1930, Dziga Vertov réalise Enthousiasme ou La Symphonie du Donbass produit par l’Ukrain Film. Le film est la mise en pratique des théories du cinéaste et ses recherches sur le son dans le cadre du « laboratoire de l’ouïe ». Sans le moindre commentaire, il recrée le travail des mineurs de charbon du Donbass. « Tout est dit par un montage des bruits où interviennent les sirènes, les machines, les locomotives, mais aussi la musique des orphéons, les bruits de foule, les applaudissements, les discours des meetings » note judicieusement sur l’art de Vertov, le grand historien du cinéma, Georges Sadoul. L’association des images et des sons par Vertov aboutit à une composition musicale, le réalisateur/monteur se métamorphose en musicien d’où la symphonie du titre. Pour la première fois, un cinéaste introduit le bruit réel des usines (du Donbass) dans un film.
Les documentaires sur les mines du Donbass sont des reconstitutions. Les mineurs et les lieux sont réels, mais retravailler, nettoyer, pour aboutir à une image valorisante, au service du pouvoir, dans le cas présent du communisme. A partir de quelques scènes extraites du film de Vertov et d’autres films, Igor Minaev interroge l’image comme élément de propagande et de l’idéalisation du Donbass dans l’imaginaire communiste de l’ex-Union soviétique. Le Donbass devient un monde parfait, l’image du bonheur. Rien ne manque aux valeureux travailleurs, des maisons, des habits, de la nourriture. Pierre après pierre s’édifie le mythe du mineur héroïque. Son incarnation ultime est l’ouvrier de choc : Alexeï Stakhanov. Ses exploits on fait de lui un Hercule de la propagande communiste. Le Stakhanovisme se répand dans tous les pays du bloc de l’Est et devient une sorte de modèle pour la classe ouvrière en Occident. L’exemple que la force de l’ouvrier est supérieure à celle des patrons. Tout n’est qu’une fabrication, Stakhanov finira par croire à ses supposés exploits.
La région du Donbass est le plus grand bassin de charbon de l’Est de l’Ukraine. Le charbon est énergie vitale pour l’URSS. L’idéalisation des mines était une manière pour l’Etat de faire venir des masses de prolétaires de tout le pays. Ainsi, dans la région, des travailleurs de toutes les origines se retrouvent dans le but premier est d’améliorer leurs conditions de vie. Ils parlent presque tous, si ce n’est pas exclusivement, russe. Le Donbass se métamorphose en zone mythologique, ni vraiment Ukrainienne ni Russe. Les mineurs y vivent durement, mais mieux que dans d’autres parties de l’URSS.
L’identité de la région est difficilement dissociable de celle l’ex-URSS. Les mineurs ont été une vitrine de la construction de l’Union Soviétique. Les statuts des « idoles » de la révolution ont fini au fond de la mer, mais l’histoire ne s’efface pas si facilement.
A la Symphonie de Vertov, c’est substituée une cacophonie d’où émerge un nationalisme exacerbé. Le film d’Igor Minaev montre deux peuples face à face. Mais tout se complique rapidement quand dans une même famille, les soutiens divergent, les enfants vers l’Ukraine, les parents vers la Russie. Les prémices d’une dislocation à la Yougoslave. Le documentaire d’Igor Minaev date de 2018, avant l’invasion Russe.
L’Ukraine est prise aujourd’hui entre deux feux avec le Donbass, prise de guerre pour l’Amérique (et des Européens) et de la Russie, qui considère cette région comme russophone et prolongement de son territoire. Tout cela ne pouvait mener qu’à la guerre, à force de propagande et de nationalisme. Les victimes sont toujours les mêmes, les pauvres gens entraînés dans un maelström géopolitique meurtrier et destructeur.
Le discours de La cacophonie du Donbass est mesuré. Igor Minaev penche évidemment du côté Ukrainien. Il distille un sous-discours subversif, anti-Russe, avec l’utilisation de la masculinité soviétique des mineurs, qu’il détourne vers l’imagerie homosexuelle, de Tchaïkovski (avec l’incontournable Le lac des Cygnes) aux images des damnés du charbon nus ou en tutu.
L’enthousiasme des pionniers a disparu, la symphonie s’est arrêté, Dziga Vertov est mort injustement oublié, la cacophonie est de plus en plus forte. L’avenir est chargé de lourds nuages noirs, premier plan du film.
Fernand Garcia
La cacophonie du Donbass est disponible en DVD par Rimini Editions, en complément de programme : La bande-annonce du film et un livret, reproduction de dossier de presse pour la sortie du film en salles (12 pages).
La cacophonie du Donbass, un film écrit et réalisé par Igor Minaev. Directeur de la photographie : Volodomir Paulik. Musique : Vadim Sher. Narration : Jean-Louis Garçon. Producteur : Iuri Leuta. Production : Trempel Films – Ukranian State Film Agency. Distribution (France) : Moonlight Films Distribution (reprise mai 2022). Ukraine – France. 2018. 62 minutes. Couleur et Noir et blanc. Format image : 1,33 et 1,77. Son : Stéréo Dolby. Tous Publics avec avertissement : « Certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité du public ».