Yamasaki signifie à la fois « rose jaune » et « pièce d’or » qui était utilisée dans l’ancien Japon. C’est une fleur originaire du Japon, de Corée et de Chine, et du nom de l’un de ses principaux acteurs Yamabuki qui, comme la fleur, partage le sort d’une métaphore : elles sont à la fois simples, sauvages et commencent spontanément à se manifester de manière silencieuse. Il y a une légère confusion sur le titre du film à moins que vous ne parliez couramment le japonais.
Présenté dans la section Tiger Competition du Festival international du film de Rotterdam 2022, et programmé pour Cannes (Acid) 2022, Yamabuki est tourné à Maniwa, dans le nord de la préfecture d’Okayama dans une région montagneuse qui abrite une industrie minière et attire une importante main-d’œuvre immigrante où le réalisateur Yamasaki vit également.
Il y a dix ans, le réalisateur présentait son premier film Hikari no oto (The Sound of Light) à Rotterdam, et une décennie plus tard, il est de retour avec son troisième film Yamabuki en compétition cette fois.
Le cinéaste dans ses deux films précédents élucide la situation de la vie rurale japonaise contemporaine en termes de développement économique : Hikari no oto (The Sound of Light, 2011), raconte la lutte de son protagoniste entre suivre un chemin de vie urbaine moderne et une vie pastorale en tant que producteur laitier, tandis que Atarashiki tami (Sanchu Uprising, 2015) est basé sur des événements réels : un soulèvement des habitants de Sanchu en 1726 où des samouraïs ont massacré des paysans émeutiers qui demandaient être exonéré de la hausse d’impôt. Avec une approche stylistique non conventionnelle, Yamasaki crée un hybride d’œuvres d’art et d’époque.
Juichiro Yamasaki à côté de son activité de cinéaste, travaille en vrai comme agriculteur. Kang Yoon-soo qui joue le rôle de Chang-su est un acteur coréen installé aussi à Maniwa, avec sa famille qui, comme celle de son personnage, est composée de trois personnes avec qui il n’a pas de liens de parenté.
Yamabuki est une œuvre montée par le réalisateur lui-même. Techniquement, le cinéaste a utilisé le 16 mm pour la cinématographie de Kenta Tawara conférant une texture légèrement granuleuse. Elle est accentuée par des tons sourds et le subtil lavage de lumière réalisé par Yusuke Fukuda donnant au grain de l’image une aura intemporelle.
C’est une coproduction franco-japonaise et la musique est composée par Olivier Deparis qui a su marier les ambiances orientales et occidentales. Yamasaki utilise dans le générique d’ouverture et de clôture, la belle animation de Sébastien Laudenbach (réalisateur de La fille sans mains en 2016).
Yamabuki s’agit plus d’une pièce d’ambiance et d’une étude de personnage que d’une intrigue, examinant des aspects du Japon contemporain qui sont rarement montrés dans d’autres films japonais.
Son film ambivalent nous plonge dans une atmosphère mélancolique et parfois monotone, sans jamais porter de jugement, et laisse place à l’évolution des personnages et espace au spectateur pour imaginer sa propre fin. Il tisse une toile de vies interconnectées et éclaire une société où la confrontation est évitée dans les luttes socio-économiques auxquelles ses personnages sont confrontés.
Il est surtout partagé entre deux personnages principaux: la lycéenne prudemment rebelle et stoïque Yamabuki (Kilala Inori) qui est la fille d’un flic veuf Hayakawa (Yohta Kawase), un policier à la poursuite d’une bande de gangsters locaux. Mais un jour, alors qu’il n’est pas en service, il cherche la fleur rare de Yamabuki, qui fleurit chaque printemps à flanc de montagne ; en l’arrachant de sa racine, il déchaîne une avalanche de pierres sur la pente écrasant une camionnette.
Cette scène nous rappelle la scène la plus célèbre du film Les Fiancées en folie (Seven Chances, 1925) de Buster Keaton qui a délogé par inadvertance des rochers qui ont dégringolé après lui comme s’il le poursuivait, et il a dû se démener pour les esquiver. Lors d’une avant-première, Keaton a vu que cet accident avait provoqué les plus grands rires du film. Tellement inspiré, il a décidé de refaire la scène avec plus de 100 « rochers » en papier mâché afin que son personnage doive faire face à une avalanche massive dans la scène.
Le deuxième personnage est Chang-su qui joue le rôle d’un ingénieur coréen d’une trentaine d’années et ancien coureur olympique de l’équipe sud-coréenne, criblé de dettes suite à la faillite de l’entreprise de son père, finit par travailler dans une carrière locale au Japon.
Chang-su est aussi le petit ami de l’institutrice Minami (Misa Wada) bien que leur relation ne soit pas romantique. Cette dernière a fui son mari violent et sa famille avec sa très jeune fille. Beaucoup de ses collègues sont aussi des immigrants qui ont laissé derrière eux leur maison et leur famille.
Le scénario de Yamasaki alterne de manière inégale entre ces deux personnages prometteurs. Peu à peu, les vies de Chang-su, Yamabuki et des autres habitants de la ville commencent à s’entremêler.
Au début du film l’attention est portée sur le personnage de Chang-su, puis sur Yamabuki, qui a perdu sa mère dans un travail engagé politiquement en tant que correspondante de guerre. Sa fille, dans sa quête de compréhension, s’implique également, rejoignant des manifestations de rue silencieuses contre une série de problèmes, notamment le traitement des travailleurs migrants, contre l’énergie nucléaire et pour la paix.
Au milieu du film, Chang-su alors qu’il rentre du travail, il se blesse à la jambe par une avalanche de rochers causée par le policier père de la fille. Il tombe en sortant de sa camionnette endommagée sur un fourre-tout plein d’argent volé et décide d’en garder la moitié. C’est une réflexion socio-philosophique sur l’importance malsaine accordée à l’argent dans la société japonaise contemporaine.
Yamabuki aborde plusieurs sujets à la fois : l’engagement politique, la précarité économique et sociale, la quête d’identité, l’émancipation, le poids des traditions, l’autorité de l’État, la famille recomposée, et surtout la xénophobie envers les Sud-Coréens très stigmatisés au Japon, voire même ceux qui sont installés depuis plusieurs générations au Japon. En marge, le film traite un gang de voleurs d’argent et d’organisateurs de bars, aux côtés de communautés de travailleurs itinérants et d’organisateurs de la justice sociale. Yamasaki montre une prise de conscience de la complexité que contient la vie rurale, et qu’elle est peut être à l’avant-garde de certains des éléments les plus existentiellement chargés de la vie moderne.
Mais peut-on comparer Yamabuki au film Magnolia de Paul Thomas Anderson. Magnolia qui est une épopée de coïncidence et de destin au cours d’une journée dans la vallée de San Fernando, qui vole dans la vie d’une poignée de personnages différents, un gourou du sexe, un policier, un père mourant… et qui a divisé le public autant qu’il le déroute. Certains y voient un brillant exercice de réalisation cinématographique créative et stimulante, un film qui remet en question l’idée que le cinéma américain moderne est composé de formules de films antérieurs et lisses de virtuosité technique, dépourvus de sens et sentiment. D’autres considèrent Magnolia comme le nom plus ultra de la prétention et de la suffisance auto-satisfaite. Laquelle des deux évaluations est la bonne ? La vérité se situe-t-elle peut être quelque part entre les deux ? Peut-on dire la même chose pour Yamabuki ? Oui pour les personnages du film uniquement. Yamasaki parle dans son film comment certains finissent par perdre tandis que d’autres trouvent tout ce qu’ils veulent en incorporant parfois une myriade de complications savonneuses et mélodramatiques alors que la simple observation de leur vie et de leurs luttes est suffisamment intéressante en soi.
Yamabuki et Chang-su recherchent tous deux une connexion et un refuge sûr. Elle est déchirée entre son père représentant l’autorité et le groupe d’activistes représentant sa mère indépendante et lui, il se tourne vers une femme et sa fille dans l’espoir de trouver une famille. Il y a un sentiment de solitude dans les personnages tout au long du film, alors qu’ils cherchent désespérément à être heureux et touchés par une autre âme.
Mais est-ce que l’autre âme ou le simple fait d’être heureux existe vraiment ? Deux définitions du bien-vivre ou d’être heureux : l’une qui renvoie à un style de vie hédoniste, tandis que l’autre renvoie à la retenue morale. Ces deux significations apparemment contradictoires créent une « dichotomie dangereuse » car l’une semble exclure l’autre.
Cette contradiction est indirectement reconnue et traitée par presque toutes les religions surtout les trois religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam qui offrent le bonheur éternel dans une vie céleste, après la mort, comme compensation d’une vie morale sur terre.
En revanche, si la formule du bonheur restera longtemps un mystère, le stoïcisme, propose d’atteindre le bonheur en se connectant à la nature profonde de l’homme. Des philosophes stoïciens tels que Zénon, Sénèque, Marc-Aurèle, Schopenhauer ou encore Épictète, nous livrent les préceptes d’une sagesse millénaire.
Pour Schopenhauer, la souffrance vient du désir. Quant à Sénèque : Pratiquer la visualisation négative au quotidien en continuant à nous rappeler que tout ce qui nous entoure est éphémère… En pensant à notre mort nous prenons de la hauteur sur nos désirs et les problèmes que nous rencontrons. Être heureux, c’est accepter ce qui vient. Le malheur des hommes est qu’ils poursuivent des chimères en les croyants réelles.
Last but not least, Epictète, a théorisé l’amour de sa destinée. Il considère que ça ne sert à rien de se focaliser sur ce qui ne dépend pas de nous, comme le destin qu’il faut accepter. Il nous reproche de ne pas savoir remarquer la splendeur de la vie quotidienne et s’en réjouir : « Malheureux, ce que tu aperçois chaque jour ne te suffit pas ? Peux-tu voir quelque chose de meilleur ou de plus grand que le soleil, la lune, les astres, la totalité de la terre, la mer » ? Mais peu connaissent Epictète et encore moins ceux qui apprécient et se réjouissent de ce que notre merveilleuse planète peut offrir. Au contraire, les humains cherchent consciemment et inconsciemment à la détruire.
Un film intéressant qui nous incite à réfléchir un peu sur notre existence, le racisme, l’identité, le plaisir physique et spirituel, l’incompréhension entre générations et entre nations, mais sans vraiment approfondir ses sujets.
Norma Marcos
Yamabuki, un film de Juichiro Yamasaki avec Kang Yoon-Soo, Inori Kilala, Kawase Yohta, Wada Misa, Miura Masaki, Kurozumi Hisao, Matsuura Yuya, Aoki Munetaka… Scenario : Juichiro Yamasaki. Image : Kenta Tawara. Son : Masami Samukawa. Montage : Juichiro Yamasaki. Consultant montage : Yann Dedet et Minori Akimoto. Musique : Olivier Deparis. Producteurs : Terutarô Osanaï, Shoko Akamatsu, Atsuto Watanabe, Takeshi Masago et Juichiro Yamasaki. Production : Film Union Maniwa – Survivance. Distribution (France) : Survivance (Sortie le 2 août 2023). Japon – France. 2022. 97 minutes. Tourné en 16 mm. Format image : 1,5 :1. DCP. ACID Cannes 2022 – IFF Rotterdam 2022. Tous Publics.