche de précédents films de De Palma (Dionysus in ’69, Soeurs de sang,…) il incarne ici d’abord l’artiste par excellence, sincère, passionné, talentueux, dévoué corps et âme à sa passion, prêt à se sacrifier pour son Art, puis, un anti-héros représentant l’artiste dépossédé de son oeuvre, volé, trahi et tué par l’industrie peu scrupuleuse. Avec un seul œil visible sous son masque, la palette de sentiments qu’il parvient à faire passer est incroyable. L’échec du film à sa sortie lui a probablement porté préjudice pour la suite de sa carrière. Son personnage dans Phantom of the Paradise n’est rien moins que le rôle de sa vie.

Paul Williams

Auteur, compositeur et interprète de pop folk, interprète de Swan et compositeur de l’intégralité de la bande originale du film, Paul Williams, à l’époque sous contrat avec A&M Records,  a également composé la ballade de fin du film Thunderbolt and Lightfoot (Le Canardeur, 1974) de Michael Cimino, autre figure du Nouvel Hollywood. Il a aussi écrit les chansons de la comédie musicale Bugsy Malone (1976) réalisé par Alan Parker et bien sûr la célèbre chanson du générique de la non moins célèbre série télé The Love Boat (La Croisière s’amuse, 1977). Figure fictionnelle vertigineuse, il est donc à la fois le créateur de la B.O. et l’incarnation du système qui pervertit et détruit la création. Rôle parfait pour lui, avec son physique unique, il compose un Swan, suave et perfide à la fois, dont le charme est l’arme principale. Personnage à l’ego démesuré, napoléonien, obsédé par le pouvoir, le personnage de Swan, portrait cynique d’un producteur à succès carnassier et sans morale, s’inspire ouvertement du célèbre imprésario  Phil Spector (Ronettes, Righteous Brothers,… ) qui a influencé The Beach Boys ou encore The Beatles, jusque dans son look et son attitude. Old Souls, ballade noire évoquant les sentiments qui nous dépassent, que l’on entend deux fois dans le film et qui représente l’aboutissement de la création artistique (elle est interprété tel qu’elle a été  conçue et pensée par son créateur) est toujours aujourd’hui la chanson préférée de l’auteur de toute sa carrière. La mise en scène de De Palma sur cette musique montrant le Phantom braquer une poursuite sur Phoenix met littéralement en lumière la voix et le talent de l’artiste mais aussi celle qu’il aime et l’inspire.

Jessica Harper

Jessica Harper, issue de la scène du théâtre new-yorkais, interprète ici son premier rôle au cinéma. Elle est la parfaite incarnation de Phoenix, cette jeune chanteuse tiraillée entre la musique (le chant) et son ambition destructrice et funeste. Sa remarquable interprétation lui vaudra d’être repérée et choisie par un autre maître du cinéma, Dario Argento, pour jouer le rôle principal, une jeune ballerine américaine, dans un autre chef d’oeuvre du cinéma, Suspiria (1977).

Gerrit Graham

Gerrit Graham, qui, avant l’arrivée de Paul Williams sur le projet, devait jouer le rôle de Swan, incarne le personnage de Beef avec une jubilation communicative. Avec des répliques et une gestuelle hilarante, il est une caricature grotesque des stars du glam rock. Sa performance est tout simplement fabuleuse.

En plus de celui des comédiens, il faut également rendre compte de l’excellent et incroyable travail effectué sur le film par les différents membres de l’équipe technique à commencer par le montage extraordinaire de Paul Hirsch qui, doublé de la concision du scénario de De Palma, donne au film son rythme et sa fluidité extraordinaire; la photographie particulièrement soignée de Larry Pizer, le maquillage originale de Rolf Miller et bien évidemment la folle créativité des costumes créés par Rosanna Norton qui travaillait ici sur son premier film et à qui Brian De Palma a laissé carte blanche en toute confiance. Né de l’alchimie parfaite entre ces différents composants artistiques, Phantom of the Paradise est un film avant-gardiste. A la fois baroque, kitsch et futuriste, c’est un film novateur et précurseur.

Film indépendant, Phantom of the Paradise a été compliqué à financer pour son producteur  Edward R. Pressman, Sisters (Soeurs de sang, 1973), Badlands (La Ballade Sauvage, 1973) de Terrence Malick, Das Boot (Le Bateau, 1981) de Wolfgang Petersen,  Conan le barbare (1982) de John Milius, Crimewave (Mort sur le gril, 1985) de Sam Raimi, Wall Sreet (1987) de Oliver Stone, Blue Steel (1989) de Kathryn Bigelow, Bad Lieutenant (1992) de Abel Ferrara, Thank You for Smoking (2005) de Jason Reitman…

Seule la 20th Century Fox en a acheté les droits de distribution. De plus, affublé de plusieurs procès à sa sortie, Universal accusait le film d’être un plagiat du film The Phantom of the Opera (Le Fantôme de l’Opéra, 1925) de Rupert Julian. Les B.D. King Features qui avaient un personnage appelé Phantom (titre prévu à l’origine du projet du film) ont impliqué, pour des histoires de droits, le changement de titre du film. Atlantic Records, la maison de disque Led Zeppelin avait un label appelé Swan Song, il a donc fallu ajouter en post-production, des caches blancs avec le logo de Death Records (l’oiseau mort sur le dos) pour masquer les mots Swan Song.

Death Records

Inspirée d’un fait réel, la scène de l’électrocution de Beef, devenu comique dans le film, a choqué le manager du musicien à qui cela était vraiment arrivé qui a tout fait pour que la scène soit supprimée du film. Phamton of the Paradise a été un échec commercial à sa sortie aux U.S.A. Le public est complètement passé à côté de la satire, du second degré de lecture du film. Mais aujourd’hui, des décennies plus tard, il reste le film dont on parle le plus à son réalisateur et à ses interprètes.

Phantom of the Paradise a remporté le Grand Prix au Festival du Film Fantastique d’ Avoriaz en 1975.

Steve Le Nedelec

A lire : 3 Le film et ses références, 4 Le film et son message, 5 Le film et la signature de son auteur

Phantom of the Paradise est disponible en coffret Ultra Collector chez Carlotta Films