Cynthia (Lina Romay), strip-teaseuse, se pomponne, se maquille, se dresse les tétons, s’huile le corps. Elle présente sur la scène du très chic club l’Albanie sa création follement suggestive : Shining Sex. Cynthia exhibe son corps, son sexe épilé masqué par un petit rideau de petites chaînes en or. Après son numéro, un couple libertin, Alpha (Evelyn Scott) et son esclave Andros (Raymond Hardy) entraînent Cynthia dans leur penthouse. Alpha profite de leurs jeux érotiques pour lui enduire le sexe d’une étrange substance…
Shining Sex est une œuvre singulière dans la constellation des films de Jess Franco, une déclaration à Lina Romay, un acte d’amour transformé en œuvre d’art érotique. Le film marque le point de basculement de deux êtres, Jess Franco et Lina Romay dans une histoire d’amour fou, total et définitif. Geste d’amour et cinématographique rare. A partir de Shining Sex, Lina Romay va devenir l’objet absolu, le corps et le sexe de ses films dans une sorte de mysticisme de l’amour et du désir. Un rapport unique dans l’histoire du cinéma.
A la mort de Soledad Miranda, sa muse, Jess Franco est désemparé. Il refuse cette disparition et confie à plusieurs de ses proches, être toujours en contact avec elle. Soledad Miranda lui apparaît pour le guider dans ses films. Et puis arrive Lina Romay. Elle est mariée à Ramon Ardid (Raymond Hardy), photographe de plateau et occasionnellement acteur dans plusieurs films de Franco. Inconsolable depuis la mort de sa muse, Franco noie son chagrin en tournant comme un fou. Son cinéma devient plus étrange, moins pop culture. Des films d’exploitation à la musique différente, Franco a un véritable style qui va s’affirmer comme une pulsion voyeurisme. Franco s’éprend de Lina Romay, d’un amour réciproque. Franco transforme Romay jusqu’à en faire, dans un premier temps, un quasi-double de Soledad Miranda, pour prendre un exemple cinématographique, nous ne sommes pas loin de Vertigo. Romay s’affirme et se débarrasse de l’encombrant costume de la défunte et devient plus qu’une simple actrice, la muse et la collaboratrice de Franco. Lina Romay s’abandonne totalement à son cinéaste et amant jusqu’à cette fusion artistique et amoureuse. Le voyeurisme de Franco s’accorde parfaitement à l’exhibitionnisme de Lina Romay. Franco la filmera toute sa vie, donnant à « voir » toutes les étapes de son corps au fil des âges.
Shining Sex est une ode à Lina Romay. Jess Franco utilise la caméra comme un acteur actif. Elle caresse son corps, entre dans son intimité pour s’abandonner sur Lina Romay. L’actrice se donne totalement, lui ouvre chaque repli de son corps. L’effet est étrange, le regard se colle à sa peau, avec ces flous d’une trop grande proximité. Chaque zoom, avant/arrière sur son sexe, épilé, ouvert, frémit comme une étreinte. Franco va jusqu’au bout de l’extase, en coupant, sur lui, en personnage de psy handicapé (et de l’amour ?) jouissant sur l’image mentale de Lina. Les films de Jess Franco et Lina Romay, sont les vestiges d’une vie parallèle de phantasme à deux. La fine couche séparant la fiction et du réel vol en éclat. L’histoire (de la fiction) est emportée dans les flots du désir. Shining Sex est l’œuvre fondatrice, le tournant, une nouvelle ère qui s’étalera dans les salles des quartiers populaires, mal fanés, auprès d’un public bigarré, comme des poèmes jetés sur les écrans.
Jess Franco adopte une manière de filmer unique, aussi reconnaissable, avec ses zooms sur le sexe féminin jusqu’au vertige de l’abstraction. Un effet de style qui va désormais caractérise son obsession pour le sexe féminin. Il poursuit son travail plastique par l’utilisation de filtre de couleurs, d’effets optiques, parfois de toute beauté. Franco emboîte les scènes dans un montage faisant totalement abstraction des lieux, les champs et contrechamps ne correspondent pas, ce qui importe avant tout, c’est l’effet érotique et le rythme d’un assemblage. Le silence envahit le film, le souffle du vent se combine avec les halètements. Les dialogues disparaissent et nous entrons dans le film sans nous rendre compte que la grande majorité des séquences sont silencieuses, sans parole.
Le scénario de Shining Sex s’appuie sur un argument de science-fiction, les personnages communiquent par la pensée et le corps. Ce corps désirable, véhicule la vie et la mort, de la petite mort du coït à celle concrète de la mort physique. Cynthia (Lina Romay) dont le sexe a été enduit d’une poudre de mort, fait disparaitre à chaque relation hétéro ou lesbienne, le monde passé. Réminiscence de Soledad Miranda que renforce encore la très belle scène avec Madame Pécame (Monica Swinn), medium. Erotisme lesbien formidablement bien filmé. Les derniers spasmes de la médium, résonnent comme un passage de relais entre le monde des esprits et celui des vivants.
La mort finale Cynthia couverte de poudre d’or est l’image d’une renaissance, d’un nouveau départ pour Jess Franco. Plus qu’un simple film d’exploitation Shining Sex est une véritable œuvre d’auteur, un des plus beaux films de Jess Franco et Lina Romay, la palpitation scintillante de l’amour, de la liberté…
Fernand Garcia
Shining Sex une très belle édition combo (DVD + Blu-ray) dans la collection Jess Franco chez Artus Films, en version intégrale, dans un master HD 2K restauré. En complément de programme : Souvenir de Shining Sex par son producteur Daniel Lesueur, instructif sur la production, son tournage à la Grande Motte à la suite de Midnight Party. A la fin de son intervention l’annonce de Pariscope lors de la sortie du film et la lettre de la Commission de classification « l’alliance de l’ésotérisme, de l’érotisme et de la science-fiction, l’acte d’amour qui apporte la mort, autant de thèmes qui conduiront vraisemblablement la commission à se poser la question d’une interdiction aux mineurs. » signée par Jean-François Théry du 15 juillet 1975 (15 minutes). Une analyse de Shining Sex par Stéphane du Mesnildot. La relation Lina Romey et Jess Franco, l’histoire du film (22 minutes). Un très bon diaporama d’affiches et de photos de tournage (3 minutes). Et pour finir cette section les films annonces des trois nouveau film de la collection Jess Franco d’Artus Films : Shining Sex, Les nuits brûlantes de Linda et Deux espionnes avec un petit slip à fleur.
Shining Sex (La femme au sexe brillant / Love is Her Work) un film de Dan L. Simon (Jess Franco) avec Lina Romay, Evelyne Scott, Monica Swinn, Raymond Hardy (Ramon Ardid), Pierre Taylou, Yul Sanders (Claude Boisson), Olivier Mathot, Jess Franco… Scénario : Pierre Claude Garnier et A.L. Mariaux (Marius Lesoeur) et non-crédité Jess Franco. Caméraman : Gérard Brissaud. Montage : Josiane Belair. Musique : Daniel White. Producteur délégué : Daniel Lesoeur. Production : Eurociné (Paris) – Brux Inter Films (Bruxelles). France – Belgique. 1975-76. 106 minutes. Eastmancolor. Techniscope. Format image : 2.35 :1. 16/9e. Interdit aux moins de 16 ans.