Jacques Bral – Festival de la Cinémathèque, 2025

La Section « Jacques Bral » propose un hommage à un cinéaste rare, spécialiste du film noir et auteur notamment de deux extraordinaires polars du début des années 1980 à redécouvrir sur grand écran.

Né le 21 septembre 1948 à Téhéran en Iran, Jacques Bral est un cinéaste rare et discret à qui on doit six longs métrages, six films noirs, en un peu plus de 40 ans de carrière. Après avoir passé son enfance à Téhéran, Jacques Bral décide de s’installer en France en 1966 à l’âge de 18 ans. Entre 1966 et 1968, il étudie l’architecture à l’école des Beaux-Arts de Paris. Par la suite, Bral assiste pendant deux ans aux cours de l’Institut de formation cinématographique où il a l’occasion de réaliser plusieurs courts métrages, notamment Quand tout le monde est parti qu’il co-réalise avec Julien Lévi et Jean-Paul Leca, puis M-88 (1970) et Frisou (1973) qu’il tourne en 16 mm et noir et blanc.

En 1975, il réalise Une Baleine qui avait mal aux dents, son premier long métrage dont il est également scénariste. Si le film réunit un casting prestigieux (Bernadette Lafont, Francis Blanche, Michael Lonsdale) celui-ci sera un échec commercial. Pour financer ses films, en 1978, Jacques Bral fonde sa propre société de production, Les Films Noirs, avec ses associés Jean-Paul Leca et Julien Lévi, et, en 1980, tourne Extérieur, nuit avec Christine Boisson, Gérard Lanvin et André Dussollier. Sans crime ni flic, mais avec une atmosphère nocturne et urbaine influencée par celle du film noir, du pavé mouillé parisien des zonards aux clubs de jazz en sous-sol des solitaires, Extérieur, nuit marque un tournant dans le polar français de la fin des années 70 et du début des années 80. Le film obtient le Prix Perspectives du cinéma français à Cannes et le Léopard de bronze à Locarno.

Quatre ans plus tard, le cinéaste tourne l’un de ses films les plus célèbres, Polar (1984), adaptation du roman policier Morgue pleine de Jean-Patrick Manchette, avec Jean-François Balmer dans le rôle principal d’un détective privé parisien. Avec ses figures de style, ses clins d’œil et son plaisir manifeste à déjouer les codes du genre, Polar impose son auteur.

Puis, pendant plusieurs années, Jacques Bral ne tourne plus. C’est sa rencontre avec le cinéaste américain Samuel Fuller, exilé à Paris et ignoré de la plupart des producteurs, qui le poussera à écrire le scénario et à produire lui-même Sans espoir de retour (Street of No Return, 1989), film policier qui sera le dernier long métrage de Fuller, réalisateur entre autres des films, Le Port de la drogue (Pickup on South Street, 1952), Quarante tueurs (Forty Guns, 1957), Shock Corridor (1963) ou encore Dressé pour tuer (White Dog, 1982).

En 1993, Jacques Bral réalise Mauvais garçon, une comédie dramatico-poétique avec Delphine Forest et Bruno Wolkowitch. Bral s’éloigne ensuite quelques temps du cinéma pour se consacrer à d’autres formes d’art qu’il affectionne et pratique depuis longtemps, comme le dessin, la peinture ou encore la sculpture. Le retour de Jacques Bral à la réalisation aura lieu douze ans plus tard avec Un printemps à Paris (2004), un polar à l’ancienne avec Eddy Mitchell et Sagamore Stévenin.

De nouveau sans tourner durant un long moment, le cinéaste ne reviendra qu’en 2012 avec son ultime œuvre, le film Le Noir (Te) Vous Va Si Bien, une tragédie romantique sociale et engagée à la croisée de deux cultures qui raconte la double vie de Cobra, une femme de confession musulmane qui doit jongler entre ses valeurs familiales traditionnelles et sa vie professionnelle tout en gérant une relation amoureuse que sa famille n’apprécie pas. Ce sera son dernier film, Jacques Bral nous quitte le 17 janvier 2021.

Section « Jacques Bral » :

Extérieur, nuit (1980) de Jacques Bral – 110 min – Avec Christine Boisson, Gérard Lanvin, André Dussollier…

Après avoir rompu avec son passé, Léo, musicien de jazz, s’installe provisoirement chez Bony, un vieil ami écrivain en mal d’inspiration. Tous deux font la connaissance de Cora, une jeune femme marginale et solitaire qui conduit un taxi. Troublés par sa liberté et son comportement agressif, tous les deux se sentent très attirés par elle. Entre Cora et Léo se tissent, au fil des nuits, des rapports amoureux intenses, tendres et violents. Un jour, Cora se rend chez Bony, mais, Léo absent, celui-ci tente de la séduire. Prétendant se moquer de tout, Cora finit par céder à ses avances. Cora, dont le passé est relativement trouble, rêve depuis longtemps de partir en Amérique du Sud et cherche par diverses méthodes la somme nécessaire à son voyage. C’est le visage tuméfié que Léo et Bony la retrouvent devant la porte de l’appartement. Quelques heures plus tard, les deux hommes se sont endormis. Le soleil s’est levé et Cora a disparu avec l’argent que Bony venait de recevoir de son éditeur.

« Elle (Cora) est l’épicentre du film. La construction repose sur elle. C’est un personnage très abstrait. En ce sens, il ne fallait rien chez la comédienne qui puisse banaliser le personnage. J’ai senti cette qualité chez Christine Boisson, qui m’a été présentée par l’agent artistique Serge Rousseau. » Jacques Bral.

Comme un Jules et Jim des années 1980, Extérieur, nuit est la chronique désenchantée et incandescente de trois paumés : deux ex-soixante-huitards, chômeurs, qui croisent la solitude d’une chauffeuse de taxi, Titi parisienne marginale (la regrettée Christine Boisson).

Entre Pigalle et le canal Saint-Martin, dans un Paris nocturne, poisseux, fantomatique, magnifiquement mis en lumière par le chef opérateur Pierre-William Glenn, directeur de la photographie entre autres de La Nuit américaine (1973) de François Truffaut, L’Horloger de Saint-Paul (1973) de Bertrand Tavernier ou encore Série noire (1979) d’Alain Corneau, Bral traîne sa caméra comme ses personnages traînent leur déprime, bercée par le jazz mélancolique de la bande originale composée par Karl-Heinz Schäfer. Un traité d’amertume doublée d’un humour désinvolte. Séance présentée par Léa Boissel Bral et Pascal Mérigeau.

Polar (1984) de Jacques Bral d’après le roman Morgue pleine de Jean-Patrick Manchette – 97 min – Avec Jean-François Balmer, Sandra Montaigu, Pierre Santini…

Eugène Tarpon, un détective privé basé à Paris, voit son business aller à la dérive. S’apprêtant à tout laisser tomber et à revivre en province, il fait la rencontre de Charlotte Le Dantec, une jeune femme qui va le charger d’une enquête : celle concernant le meurtre de son amie Louise…

Adaptation cinématographique du roman Morgue pleine de Jean-Patrick Manchette dont est fan Jacques Bral, et qui, de Nada (1974) de Claude Chabrol, à Trois hommes à abattre (1980) de Jacques Deray en passant par Folle à tuer (1975) d’Yves Boisset, a vu plusieurs de ses ouvrages transposés au cinéma, Polar marque les retrouvailles du réalisateur avec le scénariste Jean-Paul Leca et le compositeur Karl-Heinz Schäfer. Interprété par l’excellent Jean-François Balmer, le détective Eugène Tarpon est un loup solitaire pathétique à la mine cafardeuse, impliqué dans une affaire criminelle. Plus que par l’intrigue en toile d’araignée, le film éblouit par son atmosphère blafarde, ses décors étiolés et son utilisation de la voix off en guise de monologue intérieur. Polar est un film noir qui se transforme en histoire d’amour, où chacun révèle son incapacité à trouver sa place dans la société. Maître du polar français, Claude Chabrol fait une apparition en clin d’œil dans le film dans le rôle d’un réalisateur de films pornographiques. Avec ses figures de style, ses clins d’œil et son plaisir manifeste à déjouer les codes du genre, Polar impose son auteur.

Restauration 4K par Les Films Noirs et la Cinémathèque française avec le soutien du CNC, à partir du négatif original et de la bande son magnétique 35 mm, au laboratoire Éclair Classics. Séance présentée par Léa Boissel Bral, Jean-François Balmer et Pierre Santini.

Steve Le Nedelec

Cinq jours durant, dans 9 cinémas (La Cinémathèque française, La Filmothèque du Quartier Latin, Le Christine Cinéma Club, L’Ecole Cinéma Club, La Fondation Jérôme Seydoux – Pathé, L’Archipel, L’Alcazar, Le Vincennes et Le Centre Wallonie-Bruxelles) le Festival de la Cinémathèque propose cette année encore, près d’une centaine de séances de films rares et/ou restaurés présentés par de nombreux invités et répartis en différentes sections pour célébrer le cinéma de patrimoine et fêter en beauté son douzième anniversaire.

Le Festival de la Cinémathèque (ex « Toute la mémoire du monde »), le Festival international du film restauré fête ses 12 ans avec une riche sélection de restaurations prestigieuses accompagnées d’un impressionnant programme de rencontres, de ciné-concerts et de conférences.

Moment privilégié de réflexion, d’échange et de partage qui met l’accent sur les grandes questions techniques et éthiques qui préoccupent cinémathèques, archives et laboratoires techniques mais aussi, bien évidemment (on l’espère encore !), éditeurs, distributeurs, exploitants et cinéphiles, le Festival de la Cinémathèque, né dans le contexte de basculement du cinéma dans l’ère du numérique, propose une fois de plus, cette année encore, une programmation exceptionnelle en donnant à voir aux spectateurs les chefs d’œuvre comme les œuvres moins connues (curiosités, raretés et autres incunables) du patrimoine du cinéma. Avec toujours un élargissement « Hors les murs » dans différentes salles partenaires de la manifestation à Paris et banlieue parisienne, puis, dans la continuité du festival francilien, en partenariat avec l’ADRC (Agence nationale pour le développement du cinéma en régions), plusieurs films qui tourneront après le festival dans des cinémas en régions, pour sa douzième édition, le Festival International du film restauré, renommé depuis l’année dernière « Festival de la Cinémathèque », s’affirme comme étant l’immanquable rendez-vous dédié à la célébration et à la découverte du patrimoine cinématographique mondial.

Créé par La Cinémathèque française en partenariat avec le Fonds Culturel Franco-Américain et Kodak, et avec le soutien de ses partenaires institutionnels et les ayants droit essentiels aux questions de patrimoine, ce festival est incontournable pour les cinéphiles passionnés, les amoureux du patrimoine cinématographique, les archivistes, les historiens, les chercheurs et autres curieux. Riche et foisonnante, la programmation du festival nous propose un panorama très éclectique des plus belles restaurations réalisées à travers le monde et salue ainsi non seulement le travail quotidien des équipes des différentes institutions, mais nous fait également prendre toute la mesure de la richesse incommensurable de cet Art qui n’a de cesse de témoigner tout en se réinventant tout le temps.

Festival de la Cinémathèque : Sans la connaissance de notre passé, notre futur n’a aucun avenir. C’est pourquoi le passé est un présent pour demain.

Festival de la Cinémathèque – 12ème édition – Festival International du Film Restauré – Du 5 au 9 mars 2025 à La Cinémathèque Française et « Hors les murs ».