Au théâtre ce soir. Le Cocu est une pièce du théâtre de boulevard à trois comédiens. Sur scène, Paul Rivière (Pio Marmaï), Sophie Denis (Blanche Gardin) et William Keller (Sébastien Chassagne), jouent dans une certaine routine pour un public clairsemé. Une femme annonce à son mari, qu’elle le quitte pour un autre homme, qui se soulage dans les toilettes de l’appartement. Son mari encaisse. Il tente de la faire revenir sur sa décision de vivre avec ce nouvel amour pour l’instant platonique. Dans la salle, un homme se lève, il s’appelle Yannick (Raphaël Quenard). L’homme gardien de parking à Melun est venu pour se détendre, mais il n’y trouve pas son compte…
Avec Yannick, Quentin Dupieux donne l’impression de quitter ce qui fait l’essence et la singularité de ses films, l’absurde et une forme de surréalisme pop. Il n’en est rien, fort heureusement. Son nouveau film s’inscrit dans l’esprit du Charme discret de la bourgeoise (1972), chef-d’œuvre de Luis Buñuel, tout en réalisant une œuvre personnelle. La salle de théâtre fonctionne comme le microcosme de la société française. Yannick amuse, dans un premier temps, mais au fur et à mesure, un sentiment d’inquiétude enveloppe les spectateurs. Yannick prend la parole et se dévoile sur scène face au public, à la « foule » anonyme. Yannick est un symptôme de notre temps, il a le droit de donner son avis comme tout un chacun à l’heure des réseaux sociaux.
Yannick n’aime pas la pièce tout simplement parce qu’elle ne lui permet pas de s’évader de sa condition. Une piètre pièce de boulevard, avec le mari, la femme et l’amant, dans un décor minimaliste de cuisine, le réexpédie dans son triste quotidien. Yannick, c’est une vie de solitude. Il n’arrive plus à prendre du recul, sa vision de la pièce est totalement premier degré. Il intervient, interrompt les acteurs pour faire part de son insatisfaction. Il a payé, il en veut pour son argent. Et qu’importe l’avis des autres spectateurs. Son ressenti prime sur les autres. Jamais, il n’imagine que les autres puissent apprécier, un spectacle aussi affligeant soit-il.
La pièce ne vaut pas tripette, mais il faut reconnaître que les acteurs sont bons. Yannick force les autres à voir le spectacle à travers ses yeux. Il se donne une légitimité du fait des efforts qu’il a faits pour venir, une demande de congé pour la soirée, le trajet, le billet, dans son esprit il a le « droit » à une pièce qui le sorte de son univers gris. Sur scène, Yannick distribue les bons et les mauvais points.
En filigrane de Yannick, Quentin Dupieux esquisse une critique du spectacle et au final de la société du spectacle. Le Cocu, n’est pas une pièce du théâtre public, mais à une du privé. Les spectacles les plus affligeants sont parfois ceux du public, où les spectateurs doivent se farcir les pires élucubrations et surtout se taire de peur de passer pour des réacs. De son côté le théâtre privé ronron parfois.
Le film égratigne surtout la médiocrité des comédies françaises qui pullulent sur les écrans. Les comédiens ne sont pas en cause, mais les auteurs (et finalement toute la chaîne des décisionnaires). Il n’est pas étonnant que Yannick en appelle au metteur en scène qui n’est pas là, ce qui le laisse dans un état de stupéfaction. Un chef cuisinier, peut-il être absent en cuisine ?
Yannick veut voir autre chose, qui le sort du train-train. Il prend toute la salle et les comédiens en otage. Il se lance dans l’écriture d’une pièce. Mais la pauvreté de son imagination, le mène dans une impasse. Créér, n’est pas simple, ce qu’il a dans la tête s’avère pitoyable, à peine du niveau d’un sitcom d’un autre temps avec son lot de personnages stéréotypés de docteurs et d’infirmières.
Yannick revendique, mais seul, il n’ira pas bien loin. Les spectateurs ne le soutiennent que sous la contrainte. Les comédiens se moquent de lui, de son inculture et de son incapacité à aligner deux phrases sur le papier. Cette friction entre les comédiens et Yannick révèle ce que l’on perçoit dans la société depuis un moment, une cassure profonde, un désamour. Les comédiens se sont coupés de leur public. Ils sont dans des hauteurs avec leurs prises de position, leurs leçons de morales, loin des préoccupations des petites gens. En ce sens, Yannick est une sorte de gilet jaune, méprisé par l’establishment.
Une réaction finit par surgir de la salle, un spectateur âgé finit par foutre le camp devant tant de connerie de part et d’autre. Il quitte le théâtre comme s’il abandonnait le siècle, il n’y a plus rien à faire, plus personne ne s’écoute sans invective. La création est figée, tétanisée. Yannick réclame de simplement de l’imaginaire, du plaisir, le pouvoir va lui répondre à coups de matraque.
Le film de Quentin Dupieux est un huis-clos à l’image d’un pays avachi. Les interprètes de cette tragi-comédie sont absolument remarquables. Dupieux aime les acteurs et les gâtent de situation et de dialogue remarquables. Yannick est drôle et lucide, Quentin Dupieux en dit plus long sur la société française que la plupart des productions actuelles.
Fernand Garcia
Yannick, un film de Quentin Dupieux avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne, Agnès Hurstel, Jean-Paul Solal, Laurent Nicolas, Charlotte Laemmel, Sava Lolov… Scénario, image, montage : Quentin Dupieux. Direction artistique : Joan Le Boru. Décors : Bruno Hadjadj. Costumes : Elfie Carlier. Producteur associé : Antoine Lafon. Producteurs : Hugo Selignac, Thomas et Mathieu Verhaeghe et Quentin Dupieux. Production : Atelier de Production – Chi-Fou-Mi Productions – Quentin Dupieux. Distribution (France) : Diaphana Distribution (Sortie le 2 août 2023). France. 2023. 67 minutes. Couleur. Format image : 1.37 :1. Tous Publics.