Une diligence, sous escorte militaire, fonce à travers l’Arizona. Dans le compartiment, quatre passagers et une caisse d’or. L’équipage fait escale à la station de Rodger. Jennifer Ballard (Donna Reed) y retrouve son amoureux et futur mari, Ben (Rock Hudson) après une longue séparation dû à la guerre de Sécession. Durant le voyage Jennifer a fait la connaissance de deux autres sudistes. Elle ignore qu’il s’agit de deux hors-la-loi : Frank Slayton (Phil Carey) et Jess Burger (Leo Gordon). La relève yankee arrive et la diligence reprend son chemin. Tout ce beau monde se retrouve dans la diligence, mais en chemin, ils sont attaqués par des bandits…
Il est toujours instructif de jeter un œil sur les œuvres dits mineurs des grands cinéastes. Bataille sans merci, fait partie des « petit » western au regard des « monuments » signé par Raoul Walsh que sont : La Charge fantastique (They Died with Their Boots On, 1941), La rivière d’argent (Silver River, 1948), La fille du désert (Colorado Territory, 1949), La vallée de la peur (Pursued, 1949), Les Implacables (The Tall Men, 1955) Les aventures du Capitaine Wyatt (Distant Drums, 1951), La charge de la huitième brigade (A Distant Trumpet, 1964),…
De manière plus directe ce « petit » western est révélateur d’une partie des « obsessions » de Raoul Walsh. A l’origine Bataille sans merci est un simple western réalisé lors de la première grande vague du cinéma en relief des années 50. Le film est un défi pour Walsh, mais en pionnier du cinéma, il est ouvert aux expérimentations, n’oublions pas que vingt ans auparavant, il réalisait le premier western en 70 mm, La piste des géants (The Big Trail) avec John Wayne. La version plate de Bataille sans merci, tient la route, mais les axe de prises de vue et le cadre donnent une idée des effets 3D que Walsh avait prévus. Bataille sans merci est tourné par Raoul Walsh pour le compte de la Columbia entre A Lion Is In the Streets pour Warner Bros et La Brigade héroïque (Saskatchewan) pour Universal.
Revenons aux « obsessions » de Walsh. Le film dégage une forte charge érotique et l’intérêt que porte Raoul Walsh à son méchant, un ex-militaire sudiste, détache ce western du tout-venant. Frank Slayton a perdu la guerre, mais refuse de se conforter à la nouvelle donne. Il poursuit un rêve morbide, reconstruire un Sud ailleurs, de l’autre côté de la frontière. Tous les moyens sont bons pour la concrétisation de sa folie. Slayton entraîne avec lui, Jeff Burger et un groupe de renégats. Dans la diligence, Frank Slayton tombe sous le charme de Jennifer, comme lui, une enfant du Sud.
Jennifer doit épouser Ben et devenir agricultrice. Le gâchis intégral pour Frank. Comment une femme si cultivée et distinguée a-t-elle pu s’éprendre de Ben, qui après avoir connu les atrocités des champs de bataille, est devenu pacifiste. Ben est aux yeux de Frank : une loque. Jennifer devient plus importante que le coffre d’or pour Frank. Tout cela est sans compter sur Jess, qui refuse catégoriquement que Frank emporte Jennifer dans leur rêve fou d’une reconstruction d’un Sud mythologique. Les rapports entre les deux hommes sont ambigus. Ils partagent la même chambre d’hôtel. Jess, est-il amoureux de Frank ? Furent-ils amants ? Le film traîne une atmosphère à la sexualité trouble.
Après l’attaque de la diligence et le kidnapping de Jennifer, un des bandits demande à porter sa robe, tandis que d’autres l’envisagent comme faisant partie du butin. Mais Jennifer est la « propriété » de Frank, amour à sens unique. Frank tente de la violer, une première fois. Jennifer lui résiste. Jess, qui s’est rebellé, est abandonné par Frank, ligoté (très bondage) à un poteau. Leur relation d’amour haine est à la limite d’une relation sadomasochisme.
Frank finit par avoir gain de cause, dans un fondu très évocateur où il bloque Jennifer contre une porte. A partir de cet instant, Jennifer ne représente plus rien pour lui. Ce désintérêt est assez étrange, Jennifer ne correspond plus à l’idée que Frank se faisait d’elle ? Elle n’était peut-être pas vierge ? Zone d’ombre qui nourrit l’imagination du spectateur. Slayton se désintéresse de Jennifer, mais en pervers narcissique, il l’utilise comme élément déclencheur de la violence entre les hommes. L’or et l’honneur bafoué reprenant le pas sur la femme.
Les grands thèmes de Walsh se retrouvent dans le déroulement de Bataille sans merci, la guerre, l’héroïsme, le machisme, les femmes, les grands espaces avec toujours cette idée qu’aucun retour en arrière n’est jamais possible. On avance. Raoul Walsh filme admirablement cette tragédie réduite à une poignée de personnages. Il s’attache à Donna Reed, dont la beauté est le moteur du film. Elle est au centre de toutes les attentions, des désirs les plus sauvages. La manche déchirée de Jennifer est un puissant raccourci érotique. Une autre femme apparaît dans le dispositif du film.
Stella (Roberta Haynes) est l’autre femme de Frank, amoureuse possessive, elle s’oppose à Jennifer. La jalousie est un moteur destructeur. Jennifer, humiliée, suit un chemin (à la Sade) inimaginable pour elle. Jennifer s’imaginait fermière avec son Ben en Californie, se retrouve dans un bordel à la lisière de la frontière avec le Mexique. Jennifer, lavée par des prostituées, se retrouve l’espace d’un instant dans une position d’infériorité, mais rapidement, ses manières de bourgeoise donneuse d’ordre reprennent le dessus. Ainsi, dans un bordel des plus glauques, entre Jennifer et les autres femmes se reforme un clivage de classe. Quelle que soit la situation, dans le cinéma de Raoul Walsh, la ligne entre le bien et le mal s’estompe et les interactions entre les personnages prennent des tournures étonnantes.
Le rythme de Bataille sans merci est soutenu, le film s’apparente à une course-poursuite. Frank entraîne Jennifer et sa bande dans un voyage sans issue avec à ses trousses, Ben (le mari de Jennifer), Jess (son ex-partenaire), un Indien (par vengeance, sa famille a été massacrée sur ses ordres) puis le trio est rejoint par Stella (l’ex-amante délaissée). Tous ont une dent contre Frank. Des gens qui n’auraient jamais dû être partenaire se retrouvent à la poursuite d’un même but, mettre hors circuit Frank. Raoul Walsh met en scène un combat final dans des paysages grandioses comme les sentiments exacerbés des uns et des autres et arides comme la violence qu’ils portent en eux. Combat au cours duquel Ben, le pacifiste, ne tue personne, laissant cette sinistre tâche à ses compagnons.
Bataille sans merci, détonne et laisse ses personnages se reconstruire au-delà du carton de fin. Du grand Walsh.
Fernand Garcia
Bataille sans merci, une édition Sidonis – Calysta dans la magnifique collection Silver – Western de légende (combo et unitaire), le film est aussi disponible dans le tome 2 de l’Anthologie en coffret prestige des Grands Classiques de la collection. En bonus : Les vraies aventures de Raoul Walsh, documentaire sur l’un des « inventeurs » du cinéma d’action, « il est un rouage majeur de l’évolution de ce que l’on a appelé « le septième art » ». « Pour moi, le cinéma, c’est l’action. Mes films vont vite, mes personnages sont solitaires. (.) A Hollywood, on peut s’en sortit en brouillant les pistes. Et ça m’allait très bien. » Raoul Walsh. Extraits, interviews, acteurs, critiques, historiens du cinéma, archives des studios, un documentaire passionnant sur l’un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma américain (95 minutes) Une double présentation de Bataille sans merci. Jean-François Giré le considère comme « un film étrange » avec une analyse sur la dramaturgie et la mise en scène de Raoul Walsh, « un film à redécouvrir » (11 minutes). Patrick Brion, « … en 79 minutes (.) Roy Huggins, le scénariste (.) Walsh, ses techniciens et les acteurs réussissent à tenir ce film qui en même temps est un film d’une grande richesse » (11 minutes). Enfin la Bande-annonce d’époque (2 minutes).
Bataille sans merci (Gun Fury) un film de Raoul Walsh avec Rock Hudson, Donna Reed, Phil Carey, Roberta Haynes, Leo Gordon, Lee Marvin, Neville Brand, Ray Thomas, Robert Herron… Scénario : Ray Huggins et Irving Wallace d’après le roman de Kathleen B. Granger, George Granger et Robert A. Granger. Directeur de la photographie : Lester H. White. Consultant couleur : Francis Cugat. Décors : Ross Bellah. Montage : Jerome Thoms et James Sweeney. Musique : Misha Bakaleinikoff. Poducteur : Lewis J. Rachmil. Production : Columbia Pictures. Etats-Unis. 1953. 82 minutes. Technicolor. 3D. Format image : 1,85 :1. Son : Version Française et Version originale avec ou sans titres français. DTS-HD. Tous Publics.