Présentation et programme
Toute la Mémoire du Monde : Sans la connaissance de notre passé, notre futur n’a aucun avenir. C’est pourquoi le passé est un présent pour demain.
La section Six Œuvres majeures du Maghreb, propose une redécouverte de deux films marocains, de trois films tunisiens et d’un film algérien, Palme d’or 1975, Chronique des années de braise, de Mohammed Lakhdar-Hamina.
Bab’Aziz, Le Prince qui contemplait son âme (Bab’Aziz) de Nacer Khemir – France-Allemagne-Iran-Tunisie-Grande-Bretagne – 2003 – 100 mn – Avec Parviz Shahinkhou, Maryam Hamid, Golshifteh Farahani.
Perdus dans un océan de sable, la petite Ishtar et son grand-père Bab’Aziz, un derviche aveugle, cheminent vers la réunion des derviches qui a lieu tous les trente ans. Mais pour trouver cet endroit secret, il faut « écouter le silence infini du désert avec son cœur ».
« Bab’Aziz, le prince qui contemplait son âme, c’est l’Islam, mais c’est aussi, pour moi, le visage de mon père. J’emploierais volontiers cette parabole : si vous marchez à côté de votre père et qu’il tombe, le visage dans la boue, que faites-vous ? Vous l’aidez à se relever et vous lui essuyez le visage avec votre chemise. Le visage de mon père, c’est l’Islam. J’ai essayé de l’essuyer avec mon film en montrant une culture musulmane tolérante et hospitalière, pleine d’amour et de sagesse, une image qui ne cadre pas avec celle véhiculée par les médias aujourd’hui. Ce film est une humble tentative pour rétablir le vrai visage de l’Islam. Je ne vois pas plus urgent comme thème que celui-là : redonner un visage à des centaines de millions de musulmans qui sont souvent, pour ne pas dire toujours, les premières victimes du terrorisme fondamentaliste. Bien que ce soit un film fondé sur la tradition soufie qui nous remplit de joie et d’amour, c’est aussi un film éminemment politique. Je pense que le cinéma peut aider à une vraie renaissance, pour repartir à la conquête de nous-mêmes, après une colonisation qui n’a cessé de dégrader la culture locale pour mieux l’asservir et la soumettre. Un simple exemple de cette dégradation, rien qu’à travers la langue, parler arabe devient « charabia » pour un français, et les mots « souk » et « bazar » deviennent le désordre extrême alors qu’il n’y a pas plus organisé que les souks de Fès, Tunis ou Damas. » Nacer Khemir.
Restauration par Trigon Film (Suisse). Séance suivie d’une rencontre avec le réalisateur Nacer Khemir.
Les baliseurs du désert (Al-haimoun) de Nacer Khemir – Tunisie-France – 1984 – 95 mn – Avec Hedi Daoud, Sonia Ichti, Nacer Khemir.
À travers la vitre d’un vieil autocar, un jeune instituteur regarde défiler le désert. C’est dans un village perdu de cette mer de sable qu’il a été nommé. Soudain apparaissent des hommes aux gestes empoussiérés : les Baliseurs. Plus loin se dresse le village comme une forteresse. C’est là que le jeune homme vient enseigner, mais il n’y a pas d’école.« Les Baliseurs du désert, c’est le Maghreb. Pour ma génération, c’était notre horizon naturel après les indépendances. Nous allions, enfin, réaliser l’unité nécessaire pour notre survie et la continuité de nos cultures. Mais la géopolitique et nos politiciens véreux ou médiocres, nous ont menés dans une impasse dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui. » Nacer Khemir.
La restauration a été effectuée en 2017 par la Cinémathèque royale de Belgique à partir des négatifs originaux. Le négatif image a été scanné et restauré en 2K. L’étalonnage a été réalisé sous la supervision du réalisateur Nacer Khemir. Restauration son mené par Trigon Film (Suisse) à partir du négatif original son conservé par Cinematek. Séance présentée par le réalisateur Nacer Khemir.
Le collier perdu de la colombe (Tawk al-hamama al-mafkoud) de Nacer Khemir – France-Tunisie-Italie – 1990 – 90 mn – Avec Nadia Chowdhry, Walid Arakji, Nina Esber, Noureddine Kasbaoui.
Dans l’Andalousie musulmane du XIe siècle, le jeune Hassan étudie la poésie à la mosquée de Cordoue et apprend l’art de la calligraphie auprès d’un maître expert en la matière. Studieux en apparence, Hassan se consume en secret à chercher les chapitres manquants d’une œuvre sacrée dont il ne possède qu’un seul fragment.
« Le Collier perdu de la colombe, c’est la langue arabe. Car, comme le dit Cioran : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. » D’ailleurs, la langue arabe s’est forgée dans les joutes des poètes longtemps avant l’Islam. Hölderlin et son commentateur Heidegger disaient que : « Le monde doit être habité poétiquement. » Est-ce pour cela que, dans la poésie arabe, le vers – « beit » – signifie « maison » ? » Nacer Khemir.
Restauration par Trigon Film (Suisse). Séance présentée par le réalisateur Nacer Khemir.
Chronique des années de braise (Ahdat sanawouach el-djamar) de Mohammed Lakhdar-Hamina – Algérie – 1975 – 177 mn – Avec Yorgo Voyagis, Mohammed Lakhdar-Hamina, Larbi Zekkal.
Minutieuse chronique de l’évolution du mouvement national algérien depuis les années 1930 jusqu’au déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954.
Festival de Cannes, 1975, Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar-Hamina reçoit la Palme d’or, une première pour un film africain. Chronique de l’évolution du mouvement national algérien de 1939 jusqu’au déclenchement de la révolution le 1er novembre 1954, le film démontre sans appel que la « guerre d’Algérie » n’est pas un accident de l’histoire, mais le résultat de révoltes et de souffrances ininterrompues. Composé de six chapitres, le film retrace de manière aussi magnifique qu’impitoyable l’histoire politique et guerrière de l’Algérie coloniale. Lakhdar-Hamina recevra sa Palme d’or dans une ambiance houleuse. Des anciens de l’OAS allant jusqu’à menacer de mort le cinéaste et déclencher une série d’alertes à la bombe durant tout le festival. Jamais film n’avait provoqué jusqu’alors un tel scandale politique en France. Sa restauration en 2021 nous rappelle non seulement toute sa grandeur formelle et esthétique, mais aussi sa portée humaniste universelle intemporelle. Grandiose.
Restauration grâce à la George Lucas Family Foundation, The Film Foundation, l’UNESCO et FEPACI. Séance présentée par Gérard Vaugeois et Malik Lakhdar-Hamina.
De Quelques évènements sans signification (Ahdath bidoun dalala) de Mostafa Derkaoui – Maroc – 1974 – 74 mn – Avec Abdellatif Nour, Abbas Fassi-Fihri, Hamid Zoughi.
Une équipe de cinéastes interroge de jeunes Casablancais sur leurs attentes et leur rapport au cinéma marocain.
Assistant à un crime commis par un ouvrier, l’équipe de tournage décide de s’y intéresser. Cette investigation pousse chacun à réfléchir à sa conception du cinéma et au rôle de l’artiste dans la société. Avec De Quelques évènements sans signification, son premier long métrage, Mostafa Derkaoui nous propose une expérience unique empruntant aux esthétiques radicales du documentaire et des nouveaux cinémas post-68. Bien qu’il ait étudié le cinéma à l’IDHEC et à Łódź, Mostafa Derkaoui n’hésite pas ici à critiquer les ambitions même du cinéma en opposant le véritable révolté aux cinéastes qui pensent changer le monde avec leur caméra. Trop subversif, De Quelques évènements sans signification sera interdit avant même sa sortie.
Restauration en 2019 par la Filmoteca de Catalunya et l’Observatoire (Casablanca).
Une porte sur le ciel (Bab al-samah maftouh) de Farida Benlyazid – Maroc – 1989 – 100 mn – Avec Zakia Tahiri, Châaibia Adraoui, Eva Saint-Paul, Ahmed Bouanani.
Revenue à Fès, capitale historique et spirituelle du Maroc, pour le deuil de son père, une jeune Franco-Marocaine y fonde la « zaouia des femmes », à la fois sanctuaire religieux, lieu de pèlerinage et refuge pour femmes en détresse.
Lent et épuré, Une porte sur le ciel nous parle d’une sororité contemporaine et enracinée, Farida Benlyazid recherchant dans le même temps les formes d’un cinéma marocain décolonisé, fidèle aux « sentiments les plus profonds de la vie du peuple ».
Restauration par le Transnational Moroccan Cinema Project – University of Exeter (Royaume-Uni), le Centre du cinéma marocain et Dragon DI (Royaume-Uni). Séance présentée par Dominique Caubet, en présence de Farida Benlyazid et Zakia Tahiri (sous réserve).
Cinq jours durant, dans 8 cinémas (La Cinémathèque française, La Filmothèque du Quartier Latin, Le Méliès, La Fondation Jérôme Seydoux – Pathé, L’Archipel, L’Alcazar, Le Vincennes et Le Reflet Médicis) le festival « Toute la mémoire du monde » propose cette année encore, près d’une centaine de séances de films rares et/ou restaurés présentés par de nombreux invités et répartis en différentes sections pour célébrer le cinéma de patrimoine et fêter en beauté son dixième anniversaire.
Afin de ne rien manquer de cet évènement, rendez-vous à La Cinémathèque française et dans les salles partenaires du festival Toute la Mémoire du Monde du 8 au 12 mars.
Steve Le Nedelec