Je suis reconnaissant à James Mangold de m’avoir permis de dîner avec la sublime Debbie Harry, un soir de mai au restaurant La Mère Besson. Elle avait fait le déplacement à Cannes pour présenter le premier film de Mangold : Heavy en 1995. Le film est remarqué et nombreux critiques retiennent son nom dans la colonne des auteurs à suivre. Confirmation avec son second film, Copland (Cop Land, 1997), un polar au casting Scorsesien : Harvey Keitel, Ray Liotta, Robert de Niro, Cathy Moriarty et… Sylvester Stallone (et Debbie Harry). Cette réussite l’installe gentiment dans le paysage cinéphile. Quelques films et bien des années après, James Mangold revient à Cannes avec Indiana Jones et le cadran de la destinée (mais sans Debbie Harry).
Finalement, James Mangold a suivi l’itinéraire classique, du film d’auteur à la grosse production. La mise en scène de James Mangold, à quelque chose d’un peu suranné, en ce sens, nous sommes loin de la modernité de Scorsese ou du brio des frères Coen. Dans le système ultra-compétitif hollywoodien, James Mangold a toutefois un atout de premier ordre dans la manche, il sait diriger les acteurs. Il n’est donc pas surprenant qu’Angelina Jolie pour Une vie volée (Girl, Interrupted, 1999) et Reese Witherspoon pour Walk the Line (2005) remportent l’Oscar de la meilleure actrice.
Petit à petit, son cinéma s’éloigne des rives du film d’auteur avec des sujets adultes pour celui d’un cinéma purement commercial visant les adolescents suivant en cela l’industrie. Tom Cruise le valide pour Night and Day (Knight and Day, 2010) et Mangold se retrouve à la tête de deux films Marvel à la 20th Century Fox : Wolverine : Le combat de l’immortel (The Wolverine, 2013) et Logan (2017) déclinaison des X-Men. On le croyait un peu perdu en route quand Le Mans ’66 (Ford v Ferrari, 2019) avec Matt Damon et Christian Bale crée la surprise au box-office et nous rappelle à son beau souvenir.
Les aventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost Ark, 1981) est aujourd’hui un classique du film d’aventures. Son énorme succès entraîne la mise en production de : Indiana Jones et le temple maudits et La dernière croisade où Indiana Jones partage l’aventure avec son père (Sean Connery). Il faudra attendre 2008 pour avoir un quatrième opus : Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. Entretemps, George Lucas, aura mis sur pieds une série TV : Les aventures du Jeune Indiana Jones (The Young Indiana Jones Chronicles, 1992-1993), et quelques adaptations en jeux vidéo.
Indiana Jones est né un peu avant La Guerre des étoiles du désir de George Lucas et de Philip Kaufman de réaliser un film d’aventure en hommage aux serials des années 30/40. Le projet s’arrête lorsque Philip Kaufman part sur Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales, 1976) avant d’être débarqué par Clint Eastwood et George Lucas sur La Guerre des étoiles. Des années plus tard, durant une conversation entre George Lucas et Steven Spielberg, le réalisateur des Dents de la mer (Jaws, 1975), déplore de ne pas avoir pu convaincre Albert Broccoli de réaliser un James Bond (il aurait demandé un salaire et un pourcentage astronomique). Un rêve d’enfance. Lucas en profite pour ressortir de ses cartons Les Aventuriers de l’arche perdue, une sorte de James Bond de l’archéologie. Spielberg accepte. Dans ce premier opus d’Indiana Jones, on trouve, d’ailleurs, une référence directe à L’espion qui m’aimait (The Spy Who Loved Me, 1977) avec la séquence du sous-marin. Et puis, hommage suprême à 007, le père d’Indiana Jones est incarné par Sean Connery dans La dernière croisade.
L’inventivité et le dynamisme des Indiana Jones, injecté par Spielber, emportent l’adhésion des spectateurs. Spielberg capte l’esprit des films d’aventures des temps héroïques, avec leur lot de violence et d’horreur. Il s’entoure de techniciens de premier ordre, en premier lieu par le vétéran Douglas Slocombe, grand directeur de la photographie anglais, à qui l’on doit quelques-unes des plus grandes comédies anglaises, Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets, 1949) de Robert Hamer, L’homme au complet blanc (The man in the White Suit, 1951), mais aussi Freud, passions secrètes (1962) de John Huston, The Servant (1963) de Joseph Losey, Le bal des Vampires (Dance of the Vampire / The Fearless Vampire Killers, 1967) de Roman Polanski, Le lion en hiver (The Lion in Winter, 1968) d’Anthony Harvey, L’or se barre (The Italian Job, 1969) de Peter Collinson, Music Lovers (1971) de Ken Russell, Gatsby le magnifique (The Great Gatsby, 1974) de Jack Clayton, Rollerball (1975)de Norman Jewison, etc. Sa photographie sur les trois premiers films est remarquable. Douglas Slocombe a 76 ans met fin à sa carrière avec Indiana Jones et la dernière croisade Douglas Slocombe est décédé en 2016. Janusz Kaminski, directeur de la photographie attitré de Spielberg depuis La Liste de Schindler (1993) prend sa succession et signe le quatrième volet Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull, 2018).
Le 30 octobre 2012, George Lucas cédé sa société Lucasfilm LTD à la Walt Disney Company pour la modique somme de quatre milliards de dollars. Mickey met la main sur Star Wars et Indiana Jones et achète à la Paramount les droits sur toute nouvelle production cinématographique d’Indiana Jones. Toutefois, Paramount possède les droits de distribution sur les quatre premiers films et garde une participation financière dans les films suivants. Ce qui explique pourquoi la Paramount est créditée au même titre que Disney sur cette nouvelle aventure. Steven Spielberg longtemps et légitimement attaché au film se retire et reste crédité au générique comme producteur exécutif tout comme George Lucas.
Exit Spielberg. Harrison Ford a apprécié le travail avec James Mangold comme producteur sur L’Appel de la forêt (The Call of the Wild, 2020), le propose comme réalisateur. James Mangold entre en jeu. Le scénario fonctionne comme un best of de la série tout en respectant l’esprit. Il est de la plume de David Koepp (scénariste du précédent film et scénariste de plusieurs Spielberg) et des frères Jez et John-Henry Butterworth (Le Mans ’66). L’action débute en pleine Seconde Guerre mondiale, le scientifique nazi Voller (Mads Mikkelsen) a mis la main sur l’unique moitié du mécanisme de la machine d’Anticythère. Dans le même train, Indiana Jones est à la recherche de la lance de Longinus, du nom du légionnaire qui a percé le flanc du Christ. Il retrouve dans un wagon, Basil Shaw, son collègue, torturé par des nazis. L’action est soutenue jusqu’à un saut dans le temps et nous nous retrouvons en 1969. Le professeur Indiana Jones est un vieil homme en instance de divorce. L’atterrissage de la capsule d’Apollo 11 sur la Lune, ne l’intéressée pas. Il prépare sa retraite, le jour du défilé des astronautes puis à New York, il a la visite de la fille de Basil, sa filleule Helena (Phoebe Waller-Bridge). Elle est à la recherche de la machine d’Anticythère…
Le scénario est plus intéressant que celui du Royaume du crâne de cristal, souffre de la grande maladie des blockbusters actuels : un excès de VFX et une longueur excessive. Le cadran de la destinée est le plus long des Indiana Jones. Si le rajeunissement d’Harrison Ford est ahurissant, la surenchère finie par créer un sentiment de lassitude. Ajoutons une esthétique assez moche. Nous sommes loin de la finesse de Douglas Slocombe. Les ouvertures par fenêtres sont cramées, les rares fois où l’on aperçoit le ciel, il est à peine bleu. Quant aux raccords lumières, ils sont pour le moins approximatifs. Les scènes d’action au-delà de l’impression de déjà-vu semblent être calibrées pour un parc d’attractions.
Indiana Jones et le cadran de la destinée tient avant tout sur le corps d’Harrison Ford, son âge, sa fatigue, le poids des ans. De rares moments de vérité passent dans quelques scènes. Le scénario évacue son fils, Henry « Mutt » William (Shia LaBeouf), qui est déclaré mort à la guerre, on suppose à la vue de l’époque, qu’il s’agit du Vietnam. Indiana Jones est accolé à Helena, personnage féminin oscillant difficilement entre une figure des années 30, du pré-code, et une « héroïne » du cinéma post metoo. La greffe ne prend pas. Helena est rapidement insupportable et désagréable, la motivation nous échappe complètement, l’argent, la renommée, la gloire, finalement qu’importe. Phoebe Waller-Bridge n’arrive jamais à donner la moindre consistance à Helena, elle joue en accentuant tous ses effets comme dans une série comique TV. Elle exerce la même fascination qu’une planche à repasser en solde.
James Mangold fait le boulot, sa mise en scène est conforme aux critères des blockbusters du XXIe siècle, la surenchère sans surprise, sans inventivité, sans charme ni fantaisie. La routine. Un simple produit de plus.
Fernand Garcia
Indiana Jones et le cadran de la destinée (Indiana Jones and the Dial of Destiny) un film de James Mangold avec Harrison Ford, Phoebe Waller-Bridge, Mads Mikkelsen, Thomas Kretschmann, Antonio Banderas, Karen Allen, John Rhys-Davies, Shaunette Renée Wilson, Toby Jones, Ethann Isidore… Scénario : Jez Butterworth, John-Henry Butterworth, David Koepp et James Mangold d’après les personnages crées par George Lucas et Philip Kaufman. Image : Phedon Papamichael. Décors : Adam Stockhausen. Costumes : Joanna Johnston. Montage : Andrew Buckland, Michael McCusker et Dirk Westervelt. Musique : John Williams. Producteurs exécutifs : George Lucas & Steven Spielberg. Producteurs : Kathleen Kenndey, Frank Marshall et Simon Emanuel. Production : Walt Disney Pictures – Lucasfilm Ltd en association avec Paramount Pictures. Distribution (France) : Disney (sortie le 5 juillet 2023). Etats-Unis. 2023. 154 minutes. Couleur. Arri (4.5K) Format image : 2,39 :1. DCP. Dolby Atmos. Dolby Surround 7.1. Tous Publics. Sélection officielle, Hors compétition – Festival de Cannes, 2023.