Harry Mitchell (Roy Scheider) a une aventure extraconjugale avec la jeune Cini (Kelly Preston). Il doit la retrouver dans un motel. Dans la chambre, plutôt que l’objet de son désir, il se retrouve avec trois maîtres-chanteurs encagoulés… Contraint et forcé, Mitchell est mis face à une vidéo compromettante dont il est le triste héros. Les maîtres-chanteurs lui proposent un échange : la cassette vidéo contre 105 000 dollars…
Paiement Cash est la deuxième adaptation du roman d’Elmore Leonard, si l’on s’en tient à une filmographie de l’auteur rapidement survolé. Menahem Golan avait acquis les droits du roman dès sa parution en 1974. John Frankenheimer souhaitait porter à l’écran le livre, sauf que les droits avaient été cédés à la Cannon, qui en avait produit en 1984 une très lointaine adaptation avec L’Ambassadeur (The Ambassador)réalisé par J. Lee Thompson avec Robert Mitchum, Ellen Burstyn et Rock Hudson. Le roman était tellement transformé, déplacé au Moyen-Orient, dont les liens avec l’œuvre originale disparaissaient sous le sable du conflit israélo-palestinien.
Menahem Golan et Yoram Globus sautent sur la proposition de John Frankenheimer, trop heureux de produire l’une des grandes signatures d’Hollywood. Un accord est trouvé entre les deux producteurs de la Cannon et le réalisateur. Le budget serré alloué à John Frankenheimer est toutefois plus important que ceux accordé aux habituelles productions de la Cannon. John Frankenheimer bénéficie d’une liberté artistique complète.
Paiement Cash est fidèle au déroulement de l’histoire et aux dialogues d’Elmore Leonard. L’adaptation est si fidèle avec la reprise de nombreux dialogues du roman que John Frankenheimer crédite le romancier au générique en tant que scénariste. Il y a quelques différences entre le livre et le film, mais il est totalement dans l’esprit de l’écrivain. Paiement Cash est plus qu’un simple polar, une véritable œuvre d’auteur. Ainsi, dans le roman de Leonard, se retrouvent les grands thèmes et une caractérisation des personnages extrêmement proche de ceux de John Frankenheimer. On comprend mieux l’intérêt du cinéaste pour Paiement Cash, et sa volonté de le porter à l’écran au regard de son œuvre.
Le « héros » est typique de ceux croisés dans l’œuvre de Frankenheimer : un homme qui tente une escapade qui se retourne contre lui. Une promesse de liberté qui mue en une spirale infernale. John Frankenheimer déploie une superbe mise en scène, dans un Los Angeles en pleine décadence où la prostitution a envahi les rues. Le film porno (pellicule) laisse sa place à la bande-vidéo. Dans cet univers de consommation effrénée de sexe, Mitchell recherche une seconde jeunesse. Il rencontre, une jeune femme, vingt ans, déjà usés par la vie. Cini est la face pile de sa femme, Barbara (Ann-Magret), la promesse d’un semblant de renaissance. Aucun doute, le film est dans le sillage du Pays de la violence (I Walk the Line, 1970), cet autre chef-d’œuvre de Frankenheimer. Les lieux changent, mais le désespoir et la solitude restent ancrés au cœur des êtres.
Les truands qui s’en prennent à Mitchell, sont des êtres vils, qui tirent leur argent de la marchandisation du corps des autres. Raimy (John Glover), le cerveau de l’affaire, est projectionniste et réalisateur de porno gonzo. Bobby Shy (Clarence William III), un tueur camé, et Leo (Robert Trebor) homosexuel gérant d’un étrange Peep-Show. Trois marginaux sans aucune morale, rouages pervers d’un monde de cauchemar.
Et puis un moment fulgurant, de ceux qui classent un film parmi les œuvres d’auteur, tant la sincérité et la force viscérale du plan emportent l’adhésion. Mitchell, fou de rage, fonce dans la nuit au volant de sa voiture. Toute la rage de Frankenheimer transparaît dans cet enchaînement de plan, sa manière expérimentale de filmer un bolide, et puis le bruit de la mécanique qui déchire la nuit. C’est renversant de beauté. Du pur Frankenheimer à un moment où il n’est plus aux yeux de la crise le grand cinéaste des années 60.
Paiement Cash est violent. Frankenheimer filme les yeux grands ouverts face à la réalité. Son dispositif de mise en scène est particulièrement élaboré et inspiré. Ainsi, Mitchell, face aux images de sa maîtresse condamnée à mort par les maîtres-chanteurs, dans un spectacle morbide, est hallucinant de violence. Cette longue séquence s’aventurant dans la légende urbaine du Snuff Movie, où le « héros » est dans l’impossibilité d’agir face à des images aussi insoutenables que fascinantes rapproche le film de Vidéodrome (1983) chef-d’œuvre visionnaire de David Cronenberg.
Roy Scheider trouve dans ce film, l’un des derniers grands rôles de sa carrière. Il donne une interprétation complexe d’un homme en proie à un sentiment de frustration et de culpabilité oppressant. Il forme un couple parfaitement crédible avec Ann-Magret, excellente. Elle incarne avec une grande autorité une femme digne, mais bafouée dans son honneur. La relation de couple est mise en scène avec une grande intelligence. Les rapports entre eux s’inversent durant l’histoire jusqu’à donner naissance à un nouveau couple. Parmi la distribution, on retrouve quelques pornos stars des années 80 : les magnifiques Amber Lynn, Sharon Mitchell, Barbara Dare, Erica Boyer, Honey Wilder, Cara Lott, et aussi Jamie Gillis, l’incroyable Ron Jeremy, Randy West, Tom Byron…
En 1986, John Frankenheimer est déconsidéré par la critique et Paiement Cash, estampillé Cannon, passe inaperçu. Il est grand temps de revisiter un des meilleurs polars hardboiled de l’époque.
Fernand Garcia
Paiement Cash, une édition combo Sidonis Calysta (Blu-ray et DVD), dans un report HD solide avec en complément une excellente présentation du cinéaste, d’Elmore Leonard, de la Cannon et du film par Olivier Père (43 minutes). Et un documentaire sur John Frankenheimer avec des interventions de Kirk Douglas, Frank Sinatra, Roy Scheider, Ann-Magret, etc. (59 minutes, uniquement sur le Blu-ray). Et en fin, la bande-annonce d’époque du film.
Paiement Cash (52 Pick-Up) un film de John Frankenheimer avec Roy Scheider, Ann-Margret, Vanity, John Glover, Robert Trebor, Lonny Chapman, Kelly Preston, Doug McClure, Clarence Williams III, Alex Henteloff, Michelle Walker… Scénario : Elmore Leonard et John Steppling d’après le roman d’Elmore Leonard. Directeur de la photographie : Jost Vacano. Décors : Philip Harrison. Costumes : Ray Summers. Montage : Robert F. Shugrue. Musique : Gary Chang. Producteurs : Menahem Golan et Yoram Globus. Production : Cannon Group. – Golan-Globus Productions. Etats-Unis. 1986. 110 minutes. Couleur. Format image ; 1.85 :1. Ultra Stereo. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version Française. DTS-HD Master audio 2.0. Interdit aux moins de 12 ans.