Personnage principal du magnifique Singularités dʹune jeune fille blonde (2009),
Catarina Wallenstein évoque avec nous la méthode de travail de Manoel de Oliveira.
KinoScript : Comment le personnage de Luisa est‐il arrivé jusqu’à vous ?
Catarina Wallenstein : Un assistant de Manoel de Oliveira m’avait appelée pour que je lui envoie quelques images de films que j’avais déjà faits avec d’autres réalisateurs. On m’a invité chez lui pour qu’il me voie afin qu’il décide s’il voulait travailler avec moi mais je n’ai pas passé d’audition. Il m’a regardée et m’a dit « d’accord mais blonde aux yeux bleus ». Ça, c’était la première approche. Ensuite il m’a un peu raconté l’histoire, il m’a passé le scénario et « Ciao, on se voit au tournage » – C’était très rapide (rires).
KS : Vous connaissiez déjà la nouvelle de Eça de Queirós ?
C.W. : Non, pas celle‐là. Ce n’est pas l’une de ses nouvelles les plus connues. Mais elle est considérée par les spécialistes de Eça de Queirós comme l’une des ses meilleures. J’en avais lu d’autres mais je ne connaissais pas celle‐là. Je l’ai lue par la suite pour comprendre d’où venait son désir de faire ce film. Pour comprendre les dialogues car les mêmes phrases revenaient. Pour voir comment Manoel les ramène à l’actualité tout en étant très fidèle à ce texte du XIXe siècle.
KS : Votre personnage est assez silencieux et mystérieux. Comment l’avez‐vous approché dans le jeu, comment avez‐vous ressenti le personnage ? Avez‐vous des astuces pour entrer dans la peau du personnage ?
C.W. : Je ne sais pas s’il y a des astuces. Il y a l’équilibre qu’il faut trouver entre ce que je vais faire dans ma tête puis ensuite en pratique et ce que Manoel me demande de faire.
KS : Pour construire votre personnage, avez‐vous imaginé sa vie ?
C.W. : Oui. Pour mon jeu, j’ai eu besoin de savoir d’où venait cette perversité, même si c’est tout le temps caché. Pour moi, il fallait vraiment qu’il y ait quelque chose de pervers dans cette fille. Peut‐être ces deux femmes, mon personnage et sa mère, qui sont tellement étranges et mystérieuses, survivent en côtoyant des hommes riches et naïfs. Luisa n’est pas seulement une jeune fille belle et innocente.
KS : Le fait d’avoir déplacé l’histoire dans le temps, du XIXe à nos jours, entraîne des modifications de perception. Ainsi, concernant le vol, à l’époque ça pouvait être une pulsion parce qu’on pouvait penser que les deux femmes sont d’un milieu riche, mais aujourd’hui c’est plutôt une nécessité de survie. Tout dans le film nous indique qu’elles manquent d’argent, il y des problèmes économiques etc. Elles trouvent ce jeune garçon assez naïf et pour Luisa, il représente aussi une ascension sociale. Est‐ce ainsi que vous avez abordée les liens entre les personnages avec Oliveira ?
C.W. : Je crois qu’on avait décidé très peu de choses au sens où on avait vraiment travaillés sur le plateau. Du début à la fin, elle prend l’argent là où elle peut le trouver, c’est aussi simple que ça. Pourquoi ? Est‐ce qu’elles ont besoin d’argent ou pas ? Peut‐être qu’elles n’en ont pas tellement besoin, mais elles ont besoin de vivre. On a plusieurs scènes qui le justifient, par exemple la scène du poker, où l’argent disparaît. Elle prend l’argent au gré des opportunités.
KS : Luisa est‐elle une Kleptomane ?
C.W. : Pour moi, elle n’est pas kleptomane. Manoel m’a parlé de kleptomanie, du fait qu’elle est jeune et innocente, mais je n’étais pas d’accord avec lui. Elle est jeune mais certainement pas innocente… mais petit à petit nos points de vues se sont retrouvés.
KS : Manoel de Oliveira est‐il très dirigiste ? Il ne m’avait pas dit : « non, on ne fait pas ça parce que je ne veux pas qu’elle soit perverse du début jusqu’à la fin ». Sans grande discussion, il m’a dirigée. Il dirige beaucoup par rapport au corps, sans trop interférer. Il est extrêmement attentif au positionnement du corps, à l’angle de la tête, au temps et du coup notre jeu change même si on ne le veut pas.
KS : Fait‐il beaucoup de répétitions ?
C.W. : Une répétition juste avant la scène à tourner. Je ne sais pas comment il travaille normalement… avec moi il a travaillé comme ça.
KS : Y a‐t‐il une part d’improvisation, vous laisse‐t‐il faire des choses ?
C.W. : Il vous laisse totalement libre par rapport à la construction du personnage, mais pas du tout libre par rapport au corps, aux mouvements, au temps, aux directions de regards… les détails comme ouvrir un rideau avec le dos de la main au milieu après avoir fait trois pas, attendre trois secondes, en faisant attention à la position de la tête… c’est hallucinant toutes ces indications physiques.
KS : Est‐ce pareil pour les dialogues ?
C.W. : Pour le dialogue, non. L’intonation de la phrase non plus. Je dois mettre mon personnage dans un corps que je n’ai pas décidé. C’est difficile, mais c’est très intéressant. On n’a pas impression d’avoir beaucoup de liberté mais il y a toujours une possibilité de mettre nos intentions de personnage dans le regard à l’intérieur d’un corps qui ne nous appartient pas – Manoel travaille l’extérieur et moi je travaille à l’intérieur. Tout le monde peut être content, mais parfois ça peut être limitatif bien sûr.
KS : Comment débute un journée de tournage avec Oliveira ?
C.W. : Quand on arrive sur le plateau, Manoel de Oliveira nous donne ses indications. On répète sans caméra plusieurs fois en prenant en compte tout les mouvements et déplacements de nos personnages et cela jusqu’à ce qu’il obtienne exactement ce qu’il veut. Parfois cela prend beaucoup de temps et à d’autres moments c’est assez rapide…
KS : Cette façon de diriger, de manière « très physique » le corps des personnages, vous à‐t‐elle surprise ?
C.W. : Cela m’a surprise et dérangée et c’est aussi un défi à relever que de jouer ainsi. Beaucoup se plaignent de cette manière perfectionniste de diriger, mais je crois qu’il est toujours possible de mettre quelque chose de soi, de ce que l’on croit, dans son interprétation.
KS : Cela doit être assez déconcertant de devoir faire certains gestes et mouvements à certains moments ?
C.W. : Il faut remplir ces gestes et ça doit être très rapide. Je n’avais peut‐être pas pensée auparavant à ces gestes. Il faut alors que je m’adapte, car je ne vais pas lutter. Il faut que je fasse confiance à Manoel. Il faut qu’il me fasse confiance aussi.
KS : Fait‐il beaucoup de prises ?
C.W. : Je n’ai pas souvenir d’avoir fait beaucoup de prises. Par contre, on ne s’arrête pas tant que nous ne sommes pas parvenus à faire exactement comme il veut.
KS : Y a‐t‐il des comédiennes portugaises qui vous ont inspiré, que vous admirez ?
C.W. : Il y a des actrices que je respecte beaucoup : Beatriz Batarda, elle joue dans Noite Escura (Nuit Noire, 2004) de João Canijo… elle est fantastique… il y a aussi Rita Blanco, elle joue d’ailleurs sa mère dans le film. Ce sont deux comédiennes que j’adore. Il y en d’autres aussi, plus âgées, des actrices de théâtre… Je déteste choisir car je fais encore des découvertes et il y a encore tellement de choses à découvrir pour pouvoir choisir.
KS : C’est tout ce qu’on vous souhaite, de faire encore plein de découvertes.
C.W. : Merci.
Propos recueillis par Rita Bukauskaité et Fernand Garcia.
Rétrospective intégrale Manoel de Oliveira à la Cinémathèque Française du 6 septembre au 21 octobre 2012
Singularités d’une jeune fille blonde est disponible en DVD ‐ Epicentre Films Editions
Une réflexion au sujet de « Catarina Wallenstein »
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