En 1982, Argento retrouve le giallo avec Ténèbres (Tenebre) qui s’inspire de sa propre expérience de harcèlement par un fan obsessionnel pour explorer les ténèbres de l’âme humaine.
Peter Neal, auteur de romans policiers à succès, est invité à Rome à l’occasion de la sortie de son best-seller, « Ténèbres ». C’est alors qu’il se retrouve mêlé à une série de meurtres sanglants commis dans son entourage par un lecteur fanatique. Il décide, avec sa secrétaire Anna de mener sa propre enquête…
Ecrit et réalisé par Dario Argento, Ténèbres arrive dans la carrière du cinéaste après une période réussie dans le registre de l’ésotérisme, du baroque et du fantastique avec les films Suspiria (1977) et Inferno (1980) (les deux premiers volets de sa « Trilogie des Trois Mères ») et marque le retour du cinéaste au giallo, le genre qu’il affectionne, qu’il maîtrise et qui l’a popularisé dix ans plus tôt. Ténèbres est un retour glaçant et réussi aux fondamentaux mais aussi, par son côté désenchanté et ses choix esthétiques, un tournant dans l’œuvre d’Argento.
Bien que le titre du film évoque l’obscurité, la part des ténèbres en chacun de nous, afin de donner à Ténèbres une esthétique télévisuelle réaliste et contemporaine de l’époque, très contrastante par rapport au sujet et au genre du film, influencé par l’esthétique de Possession (1981) d’Andrzej Zulawski, Argento a volontairement demandé à son directeur de la photographie, Luciano Tovoli (Profession : Reporter (1975) de Michelangelo Antonioni ; Suspiria (1977) de Dario Argento…), d’utiliser une lumière claire et froide aussi intense que possible sur le tournage. Avec une incroyable maîtrise scénaristique, mais encore, des plans radicaux, des scènes et des séquences aussi violentes, sanglantes et terrifiantes que techniquement impressionnantes, d’une impressionnante précision chirurgicale, la mise en scène inventive de Ténèbres témoigne de la maîtrise et du talent de son auteur qui n’a pas son pareil pour à la fois manipuler, effrayer et ravir le spectateur.
Alors que le groupe Goblin s’est séparé en 1980, trois de ses membres, Claudio Simonetti, Fabio Pignatelli et Massimo Morante, se sont réunis à la demande d’Argento pour travailler sur la bande originale de Ténèbres. Le résultat de cette collaboration sera crédité « Simonetti-Pignatelli-Morante ». En 2007 la bande originale de Ténèbres a été reprise par le groupe français Justice.
Ténèbres, à l’affiche duquel on retrouve Anthony Franciosa, Christiano Borromeo, Mirella D’Angelo, Veronica Lario, Ania Pieroni, Carola Stagnaro, Daria Nicolodi, John Steiner, John Saxon, Eva Robins et Giuliano Gemma, est à classer parmi les chefs-d’œuvre de Dario Argento.
En 1985, Dario Argento poursuivra dans le fantastique avec le jouissif et passionnant Phenomena à l’affiche duquel on retrouve Jennifer Connelly, Donald Pleasence, Daria Nicolodi, Patrick Bauchau et Fiore Argento.
Jennifer Corvino se rend en Suisse afin de poursuivre ses études au sein d’un établissement scolaire privé. Sujette à des crises de somnambulisme, celle-ci communique par télépathie avec les insectes. Un soir, lors d’une crise, la jeune fille assiste au meurtre d’une étudiante. Son don sera alors mis à contribution par un scientifique entomologiste pour traquer l’assassin.
Pour interpréter le personnage principal de Jennifer Corvino, Argento a repéré la jeune comédienne Jennifer Connelly, alors âgée de 14 ans, dans le film Il était une fois en Amérique (Once Upon a Time in America, 1984) de Sergio Leone avec qui il avait collaboré au scénario d’Il était une fois dans l’Ouest en 1968.
A la fois sanglant et poétique, Phenomena est un film hybride qui se situe à mi-chemin entre le giallo et le conte de fées mais dans lequel cette fois le surnaturel y est bienveillant.
Argento signe ensuite les scénarii et assure la production des films Démons (Dèmoni, 1985) et Démons 2 (Dèmoni 2… l’incubo ritorna, 1986), qui sont tous les deux réalisés par Lamberto Bava qui était l’assistant d’Argento sur Inferno et Ténèbres et qui n’est autre que le fils de Mario Bava.
Démons raconte l’histoire de spectateurs invités à l’avant-première d’un film d’horreur qui sont contaminés par des effluves maléfiques et se transforment en monstres sanguinaires.
Démons 2 se déroule au septième étage d’un immeuble moderne où la fête bat son plein pour l’anniversaire d’une jeune fille. Le reste de l’immeuble tente de ne pas s’endormir devant un film de démons mais ces derniers vont bientôt surgir de la télévision et envahir le bâtiment.
« Il y a quelque chose qui m’agace depuis des années, c’est de voir des gens se cacher les yeux lors des moments les plus gore de mes films. Si je crée ces images, c’est parce que je veux que le public les voie et qu’il soit confronté à ses propres peurs, pas qu’il les évite en regardant ailleurs. Je me suis alors demandé comment il serait possible de forcer quelqu’un à assister au meurtre le plus atroce qui soit tout en étant certain qu’il ne peut quitter la scène des yeux. La réponse est au cœur d’Opéra… » Dario Argento.
En 1987, deux ans après Phenomena, Dario Argento revient à la mise en scène avec Opéra à l’affiche duquel on retrouve dans le rôle principal Cristina Marsillach, ainsi que Ian Charleson, Urbano Barberini et Daria Nicolodi.
À la suite de l’accident de la cantatrice principale, une jeune chanteuse lyrique, Betty, est choisie au pied levé pour la remplacer et interpréter le rôle de Lady Macbeth dans l’opéra de Verdi, œuvre ayant la réputation de porter malheur. Commence une série de meurtres dans l’entourage de la jeune femme qui se voit elle-même être poursuivie par un mystérieux fan possessif et sadique.
Avec les époustouflants élans shakespeariens de sa mise en scène encore une fois remarquable, Argento nous plonge avec Opéra dans les coulisses d’un théâtre hanté par le meurtre et la torture. Diaboliquement pervers et malsain, gore à souhait, Opéra connaitra un injuste échec commercial en Italie et ne sortira même pas sur les écrans français ou américains. Argento déclarera par la suite avoir eu beaucoup de difficultés à travailler avec Cristina Marsillach, l’actrice principale du film.
En 1988 et 1990 Dario Argento co-signera les scénarii et assurera la production de deux films réalisés par Michele Soavi. Le premier est Sanctuaire (La Chiesa), l’histoire d’une cathédrale bâtie sur les cadavres de personnes considérés comme possédées où, des siècles plus tard, un jeune bibliothécaire, en se rendant dans les catacombes, libère malgré lui un démon des anciens temps. Le second, La Secte (La Setta) dans lequel une série de meurtres effroyables est perpétrée à Francfort par un groupe de satanistes.
Au début des années 90, le réalisateur italien s’exile aux Etats-Unis. Il y coréalise d’abord Deux Yeux maléfiques (Due Occhi Diabolici, 1990) avec George A. Romero. Adaptation de deux célèbres nouvelles d’Edgar Allan Poe, « l’Etrange Cas de Mr. Valdemar » réalisé par George A. Romero, raconte l’histoire d’une femme vénale qui, avec son amant, le docteur Hoffmann, organise le meurtre de son riche mari, et « le Chat noir » réalisé par Dario Argento où Harvey Keitel campe un photographe dépressif et sadique qui tue le chat noir recueilli par sa femme et perd peu à peu l’esprit.
Toujours aux Etats-Unis, Argento réalise ensuite Trauma (1993) dans lequel il dirige pour la première fois sa fille Asia alors âgée de 18 ans dont il fait ici une anorexique traumatisée. Aux côtés de la jeune Asia on retrouve Sharon Barr, Christopher Rydell, James Russo, Piper Laurie et Brad Dourif.
Aura Petruscu, une jeune fille anorexique de 16 ans, s’évade d’un hôpital psychiatrique et rencontre David. Elle est ramenée à ses parents, mais, victimes d’un mystérieux tueur le soir même de leurs retrouvailles, ceux-ci sont décapités. Aidée par David, la jeune fille va mener l’enquête pour arrêter l’assassin qui continue à tuer d’une façon effroyable tous les témoins d’un drame qui s’est déroulé des années plus tôt…
« Je n’aime pas les films américains, car ils sont trop soft et ne parlent que de banalités. Sur Trauma, les producteurs m’ont demandé d’y aller mollo sur l’horreur et d’enlever les passages trop gore, parce que le public ne les supporterait pas. » Dario Argento.
Après avoir déjà collaboré avec Argento sur Deux Yeux maléfiques, son précédent film aux Etats-Unis, notons que c’est le compositeur « attitré » du réalisateur Brian De Palma (Carrie, Home Movies, Pulsions, Blow Out, Body Double, L’Esprit de Caïn…), Pino Donaggio, qui signe la bande originale de Trauma.
L’actrice Piper Laurie, célèbre pour son incarnation de Margaret White, la mauvaise mère de Carrie White, dans Carrie (1976) de Brian De Palma, retrouve, dix-sept ans plus tard, un rôle similaire dans Trauma dans lequel elle est toujours tout aussi inquiétante.
Si Trauma reste l’œuvre la plus lyrique, la plus émouvante et la plus humaine du réalisateur, sa mauvaise expérience avec les producteurs du film qui l’ont privé de sa liberté créative et l’échec commercial du film mettront un terme à son rêve américain.
Steve Le Nedelec
Dario Argento
Rétrospective intégrale à la Cinémathèque française du 06 au 31 juillet 2022.