« J’ai peur de tout, du quotidien de la vie. J’ai aussi des peurs plus profondes, (…) ce sont les thèmes de mes films » Dario Argento.
Immanquable ! Un peu plus de six ans après avoir été le prestigieux invité d’honneur de la 4ème édition du Festival Toute la mémoire du monde en 2016, à bientôt 83 ans, l’incontournable cinéaste italien Dario Argento, démiurge, véritable esthète et poète de la forme cinématographique sensorielle, du macabre, du gothique, du fantastique, de l’horreur, et bien évidemment maestro du giallo (thriller horrifique), est de retour à la Cinémathèque française pour la rétrospective intégrale de son œuvre qu’elle lui consacre du 6 au 31 juillet, avec le concours de Camilla Cormanni et Paola Ruggiero de Cinecitta, à l’occasion de la sortie de son nouveau film évènement, Occhiali Neri. Le cinéaste sera accompagné de sa fille Asia Argento pour nous évoquer leur singulière collaboration, pour nous présenter en personne son nouveau film et quelques-uns de ses classiques incontournables, pour nous parler de son art et rencontrer le public.
Après les succès en 2018 et 2019 des rétrospectives proposées en deux temps par le distributeur Les Films Du Camélia et qui ne comprenaient déjà pas moins de huit classiques en versions restaurées du réalisateur transalpin, L’Oiseau au plumage de cristal (L’Uccello dalle piume di cristallo, 1969), Le Chat à neuf queues (Il Gatto a nove code, 1970), Quatre mouches de velours gris ( Quattro mosche di velluto grigio, 1971) Les Frissons de l’angoisse (Profondo Rosso, 1975), Suspiria (1977), Ténèbres (Tenebre, 1982), Phenomena (1985) et Opéra (1987) ainsi qu’un magnifique documentaire, Dario Argento, Soupirs Dans Un Corridor Lointain (2019) que lui a consacré le réalisateur et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret, mais aussi de son hommage au Festival La Rochelle Cinéma, sans oublier les parutions de son autobiographie intitulée Peur parue en 2018 et de son ouvrage, Horror – Histoires de sang, d’esprits et de secrets en 2019, celui que l’on appelle à juste titre le Magicien de la Peur est de retour cet été dans les salles et à la Cinémathèque française.
Si depuis ses débuts le cinéaste connait une renommée mondiale auprès des cinéphiles avertis, sa riche actualité témoigne d’une œuvre enfin considérée à sa juste valeur et d’une popularité plus que méritée. Dario Argento est aujourd’hui le sujet d’une incroyable actualité cinématographique mondiale : Occhiali Neri a été présenté, hors compétition, à la dernière édition du Festival du film de Berlin, Il Museo Nazionale del Cinema de Turin, ville dans laquelle Argento a tourné plusieurs de ses films, accueille du 06 avril 2022 au 16 janvier 2023, la première grande exposition consacrée au génie et à l’œuvre du cinéaste visionnaire et Le Lincoln Center de New York lui a également consacré une rétrospective intégrale du 17 au 29 juin dernier.
Après son passage à New York, c’est donc à Paris que le réalisateur revient pour rencontrer son public, aussi bien les fidèles de la première heure que ceux de la nouvelle génération qui, avec cette rétrospective à la Cinémathèque française et la sortie en salle (on l’espère de tout cœur) de son nouveau film, auront la chance de le découvrir sur grand écran.
Né le 7 septembre 1940 à Rome d’une mère photographe de mode brésilienne, Elda Luxardo, et d’un père producteur, Salvatore Argento, Dario Argento a grandi entouré d’actrices. Ses souvenirs de leurs regards, leurs odeurs et leurs tenues vestimentaires témoignent immanquablement de l’influence de ces dernières aussi bien sur la sensualité que la singularité de son œuvre. Fasciné par la littérature dès son plus jeune âge, Dario Argento se passionne vite pour la salle obscure et débute très tôt dans la vie professionnelle comme critique de cinéma. Il va ensuite devenir scénariste et signer une douzaine de scénarios en l’espace de trois ans dans les années 60, notamment pour Alberto Sordi ou Antonio Cervi, mais ce sera sa rencontre avec son idole Sergio Leone qui sera décisive pour la suite de sa carrière. En effet, c’est Sergio Leone en personne qui confiera l’écriture du scénario de son prochain film à Argento et à un autre « petit nouveau » du cinéma italien, Bernardo Bertolucci. Le film s’appellera Il Etait Une Fois dans l’Ouest (Once Upon a Time in the West, 1968) et ne sera pas moins que le chef d’œuvre incontestable de l’histoire du cinéma que l’on connait tous aujourd’hui.
« Je dois beaucoup à Sergio Leone. Alors qu’il était déjà un maître du cinéma, il a cru en moi et m’a donné l’occasion de rentrer dans le métier par la grande porte. […] C’était beau de travailler avec Leone, car il parlait par images, par mouvements de caméra, qui sont en effet les éléments les plus fondamentaux du cinéma. J’ai alors compris que si je devais faire un film comme metteur en scène, il me faudrait m’exprimer par ces moyens-là. » Dario Argento.
L’Oiseau au plumage de cristal (L’Ucello dalle piume di cristallo), avec à l’affiche Tony Musante, Suzy Kendall, Enrico Umberto Raho et Eva Renzi, est le premier film du jeune cinéaste Dario Argento.
L’Oiseau au plumage de cristal raconte l’histoire de Sam Dalmas, un écrivain américain installé à Rome qui assiste impuissant à l’agression d’une jeune femme par un individu mystérieux. Déclaré témoin oculaire, puis suspecté par la police, Dalmas devient la cible du tueur. Celui-ci décide alors de mener lui-même l’enquête en effectuant ses propres recherches.
Même si le réalisateur aime à dire que l’idée du film lui est venue sur une plage lors de vacances en Tunisie, il reste très inspiré du roman de Fredric Brown, The Screaming Mimi (La Belle et le Bête), que lui avait apporté Bernardo Bertolucci pensant qu’on pouvait en faire un bon film. Les droits étant trop cher pour l’un comme pour l’autre, Argento décide donc d’en « emprunter » l’idée en l’adaptant sous une forme radicalement différente.
« J’aimais être seul dans la salle et écrire, penser, imaginer. Puis j’ai écrit ce film pour que quelqu’un d’autre le fasse, mais les producteurs ont suggéré des réalisateurs que je ne pensais pas adaptés. Et comme un flash j’ai eu l’idée : je vais le faire ! » Dario Argento.
Le scénario écrit, Argento essuie de nombreux refus de la part des producteurs qui craignent de lui donner sa chance comme réalisateur. C’est pourquoi Salvatore Argento, le père de Dario, en assurera finalement la production avec son fils. Très recherché d’un point de vue technique aussi bien par son écriture scénaristique, son découpage, sa mise en scène, son montage ou encore son utilisation du son et de la musique, en dépit des modes et des critiques, le premier film du réalisateur fait bien plus que renouveler brillamment le genre du giallo créé (ou presque) par l’immense Mario Bava avec La Fille qui en savait trop (La Ragazza che sapeva troppo, 1962) et Six femmes pour l’assassin (Sei donne per l’assassino, 1964), il le sublime. L’Oiseau au plumage de cristal marque les débuts du directeur de la photographie Vittorio Storaro qui deviendra par la suite l’immense chef opérateur que l’on sait. Ce dernier travaillera sur les plus grands films d’autres cinéastes comme Bernardo Bertolucci pour Le Conformiste (1970), La Stratégie de l’araignée (1970) Le Dernier Tango à Paris (1972), 1900 (1976), La Luna (1979), Le Dernier Empereur (1987) Un Thé au Sahara (1990), Little Buddha (1993), Francis Ford Coppola pour Apocalypse Now (1979), Coup de Cœur (1982), Tucker (1988), avec Warren Beatty pour Reds (1981), Dick Tracy (1990), Bulworth (1998), mais aussi Richard Donner, Carlos Saura et dernièrement Woody Allen pour Café Society (2016).
Véritable concert d’images, de sons et de sensations, avec ses indéniables partis pris formels tout aussi bien novateurs que référentiels, dès son premier long métrage Dario Argento invente un langage cinématographique moderne dans lequel l’apparente simplicité et le symbolisme se mêlent magistralement à la plus grande sophistication technique et sensorielle, à la recherche expérimentale la plus inspirée. Avec L’Oiseau plumage de cristal et ses références cinéphiles au cinéma d’Alfred Hitchcock ou de Michelangelo Antonioni, Argento propose déjà une authentique nouvelle expérience cinématographique qui pose les bases du nouveau thriller à l’italienne et préfigure le chef-d’œuvre Profondo Rosso.
Notons que L’Oiseau plumage de cristal marque également le premier opus de la « Trilogie animale » du cinéaste qui réalisera dans la foulée Le Chat à neuf queues (Il Gatto a nove code, 1970) avec Karl Malden, James Franciscus et Catherine Spaak.
Le gardien d’un institut spécialisé dans la recherche génétique est agressé. Le reporter Carlo Giordani, aidé de Franco Arno, un ancien journaliste devenu aveugle, mènent l’enquête et découvrent que des chercheurs de l’institut travaillaient sur le facteur XYY qui, selon eux, se retrouverait chez les personnes enclines à la violence et à la criminalité. Une série de meurtres débute alors et vise à empêcher la progression de l’enquête.
Deuxième volet de la « Trilogie animale » avec laquelle Dario Argento débute sa carrière de cinéaste, Le Chat à neuf queues est le parfait mélange du récit policier et du style singulier d’Argento qui commence déjà subtilement ici à côtoyer le fantastique. Faisant référence à la couleur jaune des couvertures des romans policiers en Italie, comme son film précédent, Le Chat à neuf queues répond aux codes du giallo. Parsemée de références cinéphiliques, cette nouvelle enquête policière que nous livre le réalisateur assoit les bases de son style et va légitimement contribuer à donner à son auteur le statut de cinéaste culte.
Le Chat à neuf queues prouve une nouvelle fois que le cinéaste aime s’amuser à tromper les sens du spectateur. Le personnage principal est le témoin auditif d’un évènement. Ce dernier est aveugle et pourtant il cherche à « faire la lumière » sur cette affaire. On retrouve donc dans ce film l’obsédante thématique des sens, de la vision (l’image), chère à l’auteur. Comme dans L’Oiseau au plumage de cristal et plus généralement, comme souvent dans les gialli d’Argento, c’est la vision partielle d’un évènement (il manque un élément pour permettre de comprendre ce qu’il s’est réellement passé) qui déclenche non seulement l’enquête, l’histoire du film, mais c’est également autour de ce postulat de base que s’effectue tout le travail de construction scénaristique ainsi que les choix de mise en scène. Ici encore les personnages vont devoir se remémorer des chuchotements à peine audibles, examiner, recadrer et agrandir des clichés pour découvrir la vérité. Les sens tiennent un rôle primordial dans l’histoire du film et dans sa construction même. Nos sens sont imparfaits et biaisent nos perceptions. Ils nous mentent… Comme pour le développement de la pensée philosophique, pour parvenir à la Vérité, nous devons douter de tout et particulièrement de nos sens qui nous induisent insidieusement en erreur.
Plus proche du cinéma d’Alfred Hitchcock ou de Michelangelo Antonioni que de celui de Mario Bava, Le Chat à neuf queues, en dépit de son indéniable atmosphère baroque, est un film à l’apparence un peu plus traditionnel, plus classique, plus sobre que ne l’était L’Oiseau au plumage de cristal. Un film « à l’américaine » calibré pour plaire au plus grand nombre avec une écriture plus lisse, plus conventionnelle, peut-être même un peu trop pour son auteur. Néanmoins, deuxième succès consécutif du réalisateur, Le Chat à neuf queues propulse Argento en pole position des cinéastes transalpins et pousse de nombreux producteurs à développer différents projets de gialli dont plus d’une centaine, allant du plus médiocre au plus singulier, verront le jour en seulement quelques années.
Argento réalise ensuite Quatre mouches de velours gris (Quattro Mosche di Velluto Grigio, 1971) avec Michael Brandon, Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle et Bud Spencer et clôt avec ce film sa « Trilogie animale ».
Le batteur d’un groupe de rock, Roberto Tobias, suivi depuis plusieurs jours par un homme mystérieux, décide de le prendre en chasse. Au cours de la dispute qui suit leur rencontre, il le tue accidentellement et un mystérieux inconnu masqué le prend en photo, l’arme du crime à la main. Cet inconnu va le harceler et le menacer, sans pour autant se livrer à un chantage…
Après L’Oiseau au plumage de cristal (1969) et Le Chat à neuf queues (1970), Quatre Mouches de velours gris est le dernier et moins connu volet qui vient clore la « Trilogie animale » avec laquelle Dario Argento débute sa carrière de cinéaste.
En lien avec la crise personnelle que le réalisateur traverse à l’époque, Quatre mouches de velours gris est une œuvre plus sombre et grave que les précédentes. Le film contient en effet un certain nombre de références autobiographiques dans sa description du ménage de Roberto et Nina. Le comédien Michael Brandon a lui-même été choisi par le réalisateur parce qu’il lui ressemblait. De même que Mimsy Farmer a été choisie car elle ressemblait à l’ex-femme du réalisateur.
Plus lyrique et halluciné que ses deux films précédents, Quatre mouches de velours gris annonce ses chefs-d’œuvre du cinéma fantastique à venir.
Quatre mouches de velours gris est le troisième succès consécutif du réalisateur. Mais le film témoigne surtout du fait que son auteur maîtrise parfaitement le langage cinématographique et annonce l’avènement de celui qui deviendra l’un des plus grands cinéastes italiens de sa génération. Inimitable !
Les trois premiers films de Dario Argento connaîtront donc tous un énorme succès à leurs sorties et les bandes-originales des trois films sont signées par l’immense compositeur Ennio Morricone…
Steve Le Nedelec
Dario Argento
Rétrospective intégrale à la Cinémathèque française du 06 au 31 juillet 2022.
Une réflexion au sujet de « Dario Argento (I) »
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