« Mes Chers Compatriotes, l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Nous sommes en guerre » lance Emmanuel Macron, président de la République, lors de son allocution plongeant la population dans le confinement. 16 mars 2020, une période hallucinante, anxiogène, où chacun doit vivre dans l’isolement et se soumettre à la vaccination. Se soumettre à tout. Enfermés chez soi, surmonter la solitude en s’auto-autorisant à sortir une heure par jour pour une promenade autour de son domicile. Le génie humain est dans cette manière de surmonter l’adversité par l’imagination et la poésie, c’est-à-dire, ce qui, aujourd’hui encore, échappe au contrôle. Arnaud encaisse, comme tous les Français, les dispositions liées au confinement.
Contrairement à bien des bobos qui fuient la capitale, Arnaud reste à Paris dans son deux-pièces de Saint-Germain-des-Prés. Arnaud est réalisateur, et c’est le plus naturellement du monde qu’il prend la caméra. Arnaud à 55 ans, « 12 rayures sur le front et plein d’autres rayures autour des yeux » pour reprendre les mots de sa fille Cloé. Il a l’âge où les souvenirs remontent par bribe : sa jeunesse en aller, ses parents, ses amis, ses études, les Verts, fantômes d’un autre siècle, mais aussi, la douleur, la mort d’un père. Arnaud se livre en voix off, sans le moindre apitoiement, il ne raconte pas la pandémie, mais la vie ordinaire, son quotidien sous la forme d’un journal intime. Au fil des jours, un film prend forme et la fiction s’invite dans son narratif. De cet entrelacement, naît un film particulièrement humain.
Séparé de sa femme, Isabelle (Romane Bohringer), Arnaud a la garde de ses enfants, Cléo, 6 ans, et Melvil, 3 ans, un jour sur deux. Arnaud rencontre, par les hasards de la vie, Marianne (Marianne Denicourt), pharmacienne dans son quartier. Entre les deux, s’élabore un « nouveau discours amoureux ». Et petit à petit, moment après moment, des liens se créent, l’amour ce profil comme une promesse d’avenir. Le film se rêve comme une réplique de Jacques Prévert : « Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour » (Les enfants du Paradis), trop petit et vide de ses habitants, mais non dévitalisé. Quelques pas de danse un soir, sur les paroles d’une chanson (de Vincent Delerm), et le quotidien d’Arnaud et Marianne bascule.
Cléo, Melvil et moi est un film historique de l’intime, un témoignage sur un temps où le monde s’était arrêté pendant 55 jours. Etrange parenthèse, « Je ne voyais pas les choses comme ça », alors de quoi se souviendra-t-on ? Certainement de ses instants où l’on a redécouvert son quartier, ses rues, ses trottoirs, ses bâtiments, ses instants furtifs, un corbeau au milieu de la chaussée, et puis le silence de la ville. Re-voir simplement ce qui était devenu invisible. Nous sommes à des années-lumière du discours du président. La couleur ne s’est pas échappée du monde confiné que filme Arnaud Viard, simplement le noir et blanc révèle la beauté des gens et de la ville, comme dans Manhattan (1979) de Woody Allen. La joie, la fantaisie, l’amour, les enfants, ses dizaines de fragments de souvenirs et d’images qui composent la vie donnent au film un formidable et nécessaire sentiment de liberté.
Arnaud Viard, cinéaste rare, quatre films en près de 20 ans, signe avec Cléo, Melvil et moi son film le plus touchant et le plus universel. Cléo, Melvil et moi est un vrai moment de grâce.
Fernand Garcia
Cléo, Melvil et moi, un film de et avec Arnaud Viard et Marianne Denicourt, Romane Bohringer, Cloé Viard Garcin, Melvil Viard Garcin… Scénario : Arnaud Viard. Image : Martin Roux. Son : Emmanuel Bonnat. Montage : Camille Guyot. Montage son : Agnès Ravez. Mixeur : Alexandre Widmer. Musique : Philippe Jakko, Jean Marc Fyot et Alex Shelter. Chanson originale : Vincent Delerm. Coordinatrice de production : Amélie Melkonian. Directeur de production : Denys Fleutot. Coproducteur : Marc Simoncini. Producteur : Isaac Sharry. Production : Vito Films – Reborn Production. Distribution (France) : Moonlight Films Distribution (Sortie le 5 juillet 2023). France. 2022. 75 minutes. Noir et blanc. Format image : 1.85 :1. Son : 5.1. Tous Publics.