En 2005, Argento réalise pour la télévision le pilote d’une série de téléfilms destinés à rendre hommage au maître Alfred Hitchcock : Vous aimez Hitchcock ? (Ti Piace Hitchcock ?) avec Elio Germano, Chiara Conti, Elisabetta Rocchetti et Cristina Brondo.
Giulio, étudiant en cinéma, observe les moindres faits et gestes de sa voisine. Chaque jour, elle se rend dans le vidéo-club du quartier pour louer le même film, L’Inconnu du Nord-Express. Un jour, un crime est commis dans l’appartement de la jeune fille, et Giulio décide de mener sa propre enquête.
Vous aimez Hitchcock ? est une variation sur deux chefs-d’œuvre de l’incontournable Alfred Hitchcock, L’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a train, 1951) et Fenêtre sur cour (Rear Window, 1954) : Argento triture le thème du voyeurisme dans un film-jeu porté par la musique de Pino Donaggio qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Brian De Palma (Body Double, 1984).
Alors qu’il peine à lancer la production de son prochain long métrage, Mother of Tears, Argento va accepter de tourner les moyens métrages d’horreur Jenifer (2005) avec Carrie Fleming et Steven Weber, et J’aurai leur peau (Pelts, 2006) avec Meat Loaf et John Saxon, deux épisodes de la collection horrifique intitulée Masters of Horror que le cinéaste filme d’une manière clinique totalement assumée.
Adapté d’un comic de dix pages lui aussi intitulé Jenifer, paru en 1974 dans Creepy, magazine américain spécialisé dans les comics d’horreur, Jenifer raconte l’histoire de Frank Spivey, policier sans histoires, qui sauve une femme sur le point de se faire massacrer. Jenifer est dotée d’un corps parfait mais d’un visage monstrueux. Franck décide de la recueillir et entame une étrange relation avec elle. Cette dernière révèle alors son instinct sauvage et meurtrier…
Dans J’aurai leur peau (Pelts) on suit Jake Feldman, directeur d’une manufacture de fourrures, qui projette de confectionner le plus beau manteau jamais réalisé. Pour arriver à ses fins, il dérobe des peaux de ratons laveurs maudites qui bientôt vont se retourner contre tous ceux qui les convoitent.
En 2007, Dario Argento lance enfin le tournage de Mother of Tears (La Terza Madre), le troisième et dernier volet après Suspiria et Inferno de sa « Trilogie des Trois Mères » ou encore « Trilogie des Enfers », et offre à sa fille Asia le premier rôle aux côtés de Cristian Solimeno, Adam James, Moran Atias, Tommaso Banfi, Daria Nicolodi, Philippe Leroy et Udo Kier.
Sarah, jeune archéologue américaine étudiant l’art à Rome, ouvre malencontreusement une urne qui libère une force maléfique, la pire sorcière de tous les temps, la Mater Lacrimarum. Lâchée dans Rome, cette dernière va faire sombrer la ville dans le chaos. Les sorcières du monde entier se rendent alors à Rome pour rendre hommage à leur chef, tandis que Sarah use de son pouvoir psychique pour tenter de contrecarrer les plans de la sorcière…
Argento a pris son temps, 30 ans, pour clore sa Trilogie des Trois Mères, avec ce dernier opus bien plus réaliste et moderne, où il plonge ses héroïnes dans des situations triviales et outrancièrement gores. À voir pour le magnifique plan-séquence dans l’escalier, et les divers clins d’œil que le cinéaste s’adresse à lui-même.
En 2009, après l’échec artistique et commercial de Mother of Tears qui n’est même pas sorti dans les salles en France, Argento met en scène Adrien Brody et Emmanuelle Seigner aux côtés d’Elsa Pataky, Robert Miano et Silvia Spross, dans Giallo, un hommage aux films d’exploitation italiens.
L’inspecteur Enzo Avolfi enquête sur une série de meurtres perpétrés sur des femmes. S’inquiétant de la disparition de sa sœur, Linda fait appel à ce dernier afin qu’il puisse retrouver sa trace. L’enquête les conduit vers un étrange chauffeur de taxi…
Giallo est une variation ironique sur le thème du giallo par le maître de l’horreur italien avec du suspense et du gore, un trauma enfoui, dans une ambiance au doux parfum eighties. Une série B portée par sa distribution internationale, avec notamment Emmanuelle Seigner et Adrien Brody qui a attaqué la production du film pour salaire impayé, rupture de contrat et fraude – rien que ça – bloquant ainsi plusieurs mois la sortie du film prévue directement en DVD. Giallo sera un nouvel échec critique et public pour Argento.
En 2012, Argento se lance dans une nouvelle adaptation du célèbre roman de Bram Stoker et réalise Dracula 3D avec Asia Argento, Thomas Kretschmann, Marta Gastini et Rutger Hauer dans le rôle de Van Helsing.
Transylvanie, 1893. Une photo de Mina et Jonathan prise le jour de leur mariage déclenche l’irrésistible convoitise du comte Dracula, qui voit en Mina la réincarnation de l’amour de sa vie morte quatre cents ans plus tôt. Avec la promesse d’un emploi en qualité de bibliothécaire pour Jonathan, le comte parvient à faire venir le couple dans son château situé dans le village de Passburg. Confronté à la personnalité mystérieuse de son hôte, Jonathan ne tarde pas à découvrir la véritable nature du comte et le danger qu’il représente, notamment pour sa femme. Alors que les morts violentes s’accumulent, seul Abraham Van Helsing, qui a déjà croisé la route de Dracula, semble à même de pouvoir l’empêcher de poursuivre son sinistre dessein…
« Ce qui m’a poussé à faire Dracula 3D, ce sont les derniers films de vampires que j’ai pu voir : ce sont des films pour les enfants qui ont trahi l’esprit du personnage. Je voulais retourner au Dracula original, avec sa force, sa puissance… » Dario Argento.
Après Suspiria et Ténèbres, Argento travaille à nouveau avec le chef opérateur Luciano Tovoli sur le plateau de Dracula 3D et c’est le musicien Claudio Simonetti (Goblin) qui compose la musique du film. Avec cette adaptation fidèle du roman de Bram Stoker, Argento retrouve l’univers gothique des films de la Hammer avec Christopher Lee, tout en y ajoutant ses thématiques récurrentes personnels comme son obsession pour les animaux.
Dracula 3D a été présenté en 3D au Festival de Cannes en 2012.
Aujourd’hui, dix ans après Dracula 3D, alors que l’on attendait avec impatience la sortie de The Sandman, son projet annoncé avec au casting Iggy Pop, Argento est de retour sur les écrans avec un nouveau giallo, Occhiali Neri (Dark Glasses) avec Ilenia Pastorelli, Asia Argento, Andrea Gherpelli et Andrea Zhang. Un évènement.
Une prostituée italienne rendue aveugle par un tueur en série lors d’une agression, recueille un jeune chinois, dont la vie a également été détruite par les actions du maniaque. Il va devenir son allié et son guide dans une lutte terrifiante pour se débarrasser définitivement de l’assassin…
C’est Asia Argento qui a retrouvé le scénario d’Occhiali Neri, écrit et mis de côté il y a une vingtaine d’années suite à la faillite de la société qui devait le produire, et a relancé le projet en convaincant son père, qui n’avait pas tourné depuis dix ans, de le réaliser. Disons-le tout de suite, Occhiali Neri, est probablement le meilleur film du cinéaste depuis Le Sang des innocents. En effet, avec ce film Argento retrouve non seulement l’esprit mais aussi l’essence même de ses premiers gialli.
Occhiali Neri a été présenté, hors compétition, à la dernière édition du Festival du film de Berlin.
Il ne faut surtout pas manquer non plus le magnifique documentaire, Dario Argento, Soupirs Dans Un Corridor Lointain (2019) que lui a consacré le réalisateur et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret qui s’est toujours battu pour la reconnaissance artistique et institutionnelle de Dario Argento en défendant son œuvre.
A la fois riche et sensible, tourné vers la création, le portrait que dresse Thoret du Maître du giallo dans son documentaire est à l’image de l’homme et de l’œuvre qu’il a créé dans la souffrance. Confidences, images d’archives, retours et visites sur des lieux de tournages comme le quartier de l’EUR, quartier à la fois moderne et monumental, vitrine architecturale éclatante de l’Italie fasciste et la villa où il a tourné Ténèbres ou encore les lieux du tournage de Profondo Rosso (Les Frissons de l’Angoisse, 1975) mais aussi d’Inferno (1980), entretiens et témoignages de collaborateurs sont au programme de ce somptueux film.
Avec Dario Argento, Soupirs dans un corridor lointain, Jean-Baptiste Thoret nous livre non seulement sa fascinante vision du cinéaste mais également un touchant portrait intimiste et mélancolique de l’homme, de ses angoisses, de ses doutes existentiels et de sa vision unique sur la création, l’Art en général et le cinéma en particulier. Indispensable.
Avec ses indéniables partis pris formels tout aussi bien novateurs que référentiels, Dario Argento a créé un genre de cinéma différent. Un genre nouveau qui va porter encore plus haut le « giallo » dont les bases avaient été posées par Mario Bava en 1693 avec La Fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo) et Six femmes pour l’assassin (Sei donne per l’assassino) en 1964. Un genre plus violent et plus sophistiqué dans lequel le suspense « Hitchcockien » sollicite l’attention et l’intelligence du spectateur. Les scènes baroques de violence surprennent et séduisent. La stylisation à l’excès des meurtres choque autant qu’elle réjouit. En plus de la mise en scène à proprement parler, de nombreux fétiches comme les gants, le chapeau, le cuir, l’imperméable ou les armes blanches vont venir de manière singulière et parfaitement maîtrisée, codifier le genre. Tout en réinventant le genre, ses films posent et subliment dans le même temps, les bases du nouveau thriller à l’italienne et vont faire de son auteur, à l’instar de l’immense David Lynch, un cinéaste de l’inconscient. Le Maître du genre. Le Maître du giallo et de l’épouvante.
« La Vérité a plusieurs visages. C’est ce que je cherche à démontrer. La Vérité n’est pas une vérité. Il y a plusieurs vérités. Chaque point de vue a sa vérité. Pour chaque personne il y a une vérité différente ». Dario Argento.
A la fois transgressive et agressive, l’œuvre du cinéaste est en avance sur son temps et sa modernité est indiscutable. Affranchi des règles et des codes, Argento sublime l’alliance entre le cinéma de genre classique dit « populaire », avec les codes et les schémas que le spectateur connait et est heureux de retrouver, et la modernité qu’il apporte à ses films en envoyant voler en éclat nos habitudes de spectateurs. Le cinéma d’Argento fait table rase de ce qui était acquis en mettant à mal les certitudes du spectateur. Il déstabilise et crée la surprise en proposant autre chose au public.
« La chose dont j’ai vraiment peur, c’est la moitié obscure de moi-même, qui m’envoie des pensées malveillantes, hostiles. Elle est le terreau de mes films. C’est la partie obscure, mon subconscient, qui me parle. Et j’ai ce don de parler avec ma moitié obscure. » Dario Argento.
Aussi fascinante qu’incontournable, avec ses grands thrillers horrifiques, ses gialli et ses inévitables grands classiques du cinéma de genre (fantastique et/ou horreur symbolisant ouvertement la psychanalyse) marqués par une esthétique graphique baroque et expressionniste singulière utilisant des codes (gros plans, caméra subjective, zooms, caméra à l’épaule…), des références psychanalytiques ou fétichistes, une érotisation de la violence, mais aussi par des bandes sons originales de rock progressif hypnotiques (Ennio Morricone, Pino Donaggio mais aussi et surtout le groupe Goblin), l’œuvre de Dario Argento témoigne, depuis plus d’un demi-siècle, du fait que non seulement son statut de Maestro, de Magicien de la Peur, n’est pas usurpé, mais également que son travail et ses films qui questionnent sans cesse les sens, la mémoire et la vérité, inspirés eux-mêmes par les œuvres de cinéastes comme Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Mario Bava, Sergio Leone, Michael Powell ou encore Alfred Hitchcock, continuent de nourrir l’imaginaire des spectateurs et de toute une nouvelle génération de cinéastes.
« Tant que là-dehors se trouvera quelqu’un à qui faire peur, je pourrai me considérer comme un homme heureux » Dario Argento – (Peur, Rouge Profond, 2018).
Steve Le Nedelec
Dario Argento
Rétrospective intégrale à la Cinémathèque française du 06 au 31 juillet 2022.