Gaetano (Stefano Madia), saxophoniste hors pair, est en séance d’enregistrement. Dans la cabine, Cecilia (Blanca Marsillach), sa petite amie, est subjuguée par sa musique. Gaetano la fixe tout en jouant, Cecilia ne peut détacher de son regard du sien. Nicola (Bernard Seray), producteur, homosexuel, est amoureux de Gaetano jaloux du lien qui unit les deux amants. Le morceau enregistré, Cecilia se précipite dans la salle et saute au cou de son bien-aimé. Gaetano, provocateur, n’hésite pas à dégrafer le chemisier de Cecilia, exposant ses seins à la vue de tous. Nicola, vexé, quitte le studio accompagné de son équipe. Gaetano désormais seul avec Cecilia, la pousse dans ses derniers retranchements…
Le miel du Diable offre dès sa première séquence une illustration érotique d’une passion toxique. Un amour brutal, absolu et pervers dont « l’héroïne » Cecilia ne peut se défaire. Elle recherche un amour traditionnel auprès de Gaetano, mais celui-ci est encore dans les jeux érotiques de domination. Il joue de son saxo en collant le pavillon sur la vulve de Cecilia. Les vibrations de l’instrument entraînent Cecilia jusqu’à l’orgasme. Gaetano est un pervers profitant à chaque instant de l’ascendant qu’il a sur sa petite amie.
Cecilia folle d’amour se laisse faire. Elle espère un enfant, il désire prendre du plaisir. Cecilia se perd dans ses contradictions. A la jeunesse et à la fougue du couple Gaetano / Cecilia répond en écho celui de Dr Dominici (Brett Halsey) et de sa femme, Carole (Corinne Cléry). Dominici est un important chirurgien, une autorité dans son métier. Son couple bat de l’aile, il n’ose dire à sa femme qu’il est impuissant. Il cherche auprès de prostituées à rallumer la flamme du désir. Seul, le vernis à ongle rouge de la fille dont elle badigeonne son coulant à la hauteur de son pubis, agit sur le chirurgien. La dépravation dans laquelle il se laisse aller n’est plus assez puissante pour lui redonner de la vigueur. Sa femme, délaissée, supporte mal, ses infidélités. Elle le désire, mais il n’arrive pas à la satisfaire. Il ne lui reste que la masturbation, comme plus tard Cecilia après la disparition de Gaetano.
Dominici est un animal blessé, épuisé, Gaetano un animal dominant. L’image de l’animalité masculine revient à diverses reprises, lors d’une séquence de sodomie de Gaetano sur Cecilia (dans une esthétique qui lorgne du côté du Dernier Tango à Paris). Fulci colle en parallèle de la scène, un berger allemand surexcité à l’extérieur de la maison. Gaetano et Dominici se fondent dans l’esprit de Cecilia dans l’animalité sauvage qu’elle associe au chien.
Les deux histoires vont se télescopent ou plutôt Cecilia et Dominici vont se rencontrer. Lucio Fulci, inverse les rôles, Cecilia se métamorphose en prédatrice dominatrice et Dominici en esclave soumis. Il oriente petit à petit le film vers une relation où plane l’ombre perverse de la mort et surtout la nostalgie de ce qui n’est plus. La fragilité des êtres éclate dans une dernière partie, la sexualité n’est plus assez puissante pour transcender la vie, plus rien ne tient. Cecilia et Dominici, n’ont plus rien à quoi se raccrocher, seuls, livré à eux-mêmes, ils sont au bord du précipice.
Le miel du Diable se situe dans la carrière de Lucio Fulci dans sa dernière période, il s’agit de son dernier titre réellement digne d’intérêt. Depuis son brutal giallo : L’Eventreur de New York (Lo squartatore di New York, 1982), véritable chant du cygne du genre, Lucio Fulci est en perte de vitesse. Il enchaîne les sous-produits, dans le sillage de Conan et Mad Max, sous-financé, ses films n’ont pas les moyens des ambitions de Fulci. Une crise cardiaque suivie d’une hépatite C contractée a la suite d’une transfusion sanguine devenue cirrhose, l’éloigne des studios de misère. Lucio Fulci est mal en point quand le script du Miel du Diable lui est proposé.
Le premier traitement du scénario a été écrit, à la demande du réalisateur, producteur, Vincenzo Salviani, par Ludovica Marineo. Elle s’inspire de l’histoire d’une amie qui avait poursuivi un médecin. La majeure partie de son scénario se déroulait en milieu hospitalier ce qui ne plaisait pas à Salviani, qui envisage de le réaliser. Il le reprend, tout en poursuivant le montage financier de son projet. Son nom n’étant pas porteur pour une coproduction, il décide d’en proposer la réalisation à Lucio Fulci. Le professionnalisme de Fulci tranquillise les investisseurs et garantit au film une visibilité. Toutefois, Fulci retravaille à son tour le scénario.
Après deux ans d’éloignement des plateaux, Le miel du Diable offre à Fulci l’opportunité de retrouver les plateaux de cinéma. Le budget à sa disposition est des plus serrés. Coproduit par l’Espagne, le film est tourné en grande partie entre Barcelone et Sitges. Afin d’entrée dans les critères de la coproduction, le producteur espagnol, Jesus Balcazar est crédité au générique comme scénariste. Sous le ciel espagnol Lucio Fulci retrouve une verve et un souci d’expérimentation qui emporte le film sur les rives de l’étrangeté.
Le film ne se rattache pas vraiment à un genre, il zigzag entre romans-photos, comédie pour les jeunes et différentes formes de cinéma érotique : soft, transgressif, pervers et SM. Son déroulement est des plus surprenants, les choix esthétiques déconcertants. Fulci dynamite le film érotique soft. Il donne dans l’érotisme fort, la première séquence en studio, le docteur avec la prostituée, la masturbation sur la moto, toutes ses séquences sonnent douloureusement. Le sexe n’est plus un simple jeu érotique, mais une douleur psychologique et dans la chair. Le film narre la dérive destructrice de deux êtres dans une relation sadomasochiste, sans amour et totalement désespéré.
L’entente entre la catalane Blanca Marsillach et l’équipe ne fut pas des plus faciles à voir les témoignages glanés ici et là. Lucio Fulci ne fut pas tendre avec elle, trouvant son jeu mauvais. Il exagère, elle est plus d’une fois excellente, réussissant à traduire à l’écran le dérèglement intérieur de Cecilia. Elle manque certainement d’expérience pour maintenir la tension de son personnage. Brett Halsey ne l’appréciait pas, ce qui donne finalement un véritable sentiment de confrontation bénéfique au film. Brett Halsey, acteur américain, revient en Europe, après une longue période de téléfilms et séries aux Etats-Unis. Il débute avec de petits rôles généralement non crédités au générique dans les années 50. Il enchaîne les téléfilms lors du boom de la télévision américaine. Quelques rôles plus importants dans des productions de séries B l’expédient vers le vieux continent.
A partir de 1962, Brett Halsey entame une carrière de premier plan dans les studios romains et espagnol. Films de cape et d’épée, d’espionnage, de guerre, de terreur s’enchaînent. Il tourne même en France où il donne la réplique à la chanteuse Sheila dans Bang Bang (1967). Chose curieuse, il se métamorphose en Montgomery Ford pour plusieurs westerns ! C’est toutefois sous son vrai nom qu’il incarne Roy colt pour Mario Bava dans Roy Colt et Winchester Jack (1970). Le cinéaste le convoque à nouveau pour le méconnu Une nuit mouvementée (Quante volte… quella notte, 1971).
A partir de 1962, Brett Halsey entame une carrière de premier plan dans les studios romains et espagnol. Films de cape et d’épée, d’espionnage, de guerre, de terreur s’enchaînent. Il tourne même en France où il donne la réplique à la chanteuse Sheila dans Bang Bang (1967). Chose curieuse, il se métamorphose en Montgomery Ford pour plusieurs westerns ! C’est toutefois sous son vrai nom qu’il incarne Roy colt pour Mario Bava dans Roy Colt et Winchester Jack (1970). Le cinéaste le convoque à nouveau pour le méconnu Une nuit mouvementée (Quante volte… quella notte, 1971).
Stefano Madia, l’amant sadique, récolte l’éphémère prix d’interprétation dans un second rôle au Festival de Cannes pour Cher Papa (Caro Papa, 1979) de Dino Risi, où il incarne le fils de Vittorio Gassman. Stefano Madia, admirateur des films de Lucio Fulci, saute sur l’occasion de tourner avec le cinéaste. Une carrière cinématographique assez réduite. Journaliste de formation, il reprend son métier en tant que correspondant pour une émission télévisée, Porta a Porta. En 2001, il se présente aux élections municipales de Rome dans la liste de l’écrivain, réalisateur et homme politique Walter Veltroni. Il est conseiller municipal jusqu’en 2004. Il décède la même année d’un cancer du pancréas à l’âge de 49 ans.
Corinne Cléry est une star du film érotique. Propulsée par Histoire d’O (1975), Corinne Cléry, est l’élément vendeur du film, même si son rôle est secondaire, mais important. L’actrice française connaît un grand succès en Italie où elle va poursuivre sa carrière. De comédie, Bluff (Bluff storia di truffe e di imbroglioni, 1976) de Sergio Corbucci avec Anthony Quinn et Adriano Celentano au thriller violent La Proie de l’autostop (Autostop Rosso Sangue, 1977) de Pasquale Festa Campanile avec Franco Nero, Corinne Cléry, trouve l’épanouissement artistique au sein de la production italienne. Elle est une élégante James Bond Girl aux côtés de Roger Moore dans Moonraker (1979) de Lewis Gilbert.
Le diable du titre est associé à la couleur rouge par Lucio Fulci. La teinture rouge du mur contre laquelle Cecilia s’abandonne, le vernis à ongles sur le sexe et sur le visage de la prostituée, puis sur celui de Dominici. Le rouge toujours avec son sang sur le ventre de Cecilia. Le pull de Gaetano, relique que traîne son amoureuse. Le miel est associé au saxo et surtout la cire de la bougie qui brûle Dominici. Des correspondances assumées qui tissent toute une série de liens tout au long du film, ainsi la cyprine sur les doigts de Cecilia renvoient à la mer. Le miel du Diable est l’œuvre d’un catholique qui doute, faire le deuil sans espoir de quoi que ce soit. Le miel du Diable, est une œuvre noire et profondément désespérée.
Fernand Garcia
Le miel du Diable, une édition mediabook (DVD + Blu-ray) et Livre d’Artus Films dans son indispensable collection Lucio Fulci. En complément : Le saxo du diable entretien avec le compositeur Claudio Natili. Produire Le miel du Diable, entretien avec le producteur Vincenzo Salviani. Entretien avec Corinne Cléry. Entretien avec Antonella Fulci. Diaporama d’affiches de de photos. Le Générique français. Enfin, le livre Mourir d’aimer par Lionel Grenier, revient sur la production du film et l’analyse ensuite longuement, passionnant (82 pages). Une édition de grande qualité.
Le miel du Diable / Plaisirs pervers (Il miele del diavolo) un film de Lucio Fulci avec Corinne Clery, Brett Halsey, Blanca Marsillach, Stefano Madia, Paula Molina, Bernard Seray, Lucio Fulci, Eulalia Ramon… Scénario : Ludovica Marineo, Vincenzo Salviani, Jesus Balcazar, Lucio Fulci. Directeur de la photographie : Alessandro Ulloa. Décors : Marta Caveza. Montage : Vincenzo Tomassi. Musique : Claudio Natili. Producteurs : Vincenzo Salviani, Sergio Martinelli et Franco Casati. Production : Selvaggia Film – Producciones Cinematograficas Balcazar. Italie – Espagne. 1986. 90 minutes. Telecolor. Format image : 1.85 :1. Interdit aux moins de 16 ans.