Mario Colella (Luc Merenda), ancien champion de moto-cross, s’est reconverti en mécanicien de moto à la mort de sa femme. Comme tous les matins, il accompagne son fils, Fabrizio (Marco Liofredi) au collège. En chemin, ils croisent Antonio (Francesco Impeciati) le meilleur ami de Fabrizio, fils du richissime entrepreneur Filippini (James Mason). Mario dépose son fils et repart. Alors qu’Antonio se dirige vers l’entrée de l’école, un groupe de malfrat cagoulé le kidnappe. Fabrizio vient au secours de son petit camarade. Pressés par le temps, les ravisseurs embarquent les deux enfants. Le commissaire Magrini (Vittorio Caprioli) renonce à ses vacances pour se consacrer à cette nouvelle affaire de kidnapping…
Colère noire est un polar libérateur. En 1975, l’Italie patauge dans les années de plomb et la stratégie de la tension. Une terreur froide s’est abattue sur le pays, attentats, manipulations politiques, corruption, instabilité politique, affaires crapuleuses. Le pays est champ de guerre où s’affrontent gauche, extrême gauche, droite, extrême droite, Parti communiste, démocratie chrétienne, des loges secrètes, la mafia dans une zone d’influence de l’OTAN et de la CIA (loin d’être de simples observateurs).
Au milieu de ce magma, des centaines de victimes anonymes, les familles riches quittent le pays ou envoient leurs enfants à l’étranger. La peur cimente les strates de la société. Agressions, vols, rapts, séquestrations, assassinats, la violence se conjugue au quotidien. Le cinéma prend à bras-le-corps l’actualité et porte à l’écran, les angoisses et les dérivés de la société italienne, l’après-boom économique des années 60 est terrible. Les comédies deviennent de plus en plus noires, les cinéastes italiens abordent frontalement les dérives fascistes et autoritaires du pays tout en dénonçant la corruption qui gangrenait l’Etat. Le cinéma italien donne alors naissance au poliziottesco, genre ultraviolent où généralement des flics intègrent, dégoûtés par le système, règle violemment les comptes. Ces néo-polars recueillent une forte adhésion populaire, mais sont vilipendés par la critique.
Colère noire se situe à la hauteur de l’homme de la rue, du quidam victime collatéral et entraîné dans la violence. Fernando Di Leo montre quelque chose d’inconcevable à l’heure actuelle, que des enfants de la petite classe moyenne et des enfants de classe supérieure pouvaient fréquenter la même école. Il accentue toutefois ce décalage social en faisant arriver Fabrizio à moto, avec son papa en salopette, et le riche Antonio en Rolls avec chauffeur. Fabrizio est kidnappé dans le feu de l’action, il n’aurait pas dû se retrouver embarqué avec son camarade. Il ne représente rien.
L’énorme rançon exigée, 10 milliards de Lires, pousse Filippini à entreprendre des négociations. Si pour Filippini, il n’y a là rien de plus normal, la situation est intolérable aux yeux de Grazia (Valentina Cortese), sa femme, et de Mario. Les deux sont à leur manière en situation de faiblesse, sauf que la fortune amassée par Filippini prend racine dans celle de sa femme. Mario ne peut que s’en remettre à la police. Le commissaire ne croit pas que le petit pauvre soit réellement en danger. Erreur tragique. Filippini refuse de lâcher la rançon. Le petit Fabrizio en fera les frais. Mario décide de se prendre en main, n’ayant plus rien à perdre.
Polar libérateur pour le spectateur, satisfaction de pouvoir prendre la main dans un phénomène cathartique. Mario abat un à un tous les protagonistes liés à cette crapuleuse affaire. Il remonte toute la filière, des petites mains, recrutées dans les zones déshéritées gangrénées par le chômage et la misère, jusqu’au sommet de la pyramide, des riches donneurs d’ordres dans les beaux quartiers d’affaires. L’itinéraire de Mario s’apparente à celui de Walker (Lee Marvin) dans le Point de non-retour (Point Blank, 1967) de John Boorman adapté de Robert Stark (Donald E. Westlake) et dans sa structure au film d’Akira Kurosawa, Entre le ciel et l’enfer (Tengoku to jigoku, 1963) d’après Ed McBain.
Fernando Di Leo met en scène le cheminement tortueux de la rançon, des paumés exécuteurs des basses œuvres, des complicités, au petit truand qui chapeaute l’opération, jusqu’au sommet de l’organisation. La police, comme souvent dans les poliziottesco, est totalement incapable entravée soit par l’incompétence, la corruption en son sein ou freinée par la justice ou son environnement bureaucratique. Le commissaire (Vittorio Caprioli), pas un mauvais bougre, ne peut que suivre avec son équipe, les événements de son bureau, et tenter de relier les morts entre eux. Une sorte de puzzle du mal se met en place, où pour quelques Lires des personnes sont prêtes à n’importe quoi. Un constat qui fait froid dans le dos. La colère de Mario est par porosité celle du film.
Colère noire se situe dans la carrière de Fernando Di Leo après sa Trilogie du milieu (Milan Calibre 9, Passeport pour deux tueurs, Le Boss) et trois autres polars chacun dans un style différent : l’érotisme avec Séduction (La Seduzione, 1973) avec Maurice Ronet et Lisa Gastoni, le noir absolu avec Salut les pourris (Il poliziotto è marcio, 1974) avec Luc Meranda et Richard Conte et la comédie avec Ursula l’anti-gang (Colpe in Canna, 1975) avec Ursula Andress et Marc Porel. Colère noire est le point de départ d’une nouvelle trilogie : Villes violentes, avec la particularité que Fernando Di Leo, laisse sa place à Roggero Deodato pour Deux flics à abattre (Uomini si nasce poliziotti si muore, 1976), le volet 2, avant de revenir pour Mr. Scarface (I Padroni della Città, 1976). Di Leo est le coscénariste des trois films.
Colère noire est séparé en deux blocs, le premier raconte l’enlèvement, la séquestration des enfants, l’impuissance de la police, la négociation de Filippini, et l’intolérable attente de Mario. La deuxième, la vengeance de Mario avec la découverte de qui mouille dans le kidnapping. Cette opération crapuleuse est une affaire commerciale comme une autre. Mario découvre que chaque être a non seulement un prix, mais une valeur marchande. Deux parties clairement identifiables, une première quasi documentaire et une autre d’action pure. Le rythme ne faiblit jamais et l’ensemble reste intéressant de bout en bout. Colère noire est l’un des plus gros succès publics de Fernando Di Leo.
Luc Meranda est un acteur français, tient le haut de l’affiche avec OSS 117 prend des vacances (1970) de Pierre Kalfon, dernière aventure « sérieuse » de l’espion Hubert Bonisseur de La Bath à l’écran. Il tourne dans la production de Steve McQueen, Le Mans (1971) et dans le western « international » Soleil rouge (1971) aux côtés d’Alain Delon, Charles Bronson, Toshiro Mifune et Ursula Andress sous la direction de Terence Young. Mais le succès vient d’Italie, Luc Meranda incarne Amen dans Trinita tire et dit Amen (Cosi sia, 1972), titre français trompeur, au succès immédiat. La dégaine et le style de Luc Meranda, correspondent parfaitement au héros des années 70. Sa carrière est lancée, il passe du western au néo-polar, où il devient une figure emblématique du genre. Athlétique, Luc Meranda réalise lui-même ses cascades. Colère noire est le deuxième des quatre films que Luc Meranda tournera sous la direction de Fernando Di Leo. Dans l’ordre : Salut les pourris, Colère noire, Gli amici di Nick Hezard (1976) comédie policière dans l’esprit de L’Arnaque, un échec public, et 6 ans après pour Pover’ammore (1982) un mélo policier. Luc Meranda s’est retiré du cinéma, pour se consacrer à la vente d’antiquités.
Colère noire du poliziottesco haute tension à revoir.
Fernand Garcia
Colère noire, une édition Eléphant Films dans la collection Les années de plomb. Le film de Fernando Di Leo est restauré en haute-définition, disponible en Combo (DVD+Blu-ray) et DVD Collector et dans une édition métal limitée à 500 exemplaires. En complément : Un entretien croisé entre Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele. Les auteurs de Mario Bava, le magicien des couleurs (Editions Lobster), survolent le contexte du film tout en faisant bien attention à rester dans les clous de notre époque en insufflant une pointe de féminisme à leur analyse (24 minutes). Bien plus intéressant est le documentaire de Nocturno Cinema, Villes Violentes : L’autre trilogie de Fernando Di Leo, entretien avec Luc Meranda, Dagmar Lassander, Armando Novelli, producteur, Amadeo Giomini, monteur sur la personnalité et les méthodes de tournage de Fernando Di Leo. Ainsi qu’un court entretien avec Di Leo : « la forme est le contenu » ce qui est peut-être aussi sa limite en tant que réalisateur (27 minutes). La bande-annonce italienne du film (2 mn env.), et des autres films de la collection : La Triologie du milieu, Mister Scarface et Deux flics à abattre. Inclus, un livret Les années de plomb par Alain Petit (24 pages).
Colère noire (La città sconvolta : Caccia spietata ai rapitori), un film de Fernando Di Leo avec Luc Merenda, James Mason, Irina Maleeva, Mariano Masè, Daniele Dublino, Vittorio Caprioli, Valentina Corteses… Sujet : Galliano Juso. Scénario : Nicola Manzari, Fernando Di Leo et Ernesto Gastaldi. Directeur de la photographie : Erico Menczer. Decors : Francesco Cuppini. Costumes : Maria Luisa Panaro. Montage : Sergio Montanari. Musique : Luis Bacalov. Production Galliano Juso. Production : Cinemaster S.r.l. Italie. 1975. 98 minutes. Telecolor. Format image : 1.85 :1. 16/9e. Son : Version originale en italien, anglais et en version française d’époque avec ou sans sous-titres français ou anglais. DTS-HD master audio 2.0.