Kelly Reichardt, 58 ans et huit longs métrages à son actif. Elle a reçu un Léopard d’Honneur sur la Piazza Grande des mains de son ami Todd Haynes au Festival de Locarno, ainsi que le Carrosse d’or, un prix d’honneur décerné par les membres de la Société des Réalisateurs de films à la Quinzaine des Réalisateurs.
Dans sa nouvelle « comédie-dramatique » Showing Up, elle met en lumière le côté moins glamour du monde de l’art, des artistes qui doivent adapter leur travail artistique à la banalité de leur quotidien et dont la renommée et la fortune ne sont qu’un rêve. C’est un constat et non une réflexion sur les affres de la création artistique. La cinéaste est connue pour raconter des histoires sur les marginalisés et les solitaires.
Showing Up a été sélectionné au Festival du film de New York, au Festival international du film de La Roche-sur-Yon, au Festival international du film de Vienne, au Festival du film de Morelia et en compétition officielle à Cannes 2022. C’est le premier film de la réalisatrice en compétition à Cannes où il reçut un accueil public poli sans plus. On se demande ce qu’il faisait dans cette sélection cannoise ? Selon Thierry Frémaux « c’est un film de la décroissance » ! Que signifie un film de décroissance ? Frémaux n’a pas sélectionné le film de la cinéaste Certaines Femmes en 2016. Mais comme il ne pouvait plus ignorer Reichardt devenue « célèbre » en Europe parmi les réalisateurs du cinéma indépendant américain, alors tout intellectualiser est une porte de sortie pour le délégué général de Cannes puisque c’est dans les traditions françaises.
Les films du cinéaste Kelly Reichardt née en Floride ont un flair anti-hollywoodien : ses personnages solitaires veulent soit aller en Alaska, se retirer dans la forêt, vivre dans une cabane ou traverser le désert de l’Oregon…
Showing Up était très attendu dans la suite de son film First Cow, qui a reçu le dernier Grand Prix UCC à Berlin, un succès public modeste en France mais récompensé sans surprise des dix meilleurs films des Cahiers du cinéma, le Prix du Jury à Deauville, Prix du Florida film critics, et prix du New York et Philadelphia film critics…
Le titre du film Showing Up fait référence au fait qu’être artiste prend toute votre énergie et est souvent un travail sans plaisir. Tout ce qu’il faut, c’est « Showing Up » (se montrer). Reichardt avait déjà fait des films minimaux comme Old Joy où l’on suivait deux amis dans leurs pérégrinations en forêt. On a l’impression dans son dernier film que l’art ne vaut pas la peine d’être fait tant on est confronté pendant 108 minutes à une banalité sans aucun signe d’espoir. L’existence banale de l’être humain, à savoir l’existence ici de l’artiste, nous intéresse-t-elle dans un film ?
Pas vraiment, car tout ce que nous faisons est futile face à la mort. Mais faut-il quand même prendre la peine de faire quelque chose ? Oui, parce qu’une vie mondaine vaut la peine d’être vécue mais pas montrée telle qu’elle est exprimée dans ce film. Selon le philosophe grec Socrate, même si la vie est banale, même si elle n’est pas comme un film ou un fantasme, nous avons toujours l’obligation morale de trouver l’excellence dans les actes que nous faisons. Nous avons le devoir envers le monde et envers nous-mêmes de faire ressortir le meilleur de nous-mêmes, toujours et pour toujours même si la mosaïque de nos vies est façonnée par les actes répétitifs banals et dénués de sens. Les stoïciens croyaient comme Socrate à l’importance de la vertu comme sens de la vie.
Showing Up est le quatrième film de l’actrice Michelle Williams avec Reichardt, après Wendy & Lucy, sélectionné en 2008 à Un Certain Regard, Meek’s Cutoff (2010) sélectionné à Venise, le triptyque elliptique Certain Women (2016), un film de type art-house adressé probablement uniquement aux fans d’actrices telles que Williams, Gladstone et Stewart et First Cow (2019). Michelle Williams est la muse de Reichardt et dans ce dernier film, elle est l’artiste locale de Portland, la ville d’adoption du cinéaste.
Il est écrit avec son co-auteur de longue date l’auteur de l’Oregon Jonathan Raymond. Il se concentre sur quelques jours dans la vie d’une artiste en difficulté nommée Lizzie dont le travail est créé spécialement pour le film par la céramiste Cynthia Lahti. Comme dans presque tous les films de Reichardt, l’histoire est située en Oregon, sur la côte ouest des USA.
Showing up n’est pas un récit mais plutôt un film d’ambiance anecdotique : Lizzie a un vernissage pour son exposition qui approche, alors qu’elle doit faire face à un frère alcoolique et bipolaire, des parents non conformistes, une panne d’eau chaude, un chat qui a faim et l’irruption d’un pigeon blessé sauvé par sa voisine…
Ses sculptures de femmes en mouvement sont sans inspiration. Elle incarne un céramiste et sculpteur volontairement blasé, déprimé et anxieux tout le temps. Peut-être à cause de sa nouvelle exposition, mais Lizzie ne fait rien pour la mettre en valeur. Elle ne contacte personne, ni agent artistique, ni sa famille (à part son frère), ni son voisin, ni ses amis, si elle en a. Lizzie est censée être talentueuse, mais personne ne critique son travail ni au cours du film, ni vers la fin à son exposition. On a l’impression que la cinéaste filme dans son propre jardin et se promène dans son quartier : sur le campus, au bureau, au studio chez Lizzie en essayant d’exister dans ces espaces avec le même casting de personnages.
Lizzie est aux prises avec des problèmes personnels : sa voisine, collègue, logeuse et artiste rivale, n’arrive pas à réparer l’eau chaude de son appartement qui ne fonctionne plus depuis des semaines car elle est trop occupée et les pièces sont soi-disant en rupture de stock. Jo est occupée par deux expositions d’art à venir. Elle est une artiste qui « réussie » mieux que Lizzie. Elle produit plus de travail et a une plus grande réputation. Elle, contrairement à Lizzie, n’a pas besoin de travailler à côté. Sa famille l’a aidé à rénover la rangée de condos qu’elle possède maintenant, ce qui lui a permis de gagner un revenu tout en se concentrant sur son art. Lizzie semble n’avoir jamais atteint la renommée ou le succès mais elle imprime des flyers (dépliants) d’artistes qui commencent à gagner le respect.
Les personnages du film sont essentiellement : son père, (Judd Hirsch), un artiste excentrique, qui semble avoir d’étranges invités du Canada et sa mère (Maryann Plunkett), une divorcée et administratrice du centre des arts communautaires où travaille sa fille Lizzie, et où des cours de « respiration » sont donnés pour stimuler la créativité sans que personne ne sache jamais qui y étudie ou y donne des cours. Puis, son frère, (John Magaro) qui a lui aussi des « penchants artistiques », creuse un énorme trou dans son jardin sans que personne ne sache pourquoi, sauf peut-être à cause de sa bipolarité ? Chaque personnage semble évoluer dans un univers clos, hermétique à ce qui l’entoure avec des allures de comédie névrosée new-yorkaise. On se demande alors comment l’amitié peut naître dans un tel environnement ? Peut-être qu’on ne devrait pas prendre toutes ces informations au premier degré ?
Certes, la réalisatrice ne porte pas de jugement sur ses personnages, mais certains d’entre nous le font : ses protagonistes peuvent tous être intéressants mais au contraire ils sont profondément ennuyeux. Même les animaux de ce film ne nous émeuvent pas et ne sont qu’une décoration inutile avec de gros plans de son chat, le pigeon blessé, les chiens dans leurs innombrables siestes…
Mais la chose la plus intrigante est que nous ne voyons pas le point de vue de l’artiste alors qu’elle crée de l’art pour s’exprimer. C’est un drame même pas farfelu sans aucune ironie. On aimerait que ce soit une satire aux sketches sarcastiques et ironiques comme le film absurde The Square du réalisateur suédois Ruben Östlund qui raconte la vie d’un conservateur d’un musée d’art à Stockholm et qui a remporté la Palme d’or en 2017. Une satire assurément mais abstrait à plusieurs niveaux sur des sujets sociologiques racontés de manière surréaliste.
Lorsque le chat de Lizzie attaque un pigeon, elle se sent obligée au lieu de travailler son art de s’occuper du pigeon blessé qu’elle avait volontairement jeté la veille dehors lorsqu’il s’est blessé. Son propriétaire Jo le trouve dans la rue et lui demande de l’emmener chez le vétérinaire qui lui facture 150 dollars. Le pigeon lui-même représente peut-être une signification métaphorique à cet égard. Mais on a du mal à imaginer quelle métaphore ? Peut être son envol vers la fin du film est un symbole d’une libération tant artistique que physique pour les protagonistes ? Mais c’est un peu tiré par les cheveux, voire simpliste.
Le scénario qui ne s’y plonge jamais assez pour faire sortir les téléspectateurs du néant, dérive autour de cette communauté artistique de Portland sans but et sans rien d’intéressant ou de créatif à offrir au monde. Ce film donne-t-il vraiment le « look » décadent de la période actuelle ? On se demande comment on peut réussir un film sur une ou deux idées ? La photographie est filmée dans une pellicule granuleuse aux couleurs douces et délavées. Le directeur de la photographie Christopher Blauvelt s’attarde en gros plan sur les visages des sculptures réalisées par Lizzie qui se composent de petites figures de femmes dans des poses diverses, faites d’argiles, donc de terre et d’eau. Elles sont par la suite chauffées pour se solidifier et puis peint en émaux colorés dans un style qui fait peut-être écho au fauvisme : un mouvement artistique qui est né en France au début du XXe siècle et qui a fêté son centenaire en 2005, marqué par une exposition uniquement pour Matisse-Derain au Musée d’art moderne de Céret. Les artistes de ce mouvement prônent l’utilisation de la couleur, et non du dessin comme il est d’usage dans l’art officiel. Il est caractérisé par ses couleurs vives, son coup de pinceau texturé et ses représentations non naturalistes.
Tout ce que nous voyons dans ce film, c’est un plan où l’artiste qui rend la création finale avec un examen de caractère statique du comportement. On peut comprendre pourquoi la cinéaste a pris cette décision car regarder quelqu’un peindre, sculpter, écrire, filmer même est ennuyeux. Mais même cette séquence nous endort. Les films en général consistent à montrer des personnages confrontés à l’adversité et à la surmonter. Ils sont soit basés sur l’intrigue, soit sur les personnages. Dans Showing up il n’y a ni intrigue ni personnages auxquels on puisse s’attacher.
A lire les revues de film sur l’une des cinéastes les plus « célébrées » depuis une quinzaine d’années par la critique on a l’impression d’aller voir un chef-d’œuvre inédit sur les artistes.
Bien que ses films aient ravi les festivals concurrents de Cannes ou la critique, le public, à part First Cow qui a fait 105 803 entrées en France a rarement sollicité le cinéma de Kelly Reichardt, qui a débuté sa carrière en 1994 avec River of Grass, que l’on ne découvrira à Paris qu’en 2019.
L’ensemble de Showing up a quelque charme et humour mais, comme pour presque tous les films de Reichardt, on n’est pas très enthousiaste. Il demande une grande patience au spectateur, car ce long et lent voyage auquel il nous convie prend parfois des allures d’interminable nuit d’insomnie.
Le film manque de constater que de nombreux artistes sont mis en place pour échouer dès le départ avec une considération extrêmement déformée pour leurs propres talents et valeur. Mais s’il y a jamais eu un mythe qui vaut la peine d’être jeté hors de l’eau, c’est bien celui-là. L’art ne se vend pas ! Vous ne pouvez pas survivre uniquement grâce au talent. Au lieu de ventes, vous obtiendrez peut-être des éloges, et cela s’épuise lorsque personne n’achète quoi que ce soit.
Certes, Reichardt appartient en son honneur au cinéma indépendant américain et est une cinéaste politiquement très engagée, mais de là à dire et toujours selon certains médias que Showing up fait exploser le « talent » fou de Kelly Reichardt car elle a condensé en peu d’espace et temps les tourments et les ressources d’un personnage le rendant infiniment proche de nous, au-delà de sa singularité, ou de sa bizarrerie, laisse perplexe. Pire encore, d’autres journaux le décrivent comme un regard captivant et hilarant sur le monde de l’artiste mettant au premier plan l’humanité et offrant un récit affectif sur la création artistique en présence d’une existence banale et inhospitalière ou aucun résumé des meilleurs films de l’année ne sera complet sans Showing Up.
Pourtant, ce film nous submerge d’angoisse, nous prive de beauté et même d’amour tout court ou d’amour absolu. Platon disait dans son œuvre le Banquet et Phèdre : « la vraie voie de l’amour est de partir des beautés sensibles et de s’élever sans cesse vers cette beauté surnaturelle, en passant par échelons d’un beau corps à deux, de deux à tous, puis de beaux corps aux belles actions, puis de belles actions aux belles sciences, pour en finir avec cette science qui n’est rien d’autre que la science de la beauté absolue ».
Pour être juste : on a l’impression que ce n’est qu’à la dernière séquence où Lizzie quitte son exposition avec sa voisine Jo après que le pigeon a pris son envol que l’amitié et l’amour comptent un peu dans ce film.
Peut-être que le film voulait nous faire nous évader de nous-mêmes ? Hélas même pas ça ! Des philosophes mystiques de l’Asie ou même le philosophe allemand Heidegger reconnaissent qu’il s’agit d’une manière d’être et d’exister qui peut susciter l’angoisse. Mais ce que la « réalité humaine » veut, c’est précisément s’échapper d’elle-même, s’oublier, cacher son être véritable. Cette dissimulation porte un nom : Inauthenticité. Être inauthentique, c’est précisément esquiver ce que nous sommes.
Norma Marcos
Showing Up, un film de Kelly Reichardt avec Michelle Williams, Hong Chau, John Magaro, André Benjamin, Judd Hirsch, Lauren Lakis, Denzel Rodriguez, Jean-Luc Boucherot, Ted Rooney… Scénario : Jonathan Raymond et Kelly Reichardt. Image : Christopher Blauvelt. Direction artistique : Anthony Gasparro. Décors : Lisa Ward. Costumes : April Napier. Montage : Kelly Reichardt. Musique : Ethan Rose. Production : Neil Kopp, Vincent Savino et Anish Savjani. Production : FilmScience – A24. Distribution (France) : Diaphana Distribution (Sortie le 3 mai 2023). Etats-Unis. 2022. 108 minutes. Couleur. Format image : 1,77 :1. Son : 5.1. DCP. Tous Publics. Sélection officielle, en compétition, Festival de Cannes, 2022.