Écrit et réalisé par Brian De Palma en 1974, Phantom of the Paradise, en avance sur son temps, provoque et dénonce avec panache les dérives et excès à outrance du système industriel dans les milieux artistiques. Derrière une apparence de comédie musicale, romantique et fantastique, on retrouve dans ce film visionnaire et intemporel toute la passion de son auteur pour son Art, le cinéma. Véritable signal d’alarme, le film pose les limites et vient prévenir des dangers que courent les individus dans une société vivant dans un monde en perpétuelle représentation : La perte des repères et la déshumanisation. Un film dont la force n’a d’égale que celle de son auteur. Un très grand film dans lequel tout est question d’Art. Du cinéma à l’état pur.
Phantom of the Paradise – Visite guidée des coulisses d’un Chef d’oeuvre
Winslow Leach (William Finley), jeune compositeur inconnu, tente désespérément de faire connaître l’opéra qu’il a composé. Swan (Paul Williams), producteur et patron du label Death Records, est à la recherche de nouveaux talents pour l’inauguration du Paradise, le palais du rock qu’il veut lancer. Il vole la partition de Leach, et le fait enfermer pour trafic de drogue. Brisé, défiguré, ayant perdu sa voix, le malheureux compositeur parvient à s’évader. Il revient hanter le Paradise…
Première Partie : Autour du film
I Le film et son contexte
A l’instar de John Cassavetes, Martin Scorsese ou encore Woody Allen, Brian De Palma est un jeune cinéaste indépendant new-yorkais. Cinéphile, il est influencé par la Nouvelle Vague, notamment Jean-Luc Godard, et par la maîtrise technique d’Alfred Hitchcock de la manipulation du spectateur par l’image avec son incomparable mise en scène du suspens. L’originalité de l’univers de De Palma est qu’il puise tout autant son inspiration dans le cinéma de genre que dans les classiques de l’âge d’or du cinéma. En 1974, quand il réalise Phantom of the Paradise, il a 33 ans et déjà 7 longs métrages à son actif. Après divers courts et moyens métrages quasi expérimentaux au début des années 60, il réalise quatre comédies excentriques, Murder à la mod (1967), Greetings (1968), Hi, Mom ! (1969) et Get to Know Your Rabbit (1970), co-réalise The Wedding Party (1969) avec Wilford Leach et Dionysus in ’69 (1970) avec Richard Schechner. En 1973, sort son premier thriller psychologique, Sisters (Soeurs de sang) avec Margot Kidder et déjà William Finley, son ami et acteur fétiche qui, l’année suivante, deviendra le personnage principal de Phantom of the Paradise. Sisters est un film important dans la carrière du cinéaste qui, par la suite, n’aura de cesse de parsemer sa filmographie de films de genre qu’il affectionne particulièrement : Obsession (1976), Carrie (1976), The Fury (Furie,1978), Dressed to Kill (Pulsions, 1980), Blow Out (1981), Scarface (1983), Body Double (1984), The Untouchables (Les Incorruptibles, 1987), Raising Cain (L’Esprit de Caïn, 1992), Carlito’s Way (L’Impasse, 1993), Mission Impossible (1996), Snake Eyes (1998), Femme Fatale (2002), Passion (2012)…
Sa passion sans borne pour l’oeuvre d’Alfred Hitchcock lui fera régulièrement emprunter dans ses films les motifs significatifs du Maître : Ses obsessions de l’image, de l’œil, de la vue, du regard, des faux-semblants et de la manipulation du spectateur, viennent sans cesse réinventer les règles de son Art et remettre en question, par de remarquables mises en abîme, le statut de l’image, son sens, sa force, sa signification, sa réalité, sa vérité.
Figure importante du cinéma indépendant new-yorkais depuis la fin des années 60, contemporain de la crise politique et culturelle que connaissent les U.S.A. ces années-là, De Palma est un cinéaste de la contre culture et de l’opposition à la guerre du Vietnam (Casualties of War (Outrages,1989) avec Michael J. Fox et Sean Penn). Courtisé par Hollywood, Il rejoint la Warner en 1970 pour y réaliser son premier film de studio, la comédie Get to Know Your Rabbit, mais là, rien ne se passera comme il l’entend. La Warner le prive de tout droit de regard sur la post-production et remonte le film derrière son dos. Ce dernier ne découvrira le montage final qu’avec les spectateurs en salle. C’est un massacre ! Traumatisé par cette expérience de cinéaste dépossédé de son oeuvre par le système industriel des studios, Brian De Palma va en faire un film. Un film furieux, amer, acide et visionnaire : Phantom of the Paradise. Soit, un artiste talentueux et naïf, auteur d’une grande oeuvre bientôt volée puis dénaturée, « défigurée », par un producteur peu scrupuleux. Un film qui transpire la paranoïa qui habite De Palma envers les studios hollywoodiens et qui, dans son traitement radical, traduit, sans ambiguïté possible, tout ce qu’il pense du statut de l’artiste et de la façon dont il peut travailler ou non avec un système industriel de production. Par son sujet, sa motivation, ses multiples niveaux de lecture, mais également, nous allons le voir, par sa forme, Phantom of the Paradise est incontestablement l’un des films les plus personnel de Brian De Palma qui, au sommet de son Art, maîtrise parfaitement non seulement son sujet mais également les sentiments qui animent son personnage principal dépossédé de son oeuvre. Phantom of the Paradise, dont le but est de dénoncer le monde vénal, cruel, destructeur et inculte de l’industrie hollywoodienne, imposera définitivement son auteur au sein de la nouvelle génération des grands cinéastes américains indépendants, le « Nouvel Hollywood », aux côtés de Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Dennis Hopper, John Cassavetes, Arthur Penn, William Friedkin, Alan J. Pakula, Terrence Malick, Paul Schrader, Robert Altman, Michael Cimino, Mike Nichols, Woody Allen,… Mais également Steven Spielberg et George Lucas, dont les succès phénoménaux et inattendus viendront ironiquement par la suite permettre aux studios de reprendre le pouvoir, de récupérer et de dévitaliser les valeurs de la contre culture à des fins mercantiles, et marquer la (presque) fin de cette période créative inégalée qui, en osant, a révolutionné le cinéma américain tant dans ses thèmes abordés que dans sa forme. Plus que prophétique, dans son discours et dans sa forme, Phantom of the Paradise est un film visionnaire.
Steve Le Nedelec
A lire : 2 Le film et son équipe à son époque, 3 Le film et ses références, 4 Le film et son message, 5 Le film et la signature de son auteur
Phantom of the Paradise est disponible en coffret Ultra Collector chez Carlotta Films