Remportant plusieurs prix depuis sa première sélection dans la section Discovery du 44e Festival de Toronto et nominé par le Liban à l’Oscar 2020 pour le meilleur film étranger, Liban 1982 de Oualid Mouaness revient de manière indirecte sur la guerre civile libanaise, l’invasion du sud du Liban et de Beyrouth par l’armée israélienne. Mouaness était un jeune garçon de 10 ans fréquentant une école quaker anglophone dans Beyrouth et témoin de l’invasion de sa ville natale par l’armée israélienne.
La guerre est souvent dépeinte à travers les yeux de ceux qui ont été engloutis sur les lignes de front du conflit. Le réalisateur du Liban 1982 emprunte un chemin différent. Il tente de capter l’incertitude et la peur d’un écolier de 11 ans face à son sentiment d’amour pour une fille de son âge lors de l’invasion israélienne.
L’idée d’Oualid Mouaness est originale. Il s’agit de raconter un événement dramatique à travers les yeux d’enfants encore innocents et insouciants, incapables de saisir tous les aspects politiques et historiques du conflit. L’interaction entre ces enfants est plus ou moins équilibrée contrairement au dialogue insignifiant du film, qui semble faire éloigner le réalisateur de son objectif : rendre son histoire différente des autres films qui racontent la guerre à travers les yeux des enfants.
Premier long métrage du cinéaste Oualid Mouaness qui trace une ligne de partage imaginaire établie par les adultes pour protéger les petits. D’un côté, l’enfant Wissam (Mohammad Dali) et de l’autre son enseignante Yasmine déjà préoccupée par des problèmes familiaux. Interprétée par l’actrice et cinéaste libanaise Nadine Labaki (Caramel, Et maintenant on va où ?, Capharnaüm…).
Liban 1982, commence avec des plans larges et somptueux du paysage brumeux des montagnes libanaises, qui servent d’un magnifique décor au film et qui captent la paix et la beauté de la terre. Au fur et à mesure que l’histoire du film se précise, des bruits de guerre se mêlent à de beaux plans, comme ces plans d’oiseaux dans le ciel bleu et ces plans de jeunes nageant en compétition dans la piscine…
Le cinéaste essaie sans réussir complètement de transformer une journée d’école ordinaire en une journée extraordinaire : d’abord autour d’une vague conversation entre Yasmine et Joseph sur la guerre civile libanaise dévastatrice qui a duré plus de quinze ans puis soudain l’invasion des troupes israéliennes qui ont laissé des stigmates sur la société libanaise actuelle. Hélas, comme le reste du monde arabe, le Liban, vit à nouveau une période troublée : un profond marasme économique dans lequel il est plongé et l’explosion chimique qui a soufflé la moitié de sa capitale, Beyrouth…
Partant donc des souvenirs les plus heureux du réalisateur qui s’observent aussi à travers les peurs et les « épiphanies » les plus profondes, le film se déroule sur le dernier jour « ordinaire » d’une classe de cinquième année anglophone dans une école primaire à la périphérie de Beyrouth Est malgré la détérioration de la situation politique qui ne sera vue que d’un horizon lointain. Mouaness met aussi en scène de petits conflits chez ces écoliers par ailleurs très attachants de différentes régions et religions. Les enfants sont à peine stressés par leurs examens de fin d’année, jouant aux billes, au football dans un ciel, radieux et ensoleillé.
Mais l’un d’eux semble plus stressé à cause de son béguin pour Joanna (Gia Madi) qui ne sait pas qui lui envoie ces lettres d’amour. En plus de la réticence habituelle de tout garçon de 11 ans à exprimer son amour, il est presque impossible que Wissam puisse voir sa Joanna en dehors de l’école car ils vivent de chaque côté de Beyrouth, séparés par des points de contrôle. La religion et les différences économiques et culturelles de la société libanaise ainsi que les préjugés ne sont pas très clairs ici pour un public non averti et ne jouent qu’un rôle mineur chez les adultes et les enfants en cette journée mémorable.
Le réalisateur adopte à juste titre le point de vue de Wissam et comment il surmontera ou non sa timidité et avouera ou non à la jeune fille de Beyrouth Ouest qu’il est l’auteur du petit mot et du dessin glissé dans son casier. Mais il intègre mal le comportement insouciant de l’enfance et les craintes peu convaincantes des enseignants alors que le grondement des avions de guerre rend difficile la protection des enfants.
Ce milieu scolaire grouillant d’enfants qui terminent leurs examens de fin d’année ressemblent aux films de François Truffaut. L’enfant Wissam décide de déclarer sa flamme, au pire moment possible, à Joana qu’il aime de manière obsessionnelle sans nous faire adhérer totalement à sa cause : « Joana, je t’aime. Joana, je t’aime ». Ce qui fait penser à un jeune Jean-Pierre Léaud dans un film de Truffaut faisant de même. Pour Wissam, les avions de combat aériens vus à travers la fenêtre de la classe pourraient soit détruire sa chance avec Joanna, soit matérialiser un attachement potentiellement naissant. Curieusement, malgré le danger d’une guerre annoncée par la radio et le bruit des avions de chasse israéliens, le film souffre d’un léger regain d’attention. Pourtant, la bonne conception sonore de Rana Eid crée un sentiment de calamité imminente à mesure que les explosions se rapprochent. Pourquoi alors ce manque de tension ?
Le bruit des véhicules militaires à proximité crée un peu d’agitation contrairement à la photo qui ne crée aucun sentiment de danger significatif ni ne provoque de réaction particulière même lorsque Yasmine, la professeur de mathématiques, apprend que son frère Georges (Said Serhan) est parti rejoindre un milice dans le sud du pays et que son collègue Joseph (Rodrigue Sleiman) reste l’oreille collée à son transistor pour écouter l’évolution de la situation.
Les enseignants commencent à s’agiter mais continuent à supposer que l’école n’est pas en danger, et préfèrent que les élèves restent sur place et terminent leurs examens. Cependant, ils ont du mal à nous laisser passer leur semblant de sang-froid alors que l’incertitude et la terreur s’accumulent inexorablement.
Enfin, le bruit des explosions devient plus fréquent et l’idée que tout ce qui se passe restera à une distance considérable commence à s’estomper. Après avoir vu défiler les chars dans les rues et entendu les premières bombes toucher le sol, le petit Wissam sur décision du directeur est enfermé dans son école, avec ses camarades de classe. Certains parents paniqués et chaotiques se présentent pour sortir leurs enfants alors que les passages sont fermés…
Là où la photo peut créer un sentiment de danger significatif à mesure que les bombardements se rapprochent et deviennent plus fréquents; elle signale plutôt un mode de vie privilégié d’une école bourgeoise. Parfois Brian Rigney Hubbard le directeur de la photographie, conçoit des gros plans bien plus réactifs à la situation stressante que les mots utilisés, lors d’une confrontation entre Yasmine et son collègue-petit ami Joseph, comme le dessin du ciel de l’enfant transposé au réel ciel, les larges traits de son crayon laissent des bandes colorées de bleu clair à la lumière du jour.
Le dessein de Wissam reflète bien comment la perception d’un enfant de son monde réussit mieux à maintenir son innocence en temps de guerre. Malgré ces plans réussis, le film ne parvient pas à nous faire ressentir un drame intense car il souffre d’un rythme monotone, d’un manque de continuité, d’une structure narrative solide et d’une mélancolie qui tient autant à la nostalgie de l’enfance qu’au gâchis constitué par cette guerre. Peu à peu les sons des avions de guerre deviennent banals et parfois cinématographiquement trop ordinaire pour nous emporter complètement. Liban 1982 reste tout de même un hymne à l’innocence de l’enfance qui défend ses sentiments durant un épisode tragique de l’histoire libanaise. L’intérêt du réalisateur pour les enfants est plus grand dans son film qu’une perspective historique et politique de son pays. Pourquoi pas ?
Mais si on ajoute à cela le personnage de Yasmine qui manque de stature, ça devient gênant. De plus, sa relation avec l’enfant Wissam, voire même avec les autres écoliers est quasi inexistante. Son attitude envers Joseph, polluée par la politique et les divergences d’opinions est assez peu développée et on peine à croire à leur amour. Il n’y a pas d’équilibre entre le regard naïf de l’enfant et celui de l’enseignante.
Pour que le film fonctionne pleinement, il aurait fallu trouver ce point d’équilibre entre gravité et légèreté qui, ici, penche vers la seconde.Ou bien il embrasse pleinement le point de vue de l’enseignante ou du petit garçonqui sait que les enfants peuvent tout supporter, et n’importe quoi, mais qu’ils ne devraient pas avoir à le faire.
Toutefois, le réalisateur parvient à accéder à quelques vérités émotionnelles et à des séquences émouvantes malheureusement trop courtes, comme cette belle séquence frustrante où Wissam regarde par la porte une jeune fille plus âgée que lui jouant du piano.
Dans la scène finale, Oualid Mouaness a eu cette idée de créer une porosité entre la réalité et l’imaginaire de son jeune héros et des dessins animés japonais qui déferlent à cette époque sur le Liban en incorporant une partie de l’imagination de Wissam dans l’action d’une manière similaire à celle utilisée par Taika Waititi dans Boy qui vit aussi dans un monde imaginaire et qui raconte un drame à travers le passage à l’âge adulte.
La cohabitation de l’amour d’enfance de Wissam avec l’événement le plus traumatisant du Liban est quasiment absente. On a l’impression que l’enfant ne sent pas le danger d’une guerre qui éclate et se rapproche de son école, même si l’on peut imaginer que, pour l’enfant, ce refuge dans l’imaginaire est un moyen de se protéger face à une situation qui le dépasse. Au fond de lui, il sait que ses idoles comptent vraiment, même s’il les regarde se désintégrer sous ses yeux et qu’il faut parfois passer aux dessins animés pour montrer la vraie vérité parce que le film d’action en direct est trop démodé pour croire à la psychokinésie.
Si le réalisateur a entremêlé film d’animation et plans réels : images de guerre et imaginaire d’un enfant fan de dessins animés japonais, il aurait alors trouvé peut être tout son sens dans une telle construction.
Last but not least, le spectateur se retrouve face à une mystérieuse fin animée : soit il l’interprète comme un témoignage de l’imaginaire d’un enfant pour le sortir du traumatisme d’une guerre qui ne dit pas son nom, soit comme une tentative de donner aux spectateurs une lueur d’espoir à mesure que les bombardements se rapprochent.
Liban 1982, un film à voir.
Norma Marcos
Liban 1982 (1982) un film de Oualid Mouaness avec Nadine Labaki, Mohamad Dalli, Rodrigue Sleiman, Aliya Khalidi, Ghassan Maalouf, Gia Madi, Lelya Harkous, Said Serhan, Zeina Saab de Melero, Joseph Azoury… Scénario : Oualid Mouaness. Directeur de la photographie : Brian Rigney Hubbard. Décors : César El Hayeck. Costumes : Waël Boutros. Sound designer : Rana Eid. Animation : Ghassan Halwani. Montage : Jad Dani Ali Hassan et Sabine El Gemayel. Musique : Nadim Mishlawi. Producteurs : Oualid Mouaness, Alix Madigan-Yorkin, Georges Schoucair, Myriam Sassine et Christopher Tricarico. Production : Tricycle Logic – Abbout Productions – Mad Dog Films Coproduction : Barentsfilm AS – Boo Pictures – Soapbox Films avec le soutien de Doha Film Institute – Sorfond+ – Creative Europe MEDIA – Fonds Image de la Francophonie. Distribution (France) : Moonlight Films Distribution (sortie le 24 novembre 2021). Liban – Etats-Unis. 2019. 100 minutes. Couleur. DCP. Tous Publics. Prix de la FIPRESCI – Sélection TIFF – Festa Del Cinema Di Roma. Prix Cannes Ecrans Juniors 2021.